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Le filon des passeports «Hadj» et l'Etat-Emirat qui se dessine

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    Le filon des passeports «Hadj» et l'Etat-Emirat qui se dessine

    par Kamel Daoud


    A Oran, 350 passeports «spécial Hadj» sont été offerts à une Zaouïa connue. Deux passeports ont été donnés au wali du coin. Le fameux document sert à s'allier des réseaux, clientéliser la notabilité locale, consolider les « liens » d'allégeance et se fabriquer de l'autorité politique. Dans sa ventilation de la rente, la monarchie du moment pense mieux se reposer sur les réseaux politico-religieux traditionnels que sur ses commis. Mélange entre la crise mystique de Bouteflika et le contournement des institutions officielles. Le Pouvoir a vaincu le Fis militairement mais pas idéologiquement. A la fin c'est le pouvoir qui s'est converti et qui joue au baisemain.

    Le cas des passeports de pèlerinage est un indice majeur et un outil puissant pour s'attacher des allégeances. Le régime formule Bouteflika a donc choisi de doper l'autorité des zaouïas au détriment des walis. C'est une profonde mutation qui s'est donc opérée, en mode clandestin. A un autre niveau, c'est vers les imams que se tournent les policiers pour régler les conflits de quartiers et les émeutes ou guerres de gang. Et, au-delà du sens évident, c'est la notion d'autorité qui change d'espace et de représentant : l'Etat, s'il en reste, abdique et consent désormais à partager sinon à être le sous-traitant d'une autorité symbolique qui n'est pas la sienne. L'Etat est devenu régime mais le régime se féodalise face à un clergé religieux investi de souveraineté. Du point de vue des dernières lois, la Mosquée n'est pas lieu de culte comme les autres, mais a déjà fonction d'association exceptionnelle et de « parti politique » que l'on sollicite pour la diffusion du discours politique ou électoral.

    Le phénomène des passeports de hadj n'est pas nouveau et sa transformation en rente est déjà vieille. Le nombre de ces documents accordés aux zaouïas est très important cependant, presque un monopole. Mais c'est la première fois, dit-on, que les walis en sont exclus d'une manière criarde. La zaouïas est aujourd'hui le lieu de négociation de l'autorité, l'interface et l'intercesseur : bien des hommes d'affaires et de hauts cadres à Oran s'y adressent pour obtenir audience au Palais d'El Mouradia ou régler à l'amiable un plan de carrière. On sait que Bouteflika est sensible aux astres, versets, cheikhs et Tariqa. En face, il méprise partis, armée, institutions, élections et coordinations. Contrairement à ce que l'on croit, l'islamisme horizontal rampant a d'abord touché la présidence dès la première crise de santé et s'est par la suite répandu par dégradation. La seule concession refusée à ce courant a été la nomination d'un mufti de la république. Là, le Roi ne veut pas de concurrent à son autorité et devienne qu'il y ouvrira porte à son déclassement.

    A la fin ? On s'étonne toujours de voir des Etats « arabes » laïcs finir en émirats en désordre. On se pose toujours la question d'où vient l'Islamiste et comment il contamine aussi vite les terres et les nations. On s'interroge sur le « comment on en arrive là » ? Et sur le « pourquoi les régimes arabes se sentent plus sécurisés en nourrissant les islamistes qui sont leur ruines et se sentent menacés par les courants laïcs et progressistes qu'ils pourchassent, harcèlent et surveillent ? Les gens du pouvoir sont-ils aussi aveugles en creusant leur propre tombe ? Réponse : Oui. Etrange suicide. Nourrir la bête qui vous mangera. On islamise la société, on la fait basculer dans le bigotisme pour mieux la dominer et l'immobiliser et l'asservir. C'est la vieille équation du moyen-âge : la monarchie s'allie toujours au clergé pour transformer la citoyen en serf. Et pourtant c'est le début de la fin.

    Etrange cas aussi pour nous : le régime algérien a retenu beaucoup de chose de l'ordre colonial et ses méthodes : y compris le recours aux zaouïas comme espace de sous-traitance et d'allégeance des indigènes.

    On finira donc en émirat un jour. On le prépare doucement par les écoles, les médias, les Echourouk et Ennahar et les passeports de Hadj, les Belkhadem et les prêches de rues et d'oreilles. C'est le grand virage entre Etat-nation et Etat-émirat. La consolidation de la croyance face à l'exercice de la citoyenneté. Le signe de l'abdication. La rouille profonde qui justement entame les fondations et transforme les ferveurs des décolonisations, dans les pays « arabes », en lents royaumes de la « Foi » et de la régence. Ce mouvement est profond dans notre aire : il a des avatars monstrueux en Irak avec Daech, et des formes softs avec l'émir du Croyant ou le croyant-Président. Ouyahia reçoit un Emir tueur en tenue d'Afghan, les zaouïas distribuent les passeport de Hadj, un Président se construit la plus grande mosquée de sa repentance ou des imams qui refusent de saluer le drapeau national. Tout est lié.

    Pour ceux qui cherchent les fameux passeports, le nom de la zaouïa à Oran est connu. Le pays remonte le temps : de 62 à 1832. La régence d'Alger, ses deys, beys et zaouïas pour les tribus profondes.

    par Kamel Daoud

    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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