La tête veut oublier ce qui s’est passé. Le plus souvent, elle y parvient. C’est le corps qui se souvient. Parfois, dans la rue, un rien fait sursauter, un pétard devient insupportable. La nuit, au contraire, c’est le silence qui inquiète quand il dure trop longtemps. « Alors, on se réveille en sursaut, comme par réflexe, en se demandant : “Qu’est-ce qui va nous tomber dessus ?” Les soirées de fusillades nous reviennent en flash. A l’époque, c’étaient nos préférées. On se disait : “Ils se battent entre eux, au moins on est tranquilles.” » Le professeur se tait et repose son assiette pleine d’un gros gâteau à la fraise. Ici, à Meftah, dans la Mitidja algérienne, à une trentaine de kilomètres de la capitale, certaines personnes n’arrivent plus à sortir de chez elles. Ça ne se soigne pas, disent des médecins de la ville.
Dans les années 1990, la région était surnommée « le triangle de la mort », considérée comme l’épicentre de la « sale guerre ». Je demande au professeur : « Et le soir du massacre à Sidi Hamed, vous étiez là ? » Dans le hameau, juste derrière Meftah, 103 personnes ont été égorgées le 11 janvier 1998, une des grandes tueries qui avaient glacé d’horreur le monde entier.
Le professeur me regarde : « On ne discute jamais de ça entre nous. »
J’insiste, peut-être ai-je tort. « D’après vous, qui a gagné cette guerre ? Qui l’a perdue ? »
Il n’a plus envie de me regarder. « L’histoire n’est pas encore écrite. C’est ça qui effraie. »
le monde;extrait
Dans les années 1990, la région était surnommée « le triangle de la mort », considérée comme l’épicentre de la « sale guerre ». Je demande au professeur : « Et le soir du massacre à Sidi Hamed, vous étiez là ? » Dans le hameau, juste derrière Meftah, 103 personnes ont été égorgées le 11 janvier 1998, une des grandes tueries qui avaient glacé d’horreur le monde entier.
Le professeur me regarde : « On ne discute jamais de ça entre nous. »
J’insiste, peut-être ai-je tort. « D’après vous, qui a gagné cette guerre ? Qui l’a perdue ? »
Il n’a plus envie de me regarder. « L’histoire n’est pas encore écrite. C’est ça qui effraie. »
le monde;extrait
Commentaire