titre originale :
EIIL : UNE RÉVOLUTION TACTIQUE ?…OU L’INFANTERIE LÉGÈRE À L’ÂGE GLOBAL—Bernard WICHT
13 JUILLET 2014
La récente invasion de l’Irak par les troupes de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) cache-t-elle une révolution au niveau tactique ? Car, c’est la première fois qu’une guérilla parvient à un tel résultat : non pas la défense d’un terrain difficile d’accès (zone urbaine ou montagneuse, jungle), mais l’occupation offensive d’un vaste territoire. Les opérations de l’EIIL se sont en effet déployées en terrain désertique, avec de l’infanterie légère exclusivement, sans char, sans artillerie et sans appui aérien. Rappelons que, jusque là, une guérilla qui passait à l’offensive devait se transformer en armée conventionnelle : par exemple, le Nord-Vietnam doit s’équiper en chars, transports de troupes blindés et artillerie lourde pour conquérir le Sud-Vietnam ; le Polisario doit faire de même pour attaquer le Mur construit par les Marocains au Sahara occidental. Certes, l’armée irakienne organisée à l’occidentale avec des procédures rigides, n’a pas opposé beaucoup de résistance. Néanmoins le gain territorial obtenu par les djihadistes est considérable ; il se mesure à l’échelle de deux pays (Syrie et Irak). De plus, l’offensive de l’EIIL semble conduire à une redistribution radicale des cartes au Moyen-Orient : notamment, création probable d’un Kurdistan indépendant, morcellement potentiel de l’Irak et de la Syrie.
C’est donc au regard de l’ampleur des conséquences de cette opération réalisée uniquement par des unités légères que nous avançons l’idée d’une « révolution tactique ». Que faut-il entendre à cet égard ? De notre point de vue, trois aspect entrent en considération : la maturation des tactiques dites « asiatiques » ; la rupture avec la technologie ; la nouvelle forme transnationale de l’organisation militaire.
Premièrement, depuis près d’un demi-siècle, les différentes armées confrontées à un adversaire disposant d’une puissance de feu « illimitée » ont développés des tactiques visant autant que possible à annuler ce différentiel de puissance et à rétablir un équilibre permettant de se battre à « armes équivalentes ». Ces tactiques se caractérisent par la recherche de l’imbrication, l’utilisation du micro-terrain, la dispersion et la manœuvre des petits échelons (niveau groupe de combat et section). Si nous parlons ici de « révolution tactique », c’est parce que nous considérons que les opérations de l’EIIL montrent que ces tactiques ont désormais atteint leur maturité en ne se limitant plus à la défensive et à l’annulation du différentiel de puissance, mais en permettant dorénavant l’action offensive à grande échelle.
Si cette opinion est correcte, elle va impliquer alors une réorientation des armées régulières occidentales et ouvre sans doute la voie, à terme, pour une réactualisation du citoyen-soldat (2.0). Nous y reviendrons en fin d’exposé. Auparavant, il importe cependant de présenter la spécificité de ces tactiques afin de bien saisir en quoi il est légitime d’évoquer une révolution.
Celles-ci ont été principalement mises au point par ceux qui ont dû affronter la puissance de feu américaine, les Japonais à partir de 1943, les Chinois et les Nord-Coréens pendant la Guerre de Corée, les Nord-Vietnamiens pendant la Guerre du Vietnam : d’où leur désignation « asiatique ». Elles ont été reprises ensuite par tous les combattants se trouvant dans une situation similaire – devoir faire face à une puissance de feu largement supérieure, « à l’américaine » : les Pasdarans iraniens lors de la Guerre Iran-Irak, les Moudjahidins afghans contre les Soviétiques, les Tchétchènes contre les Russes, le Hezbollah contre Israël et, aujourd’hui, Al Quaida en Irak et en Afghanistan.
