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La monnaie, histoire d'une imposture

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  • La monnaie, histoire d'une imposture

    Quelle est la cause de la crise financière qui a éclaté au grand jour en 2008, bien qu'elle fut annoncée plus tôt ?

    On a désigné plusieurs responsables : d'abord les techniciens de la finance, qui jouent avec de l'argent virtuel, ensuite les banquiers cherchant à s'enrichir, et enfin les mathématiciens dont on a dénoncé la volonté de modéliser l'économie alors que celle-ci y serait fondamentalement irréductible.

    Est-ce la faute de ces trois acteurs, ou seulement de deux, ou bien d'un seul ? Mais alors, lesquels ou lequel ?

    Il doit y avoir du vrai dans l'hypothèse qui attribue une responsabilité à chacun de ces acteurs. Cependant, il reste un problème auquel on ne peut trouver de solution si on se contente de cette hypothèse. En effet, ce qui est commun au problème des sub-primes aussi bien qu'à l'énigme du rachat de la dette grecque, par exemple, est qu'on ne voit pas très bien à quoi correspond l'argent prêté par les banques aux ménages américains, ou à celui prêté par la Fed ou par la BCE respectivement aux banques et Etats en faillite.

    Pour un quidam comme nous, c'est bien sur ce « à quoi » que porte notre interrogation. En effet, la production d'argent a toujours été fonction d'un référent : ainsi, jusqu'à il y a peu, c'était en fonction d'une certaine proportion de son stock d'or qu'il possédait qu'un Etat s'autorisait à émettre la proportion de monnaie correspondante. Les choses étaient alors limpides. Le prêt d'une banque, plus généralement, doit être fondé sur une activité économique réelle, sinon on ne comprend pas ce qui garantit le prêt. En somme, l'absence de la variable x par rapport à laquelle la variable y dépend, c'est-à-dire l'émission de monnaie ou du prêt, rend la situation économique actuelle totalement inintelligible.

    Si α est la monnaie créée, il y a deux possibilités : ou bien α renvoie à quelque chose, ou bien α ne renvoie à rien de concret. De deux choses l'une : ou
    bien on adopte une position réaliste en matière économique, ou bien on se contente d'un nominalisme qui sera d'autant plus difficile à fonder que le
    processus dont α est le résultat sera long. En effet, si on admet fort bien que Dieu a pu créer le monde ex nihilo, cela semble plus difficile à admettre pour l'argent. Comment la seconde situation peut-elle alors fonctionner ? Ou comment, plutôt, ne peut-elle pas dysfonctionner ?

    C'est en recherchant une réponse à cette question que j'ai lu le livre de P. Simonnot et de C. Le Lien, La monnaie, qui est peut-être contestable, mais qui a le mérite, lorsque l'on n'est pas économiste mais qu'on a quelques connaissances en maths qui se traduisent par une exigence de clarté, d'expliciter
    simplement la situation. Tel est l'avis d'ailleurs de Jacques Bichot, contributeur au cercle des Echos.

    L'idée des deux auteurs n'est pas de réclamer un retour à l'étalon-or comme garantie de l'émission de monnaie, mais de montrer que la racine de la crise réside dans le fait que « la finance s'est déconnectée de la réalité économique », « la monnaie étant pour la première fois déréalisée ». En effet, on est passé de la monnaie sous sa forme représentative (« le papier-monnaie représente simplement une certaine quantité de métal, déposée quelque part, par exemple dans le coffre d'une banque, et qui sert de garantie »), en passant par sa forme fiduciaire ( « la papier-monnaie prend la forme d'une promesse de payer une certaine somme. Ici la valeur de ce papier dépend entièrement de la solvabilité du débiteur particulier. »), à sa forme conventionnelle (« est émis par un Etat (...), sans que les réserves métalliques soient suffisantes. Il s'agit donc d'une fiction « puisque la couverture n'existe pas »). Si la valeur intrinsèque du papiermonnaie ne pose pas de problème dans le premier cas, ni vraiment dans le second, il n'en va pas de même dans le dernier. Là, en effet, c'est le fait même que le papier ait de la valeur, et pas simplement telle ou telle valeur, qui est précaire, car ce fait ne repose que sur une loi. Si l'émetteur du papier, en l'occurrence l'Etat, démonétise le billet, alors il n'a plus cours et le billet n'a guère plus de valeur qu'un bout de papier quelconque.

