Résumé :
Cet article se veut une réponse, une sorte de mise au point à l’adresse du modèle occidental explicatif d’une pratique ancestrale, à savoir la circoncision. Le schéma explicatif en question repose sur les données de la psychanalyse qui l’assimile à une sorte d’agression du corps, une castration et à la forme la plus représentative de la blessure narcissique. Notre réponse, qui prend à contre pied cette conception du fait relevé, repose essentiellement sur le modèle explicatif socio – religieux inspiré des pratiques et des croyances d’une ethnie algérienne : les berbères des Aurès.
Introduction :
A l’instar des transformations et mutations sociales liées aux processus accélérés de développement que connaît l’Algérie actuellement, il nous a paru utile d’étudier une pratique traditionnelle et séculaire rigoureusement observée dans la société algérienne. Cette pratique, qui est la circoncision traditionnelle en milieu berbère . Notre propre circoncision, notre affiliation au savoir psychologique et notre appartenance à cette ethnie, nous ont conduit à nous pencher plus avant sur la circoncision traditionnelle qui s’est révélée en fait une source très riche en symboles. En outre, la circoncision traditionnelle, de par son caractère rituel et de par son aspect d’intervention chirurgicale touchant à l’intégrité du corps et plus particulièrement à l’organe sexuel, ne pouvait ne pas susciter en nous, un certain nombre de questions :
-Comment le garçon circoncis vit-il cet événement majeur qui entraîne un changement dans son existence ?
Il se trouve désormais dans une situation conflictuelle, il n’appartient plus à la collectivité qu’il considérait comme un tout, il doit se rallier au clan des hommes, s’identifier avec son nouveau groupe.
-Comment est vécue cette atteinte à l’intégrité du corps propre, notamment en ce qu’elle s’adresse à l’endroit du pénis ?
-Quelle influence peut avoir la circoncision sur l’identité sexuée de l’enfant ?
-Quel rôle joue-t-elle dans le processus de socialisation de l’enfant ?
Ce sont autant de questions parmi d’autres qui se sont posées et que nous avons tenté de les résoudre, en proposant quelques réflexions d’ordres théoriques et pratiques, sans toutefois, prétendre apporter des vérités incontestables.
Méthodologie :
L'objectif de cette recherche est l'étude de la symbolique de la circoncision traditionnelle en Algérie et d'une manière plus restrictive dans la région des Aurès.
Ainsi, nous avons choisi d'appréhender notre objet à travers une double approche. D'une part à travers la culture et les traditions de cette région. Nous entendons par là toute particularité de la culture berbère qui ne soit pas altérée par un apport externe, toute conduite exempte d'acculturation dans la mesure des distinctions que nous pouvons y apporter.
D'autre part, à travers le discours du berbère qu'il soit provoqué ou spontané. Nous tenterons, à travers les questions posées, de chercher dans la réalité du discours ce qui s'y dit et s'y transmet au sujet de la circoncision.
En premier lieu, nous avons eu des questionnaires à base de questions fermées servant d'introduction au sujet et permettant des réponses faciles, tout en récoltant le maximum d'informations. Parallèlement, nous avons récolté par le biais de notre entourage des informations concernant les différentes pratiques rituelles de la circoncision et leurs significations culturelles et sociales.
En second lieu, nous avons utilisé des entretiens qui permettent aux personnes de s'exprimer. Nous utilisons le langage comme pivot de notre recherche, afin de pénétrer en profondeur dans la connaissance de la culture berbère, sachant que le langage est non seulement l'expression de la pensée, mais de toute la personnalité. En outre, le langage est le premier facteur véhiculant la culture que l'on acquiert. Ainsi, notre méthodologie s'articule autour de deux sources différentes et complémentaires d'informations.
Partant de ses considérations, il nous importait de définir une méthode d'investigation qui pouvait nous permettre de cerner l'incidence psychologique de la circoncision chez le garçon algérien, tout en tenant compte des valeurs et des normes socio-culturelles algériennes par rapport auxquelles se situe la circoncision rituelle. Ainsi, nous avons été amenés à privilégier deux méthodes.
D'une part: l'observation directe des attitudes du garçon et son entourage lors de son initiation. Cette méthode nous semble capitale, en ce qu'elle peut nous éclairer sur la dimension psychologique du vécu de la circoncision chez le garçon plus spécialement lors du moment opératoire où l'on ne dispose pas d'autres méthodes.
D'autre part: l'utilisation du dessin. Cette épreuve devait nous permettre de connaître les incidences directes de la circoncision sur l'image du corps. L'enfant de cet âge « 5-7ans » ne s'exprime pas facilement par le langage, souvent il ne sait pas quoi dire. Il faut donc lui offrir des moyens de communication non verbaux, qui lui sont familiers à l’école, qui l'intéressent et par lesquels il va pouvoir exprimer sa vie fantasmatique. Parmi ces moyens, nous avons choisi le dessin qui est un mode d'expression très riche. L'enfant dessine en fonction de la représentation qu'il a des choses, avec des particularités qui lui donnent son aspect naïf et son originalité.
Cas d'observation directe de la circoncision rituelle :
Nous avons assisté à dix cas de circoncision traditionnelle dont nous essayerons d'étudier les quelques manifestations qui nous ont paru les plus éloquentes au niveau de leur dimension psychologique et sociale. Dans tous les cas observés, les parents du garçon ne sont pas présent pendant « l’opération chirurgicale » . Il est de tradition que le père n'assiste pas à la circoncision de son fils. Plusieurs explications sont avancées:
1/ Le père ne peut, généralement, supporter la vue de son fils en pleine souffrance. Étant fier de lui et le considérant déjà comme un petit homme «erguez», aurait honte d'être présent lors de ses pleurs. Rappelons à cet égard, que lors de la préparation psychologique du garçon, le père encourage souvent celui-ci à subir avec courage la circoncision.
2/ Le père est absent volontairement pour laisser son fils affronter seul son initiation. On peut donc supposer que la circoncision signifie aussi maîtrise de soi. C'est pourquoi nous comprenons beaucoup mieux qu'un garçon, lors de l'opération ne doit pas laisser transparaître sa peur et, à plus forte raison, son appréhension et ses pleurs. La circoncision étant un rite de socialisation, c'est ainsi donc que l'on jugera de son «intégration sociale». Il est certain que la circoncision comme « acte chirurgical » n'est pas sans angoisser les témoins. Nous même, lors de nos observations, nous ne sommes pas restés affectivement indifférents ; nous avons pu ainsi constater «intérieurement» l'effet traumatique de la circoncision avec, après-coup, la résurgence progressive d'une série de souvenirs liés à notre propre circoncision à l'âge de six ans et demi.
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