StosstruppenCes tactiques ne sont toutefois pas une spécificité asiatique ni orientale. Leur origine remonte à la Première Guerre mondiale avec la création des Stosstruppen au sein de l’armée allemande. Constatant l’échec et le coût humain des attaques frontales d’infanterie face à un ennemi enterré, les Allemands développent des procédés d’infiltration basés non plus sur l’attaque massive mais sur le swarming de plusieurs groupes de combat qui progressent en utilisant le micro-terrain (fossés, lit de ruisseaux, cratères d’obus, autres couverts), qui cherchent à contourner les positions défensives de l’adversaire pour s’enfoncer dans la profondeur du dispositif et attaquer les postes de commandement, les armes d’appui ou les dépôts. Ce nouveau procédé de combat conduit à articuler les combattants en groupes d’une dizaine d’hommes conduits par un sous-officier. L’armement subit aussi une transformation. La priorité est donnée aux armes de combat rapproché : grenade, pistolet, couteau, apparition des mitrailleuses légères, des mitraillettes, du lance-flamme et du canon d’infanterie. Le but est de donner au fantassin à la fois une grande mobilité (articulation en groupe de combat) et une grande puissance de feu à courte portée (armes susmentionnées). L’adoption de l’Auftragstaktik rend le swarming non seulement possible mais efficace : les groupes connaissent l’objectif à atteindre et les fuseaux de progression, mais restent complètement libre du choix de leur itinéraire et des actions à mener pour y parvenir. L‘initiative appartient au chef de groupe (sous-officier), le chef de section (lieutenant) se concentre « sur ses jumelles » afin de découvrir le contour précis des positions ennemies et de pouvoir ainsi orienter ses groupes dans le terrain. En défense, les Stosstruppen renoncent aux dispositifs linéaires de tranchées pour privilégier des positions échelonnées en profondeur et situées dans les accidents de terrain, en contre-pente ou dans les cratères d’obus afin d’échapper à l’observation et à la reconnaissance adverses. Chacune de ces positions dispose d’un chemin de repli permettant aux combattants de l’évacuer lorsque la pression de l’attaquant est trop forte et de la réoccuper ensuite, par exemple de nuit lorsque l’assaillant est épuisé par son attaque précédente. De la sorte, les Stosstruppen mènent un combat très mobile tant dans l’offensive que dans la défensive, en utilisant à fond le micro-terrain pour échapper au maximum aux effets des armes lourdes.
Les tactiques des Japonais, Chinois, Nord-Coréens, Nord-Vietnamiens, Tchétchènes, du Hezbollah ou des djihadistes s’inscrivent pleinement dans cet héritage des Stosstruppen. Présentons-en les caractéristiques principales :
infanterie légère équipée généralement d’armes d’origine soviétique telles que, fusil d’assaut AK-47, lance-roquette RPG-7, fusil mitrailleur RPD et PKM, fusil de précision Dragunov, mitrailleuse lourde Dschk, ainsi que des explosifs divers (mines, bombes, IED)
actions décentralisées de petites équipes utilisant la surprise, la déception et une grande puissance de feu à courte distance (le RPG-7 joue un rôle majeur à cet égard); équipe composée d’environ 4 hommes (RPG, Dragunov, RPD, AK) donnant une certaine autonomie pour un combat mobile[1]
actions très soigneusement préparées et répétées sur maquettes, fondées sur une collecte de renseignements précis via patrouilles, prisonniers et auprès de la population civile
déplacement et approche par infiltration en utilisant le micro-terrain, la nuit et en fonction des renseignements obtenus
p. ex. attaque d’une localité selon la technique de la « fleur de lotus », c’est-à-dire infiltration en différents points par les équipes susmentionnées se rejoignant au centre de la ville en faisant « éclater » le lotus au cœur du dispositif ennemi
instruction et entraînement à base de scénarios correspondant à l’opération prévue; scénarios répétés à de nombreuses reprises par les combattants, organisation des troupes en fonction de l’opération (embuscade, raid ou défense); cette organisation ad hoc calquée sur le scénario adopté accroît encore la mobilité de l’unité engagée [2]
avec Al Quaida, apparition d’un système d’instruction-entraînement open source; des sites sur le net contiennent des manuels et des expériences de guerre dans lesquels les combattants peuvent puiser les informations dont ils ont besoin pour leurs opérations.