    Que l'Etat soit responsable de cette déréalisation de la monnaie et que, par conséquent, faire appel à l'Etat pour résoudre la crise soit la pire des solutions, conduisent les auteurs à démontrer qu'il faut mettre fin au monopole étatique d'émission de la monnaie et renouer avec le métier du banquier responsable. L'émission de monnaie par les banques centrales n'étant gagée sur rien, on se demande alors comment la chute n'ait pas eu lieu plus tôt.

    S'articulant à l'explication des deux auteurs de La monnaie, celle que C. Walter et M. de Pracontal donnent dans leur ouvrage de 2009 Le virus B (le B pour brownien), se faisant l'écho d'autres experts de mathématiques financières, tel J.-P. Bouchaud, permet de rendre compte non de la crise elle-même, mais de son aggravation.

    Ces deux auteurs montrent en effet que la mathématisation de l'économie est nécessaire, qu'il ne faut pas y renoncer, et que par conséquent ce n'est pas la recherche d'une modélisation qui est cause de la crise économique. La cause n'est pas dans la volonté de mathématiser la finance, mais dans l'adoption d'un mauvais modèle mathématique pour prédire et agir économiquement. Walter et Pracontal montrent l'inadéquation du modèle brownien, c'est-à-dire d'un modèle probabilitaire qui garantit que les cours fluctuent autour d'une valeur moyenne, et ce pour deux raisons : il est trop simpliste et faux. Comme le disent les deux auteurs, « la débâcle des subprimes est aussi et surtout une crise de la connaissance. Elle est due à l'hégémonie d'une conception mathématique qui suppose que les marchés se comportent selon les lois du mouvement brownien, et les fait apparaître comme plus réguliers qu'ils ne le sont. ». En effet, depuis le XIXe siècle, les outils quantitatifs de la finance sont conçus pour décrire des situations moyennes, normales, afin d'en fournir les prévisions corrélatives. Et les deux auteurs de montrer que la courbe de Gauss, courbe régulière en forme de cloche, ne correspond en rien, sinon localement, au cours général des marchés. Les mathématiciens de la finance agissent dès lors comme s'ils voulaient imposer à la réalité économique un moule qui ne lui correspond pas.

    Le « bon moule » doit au contraire respecter les aléas des marchés, aléas qui sont souvent extrêmes et bien plus fréquents que les situations moyennes. C'est au mathématicien B. Mandelbrot que l'on doit d'avoir averti le monde de la finance de l'inadéquation de ce modèle, pourtant défendu par de nombreux Nobels, tels Samuelson, Schloes ou Merton. Mandelbrot pense que les « processus de Lévy » doivent être substitués à la loi normale (ou loi normale gaussienne) du modèle brownien, pour mieux décrire ces irrégularités « sauvages » du marchés. Les cours des marchés ressemblent non à une cloche, mais à une fractale.

    En somme, si la racine de la catastrophe économique serait à chercher du côté de la valeur proclamée par une institution et non réelle de la monnaie, le choix d'un modèle mathématique simpliste satisfaisant non le principe de réalité mais le principe de plaisir, aurait aggravé les choses.

    Dès lors, on tient là une double explication, politique et idéologique. Si tel est le cas, l'économie n'est pas entièrement responsable de la crise. Doit-on en déduire que l'économie ait finalement son mot à dire, contrairement à ce que l'on nous dit ?

    Il se peut que cette double explication soit inexacte, ou incomplète. Elle a cependant le mérite de faire appel au bon sens et d'éclairer les aspects d'une
    situation qui échappe aux experts officiels qui disent la connaître le mieux.

    éco matin
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