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Les enfants de Gaza ont un nom

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  • Les enfants de Gaza ont un nom

    Un message radiophonique de B’tselem, association de défense des droits de l’homme, présentant la liste nominative des enfants palestiniens tués à Gaza, a été interdit. Ha'Aretz s'interroge sur l'indifférence et le manque d'empathie de la société israélienne.
    HA'ARETZ | ASHER SCHECHTER
    7 AOÛT 2014| 0





    Des enfants palestiniens remplissent des bouteilles d'eau dans un point d'eau de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 27 juillet 2014 (AFP
    PHOTO/MAHMUD HAMS) Des enfants palestiniens remplissent des bouteilles d'eau dans un point d'eau de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 27 juillet 2014 (AFP PHOTO/MAHMUD HAMS)
    "Mohammed Malaka, 2 ans. Seraj Abdel-Al, 8 ans. Sara Al-Eid, 9 ans. Saher Abu Namous, 4 ans. Ahmed Mahdi, 15 ans." Pendant quatre-vingt-dix secondes interminables, une voix de femme énumère, sur le ton détaché des présentateurs israéliens, les noms des enfants tués à Gaza au cours des trois dernières semaines. "La liste n'est pas exhaustive", répète-t-elle plusieurs fois.
    Telle est la teneur d'un message soumis le 23 juillet par l'ONG israélienne de défense des droits de l’homme dans les Territoires occupés B'tselem et interdit par l'Autorité israélienne de l'audiovisuel au motif qu'il est "politiquement controversé".

    Ce message n'accuse pourtant personne. Il ne fait que donner les noms d'enfants tués lors du dernier conflit en date entre Israël et le Hamas. Son titre : "Les enfants de Gaza ont un nom", s'inspire de la phrase du poète israélien Zelda sur l'Holocauste : "Chaque personne possède un nom que lui ont donné Dieu et ses parents."

    "Rien de ce qu'ils peuvent faire ne vaut la vie d'un seul soldat israélien"

    La censure dont a été victime le message de B'tselem révèle un phénomène latent, et préoccupant. La semaine dernière, alors que les Nations unies venaient de décider l'ouverture d'une enquête sur les victimes civiles de l'opération Barrière protectrice, les services du Premier ministre [Benyamin Nétanyahou] ont qualifié la décision de grotesque, tandis que Tzipi Livni, la ministre de la Justice israélienne, déclarait sur son compte Facebook qu'elle n'avait que deux mots à dire sur le sujet : "Hapsu oti" – soit un "bonne chance" ironique et méprisant.

    Et ce sont là deux réactions relativement modérées.

    "Nous sommes dénoncés de toutes parts pour notre brutalité, notre cruauté, la disproportion de nos attaques, et vous vous dites : 'On s'en fout'. Qu'ils nous empêchent donc tous, sans exception, de prendre un avion, qu'ils fassent ce qui leur chante, car rien de ce qu'ils peuvent faire ne vaut la vie d'un seul soldat israélien", a écrit Ben Caspit, éditorialiste et homme de télévision très en vue, dans le journal Maariv.

    "L'enfant d'aujourd'hui est le terroriste de demain. Autant qu'il meure maintenant."

    Et ces lignes ne sont rien à côté de certaines réactions non censurées au bilan civil de l'opération. Dans la culture actuelle du web, on poste désormais sur Facebook ou dans les pages de commentaires des médias les opinions que l'on gardait auparavant pour soi. "Quatre enfants morts, c'est tout ? Dommage !" ; "L'enfant d'aujourd'hui est le terroriste de demain. Autant qu'il meure maintenant !" ; "Tel est le prix de la guerre. La prochaine fois, qu'ils ne viennent pas nous chercher." ; "Et alors ?" Certains accusent aussi le Hamas de mentir. Un autre commentaire, lui, relativise : "On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs."