L’insistance de ces tactiques sur le renseignement, l’action décentralisée de petites équipes et l’utilisation du micro-terrain (infiltration) permet de suppléer l’absence de moyens lourds. Soulignons encore une fois à cet égard que le but systématiquement recherché est le combat rapproché, autrement dit amener l’ennemi « à portée de sabre ». Une des procédures privilégiées en la matière consiste à attirer l’adversaire dans une kill zone constituée soit par une embuscade, soit par des IED. D’ailleurs, cette infanterie légère est en mesure de demeurer inaperçue jusqu’au contact. L’engagement du combat se faisant à très courte distance, l’imbrication empêche l’adversaire d’utiliser sa puissance de feu. C’est ainsi que les Tchétchènes ont pu reprendre Grozny pourtant occupé par des troupes russes supérieures en nombre.
Pour s’en faire une bonne idée, il est possible de visionner quelques scènes du film The Hunted (de William Friedkin, 2003). Infiltration : on commence par voir une petite équipe de commandos profitant d’un bombardement et de la panique de la population civile cherchant à échapper à la tuerie pour se glisser comme des ombres, en se fondant littéralement dans les ruines et les gravats, à l’intérieur du poste de commandement adverse. Kill zone et combat rapproché : on retrouve plus tard un de ces commandos (revenu à la vie civile entretemps) affrontant en pleine forêt deux chasseurs lourdement armés. Equipé très légèrement et armé d’un couteau seulement, il profite de l’épaisseur de la végétation pour les harceler à bout portant et les attirer dans une chausse-trappe qu’il a soigneusement préparé. Déstabilisés par ces manœuvres, bloqués par le piège dans lequel dans lequel ils se sont pris les pieds (au sens propre), les chasseurs se trouvent alors à la merci de sa lame.
Comme en témoigne les premières relations, l’EIIL procède exactement de la même façon : « En général, les insurgés font exploser une voiture piégée à proximité de leur attaque, ce qui a pour effet de disperser les soldats, …. Puis les fous furieux arrivent dans leurs 4×4 en mitraillant tout sur leur passage. C’est la débandade ». Ou encore, « la tactique des insurgés est de harasser les militaires par des opérations menées par des petits groupes qui préparent ainsi la grande attaque » [3]. Dans ces brèves descriptions, on note immédiatement l’utilisation des méthodes précités : puissance de feu à courte distance, utilisation de la diversion-déception (explosion de la voiture piégée), action décentralisée de petites équipes (swarming).
EIIL : UNE RÉVOLUTION TACTIQUE ?…OU L’INFANTERIE LÉGÈRE À L’ÂGE GLOBAL—Bernard WICHT
13 JUILLET 2014
La récente invasion de l’Irak par les troupes de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) cache-t-elle une révolution au niveau tactique ? Car, c’est la première fois qu’une guérilla parvient à un tel résultat : non pas la défense d’un terrain difficile d’accès (zone urbaine ou montagneuse, jungle), mais l’occupation offensive d’un vaste territoire. Les opérations de l’EIIL se sont en effet déployées en terrain désertique, avec de l’infanterie légère exclusivement, sans char, sans artillerie et sans appui aérien. Rappelons que, jusque là, une guérilla qui passait à l’offensive devait se transformer en armée conventionnelle : par exemple, le Nord-Vietnam doit s’équiper en chars, transports de troupes blindés et artillerie lourde pour conquérir le Sud-Vietnam ; le Polisario doit faire de même pour attaquer le Mur construit par les Marocains au Sahara occidental. Certes, l’armée irakienne organisée à l’occidentale avec des procédures rigides, n’a pas opposé beaucoup de résistance. Néanmoins le gain territorial obtenu par les djihadistes est considérable ; il se mesure à l’échelle de deux pays (Syrie et Irak). De plus, l’offensive de l’EIIL semble conduire à une redistribution radicale des cartes au Moyen-Orient : notamment, création probable d’un Kurdistan indépendant, morcellement potentiel de l’Irak et de la Syrie.
C’est donc au regard de l’ampleur des conséquences de cette opération réalisée uniquement par des unités légères que nous avançons l’idée d’une « révolution tactique ». Que faut-il entendre à cet égard ? De notre point de vue, trois aspect entrent en considération : la maturation des tactiques dites « asiatiques » ; la rupture avec la technologie ; la nouvelle forme transnationale de l’organisation militaire.
Premièrement, depuis près d’un demi-siècle, les différentes armées confrontées à un adversaire disposant d’une puissance de feu « illimitée » ont développés des tactiques visant autant que possible à annuler ce différentiel de puissance et à rétablir un équilibre permettant de se battre à « armes équivalentes ». Ces tactiques se caractérisent par la recherche de l’imbrication, l’utilisation du micro-terrain, la dispersion et la manœuvre des petits échelons (niveau groupe de combat et section). Si nous parlons ici de « révolution tactique », c’est parce que nous considérons que les opérations de l’EIIL montrent que ces tactiques ont désormais atteint leur maturité en ne se limitant plus à la défensive et à l’annulation du différentiel de puissance, mais en permettant dorénavant l’action offensive à grande échelle.
Si cette opinion est correcte, elle va impliquer alors une réorientation des armées régulières occidentales et ouvre sans doute la voie, à terme, pour une réactualisation du citoyen-soldat (2.0). Nous y reviendrons en fin d’exposé. Auparavant, il importe cependant de présenter la spécificité de ces tactiques afin de bien saisir en quoi il est légitime d’évoquer une révolution.
Celles-ci ont été principalement mises au point par ceux qui ont dû affronter la puissance de feu américaine, les Japonais à partir de 1943, les Chinois et les Nord-Coréens pendant la Guerre de Corée, les Nord-Vietnamiens pendant la Guerre du Vietnam : d’où leur désignation « asiatique ». Elles ont été reprises ensuite par tous les combattants se trouvant dans une situation similaire – devoir faire face à une puissance de feu largement supérieure, « à l’américaine » : les Pasdarans iraniens lors de la Guerre Iran-Irak, les Moudjahidins afghans contre les Soviétiques, les Tchétchènes contre les Russes, le Hezbollah contre Israël et, aujourd’hui, Al Quaida en Irak et en Afghanistan.
StosstruppenCes tactiques ne sont toutefois pas une spécificité asiatique ni orientale. Leur origine remonte à la Première Guerre mondiale avec la création des Stosstruppen au sein de l’armée allemande. Constatant l’échec et le coût humain des attaques frontales d’infanterie face à un ennemi enterré, les Allemands développent des procédés d’infiltration basés non plus sur l’attaque massive mais sur le swarming de plusieurs groupes de combat qui progressent en utilisant le micro-terrain (fossés, lit de ruisseaux, cratères d’obus, autres couverts), qui cherchent à contourner les positions défensives de l’adversaire pour s’enfoncer dans la profondeur du dispositif et attaquer les postes de commandement, les armes d’appui ou les dépôts. Ce nouveau procédé de combat conduit à articuler les combattants en groupes d’une dizaine d’hommes conduits par un sous-officier. L’armement subit aussi une transformation. La priorité est donnée aux armes de combat rapproché : grenade, pistolet, couteau, apparition des mitrailleuses légères, des mitraillettes, du lance-flamme et du canon d’infanterie. Le but est de donner au fantassin à la fois une grande mobilité (articulation en groupe de combat) et une grande puissance de feu à courte portée (armes susmentionnées). L’adoption de l’Auftragstaktik rend le swarming non seulement possible mais efficace : les groupes connaissent l’objectif à atteindre et les fuseaux de progression, mais restent complètement libre du choix de leur itinéraire et des actions à mener pour y parvenir. L‘initiative appartient au chef de groupe (sous-officier), le chef de section (lieutenant) se concentre « sur ses jumelles » afin de découvrir le contour précis des positions ennemies et de pouvoir ainsi orienter ses groupes dans le terrain. En défense, les Stosstruppen renoncent aux dispositifs linéaires de tranchées pour privilégier des positions échelonnées en profondeur et situées dans les accidents de terrain, en contre-pente ou dans les cratères d’obus afin d’échapper à l’observation et à la reconnaissance adverses. Chacune de ces positions dispose d’un chemin de repli permettant aux combattants de l’évacuer lorsque la pression de l’attaquant est trop forte et de la réoccuper ensuite, par exemple de nuit lorsque l’assaillant est épuisé par son attaque précédente. De la sorte, les Stosstruppen mènent un combat très mobile tant dans l’offensive que dans la défensive, en utilisant à fond le micro-terrain pour échapper au maximum aux effets des armes lourdes.