    Ce sont évidemment des réactions extrémistes, qui ne sont pas représentatives de l'immense majorité de l'opinion israélienne. Beaucoup s'insurgent contre l'absurdité tragique de voir mourir des enfants, et ce dans les deux camps. Il n'empêche : il fut un temps en Israël où l'ordure était moins ordurière.

    Car le fait que des Israéliens puissent tenir ouvertement ce type de propos en dit long sur le glissement qui s'est opéré dans l'opinion ces dernières années.

    Auparavant, la mort accidentelle d'enfants – et même de civils en général – choquait. L'armée présentait des excuses, ou du moins rendait des comptes. Les médias en parlaient en long, en large et en travers.

    Dans l'Israël d'aujourd'hui, exprimer ne serait-ce qu'un doute sur la légitimité morale de notre armée est devenu un tel tabou que des groupes d'extrême droite, résolus à faire taire tous les suspects de "démoralisation", n'hésitent à se montrer violents. Parler simplement de victimes innocentes vous vaut d'être qualifié de "gauchiste" tenant un "discours de haine", y compris par des élus, comme la députée à la Knesset [le Parlement] Miri Regev.

    N'en concluons pas que la majorité des Israéliens n'ont que faire de la mort d'enfants. Mais si cela les choque, le fait est qu'ils n'en disent rien.

    N'en concluons pas qu'il n'est plus intolérable de tuer des enfants. Mais le fait est que c'était plus intolérable avant.

    Visiblement, plus il y a d'enfants parmi les victimes, moins l'on s'indigne.

    Il fut un temps où ces enfants avaient un nom, un visage même. C'est un fait.

    L'apathie totale est la dernière étape avant la haine.

    Cette apathie affichée, cette ignorance volontaire et confortable pourraient s'expliquer de bien des manières. Quand on est soi-même confronté à des attaques de roquettes quotidiennes, quand on craint pour la vie de ses propres enfants, il est parfois difficile d'avoir de la compassion pour l'autre camp, même pour des enfants. De plus, après plusieurs années sans qu'un seul pas soit fait en direction de la paix, un mélange de désespoir et de colère nous aura peut-être plongés dans un état d'indifférence collective. Le retrait unilatéral de Gaza a été un fiasco et a laissé le territoire se transformer en véritable "Hamastan", exactement comme l'annonçaient les opposants à ce retrait. Et alors que les roquettes tombent presque tous les jours sur le sud d'Israël, les critiques de la communauté internationale semblent ne viser qu'un seul camp. A cela s'ajoute, aussi, le virage très à droite pris par la vie politique en Israël au cours des dix dernières années, qui rend visiblement difficile le distinguo entre innocents et non innocents à Gaza.

    Quelle que soit la cause, le résultat est là : la mort accidentelle d'innocents au cours d'opérations militaires, longtemps considérée comme une conséquence tragique de la guerre contre le terrorisme, est devenue "moins grave".

    Si elle vient tout juste d'atteindre un palier, cette insensibilité couvait depuis des années. A chaque nouvel affrontement (à chaque époux, à chaque fils, à chaque proche, à chaque parent d'un ami, à chaque enfant perdu), les Israéliens ont été, peu à peu, de plus en plus nombreux à caparaçonner leurs émotions. Le risque, c'est qu'avec le temps ils soient aussi de plus en plus nombreux à passer d'une sensibilité moindre à une sensibilité nulle. Et l'apathie totale est la dernière étape avant la haine.

    Déjà, dans les marges de la société israélienne, on peut sans complexe poster sur Internet des commentaires haineux appelant à la vengeance et se réjouissant de la mort de civils, enfants compris : "Pourquoi vous nous parlez de ça ? Un instant, j'ai bien cru être arrivé sur le site du Hamas." ; "Bravo, détruisez Gaza !" ; "Quatre meurtriers psychopathes de moins, bon débarras." ; "Que le Hamas apprenne les noms [des enfants]." ; "On s'en fout !"

    Et, là non plus, la liste n'est pas exhaustive.


    HA'ARETZ | ASHER SCHECHTER
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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