Les tactiques des Japonais, Chinois, Nord-Coréens, Nord-Vietnamiens, Tchétchènes, du Hezbollah ou des djihadistes s’inscrivent pleinement dans cet héritage des Stosstruppen. Présentons-en les caractéristiques principales :
infanterie légère équipée généralement d’armes d’origine soviétique telles que, fusil d’assaut AK-47, lance-roquette RPG-7, fusil mitrailleur RPD et PKM, fusil de précision Dragunov, mitrailleuse lourde Dschk, ainsi que des explosifs divers (mines, bombes, IED)
actions décentralisées de petites équipes utilisant la surprise, la déception et une grande puissance de feu à courte distance (le RPG-7 joue un rôle majeur à cet égard); équipe composée d’environ 4 hommes (RPG, Dragunov, RPD, AK) donnant une certaine autonomie pour un combat mobile[1]
actions très soigneusement préparées et répétées sur maquettes, fondées sur une collecte de renseignements précis via patrouilles, prisonniers et auprès de la population civile
déplacement et approche par infiltration en utilisant le micro-terrain, la nuit et en fonction des renseignements obtenus
p. ex. attaque d’une localité selon la technique de la « fleur de lotus », c’est-à-dire infiltration en différents points par les équipes susmentionnées se rejoignant au centre de la ville en faisant « éclater » le lotus au cœur du dispositif ennemi
instruction et entraînement à base de scénarios correspondant à l’opération prévue; scénarios répétés à de nombreuses reprises par les combattants, organisation des troupes en fonction de l’opération (embuscade, raid ou défense); cette organisation ad hoc calquée sur le scénario adopté accroît encore la mobilité de l’unité engagée [2]
avec Al Quaida, apparition d’un système d’instruction-entraînement open source; des sites sur le net contiennent des manuels et des expériences de guerre dans lesquels les combattants peuvent puiser les informations dont ils ont besoin pour leurs opérations.
L’insistance de ces tactiques sur le renseignement, l’action décentralisée de petites équipes et l’utilisation du micro-terrain (infiltration) permet de suppléer l’absence de moyens lourds. Soulignons encore une fois à cet égard que le but systématiquement recherché est le combat rapproché, autrement dit amener l’ennemi « à portée de sabre ». Une des procédures privilégiées en la matière consiste à attirer l’adversaire dans une kill zone constituée soit par une embuscade, soit par des IED. D’ailleurs, cette infanterie légère est en mesure de demeurer inaperçue jusqu’au contact. L’engagement du combat se faisant à très courte distance, l’imbrication empêche l’adversaire d’utiliser sa puissance de feu. C’est ainsi que les Tchétchènes ont pu reprendre Grozny pourtant occupé par des troupes russes supérieures en nombre.
Pour s’en faire une bonne idée, il est possible de visionner quelques scènes du film The Hunted (de William Friedkin, 2003). Infiltration : on commence par voir une petite équipe de commandos profitant d’un bombardement et de la panique de la population civile cherchant à échapper à la tuerie pour se glisser comme des ombres, en se fondant littéralement dans les ruines et les gravats, à l’intérieur du poste de commandement adverse. Kill zone et combat rapproché : on retrouve plus tard un de ces commandos (revenu à la vie civile entretemps) affrontant en pleine forêt deux chasseurs lourdement armés. Equipé très légèrement et armé d’un couteau seulement, il profite de l’épaisseur de la végétation pour les harceler à bout portant et les attirer dans une chausse-trappe qu’il a soigneusement préparé. Déstabilisés par ces manœuvres, bloqués par le piège dans lequel dans lequel ils se sont pris les pieds (au sens propre), les chasseurs se trouvent alors à la merci de sa lame.
Comme en témoigne les premières relations, l’EIIL procède exactement de la même façon : « En général, les insurgés font exploser une voiture piégée à proximité de leur attaque, ce qui a pour effet de disperser les soldats, …. Puis les fous furieux arrivent dans leurs 4×4 en mitraillant tout sur leur passage. C’est la débandade ». Ou encore, « la tactique des insurgés est de harasser les militaires par des opérations menées par des petits groupes qui préparent ainsi la grande attaque » [3]. Dans ces brèves descriptions, on note immédiatement l’utilisation des méthodes précités : puissance de feu à courte distance, utilisation de la diversion-déception (explosion de la voiture piégée), action décentralisée de petites équipes (swarming).
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