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Le désir collectif de l'échec, l'autre constante nationale

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  • Le désir collectif de l'échec, l'autre constante nationale

    Cela doit avoir un nom dans le catalogue des névroses : chercher l'échec comme preuve et confirmation d'une vision fataliste du monde. Non pas attendre le naufrage, mais presque y pousser, le désirer ardemment, l'annoncer. Zoom sur le pessimisme national : on attend la mise à la porte d'au moins deux ministres neufs et intelligents : la ministre de l'Education, et celui des Affaires religieuses. C'est sûr, certain, attendu, voulu, désiré par l'âme malade de la nation. La raison ? Dépliage : ils travaillent. Dérangent l'ordre assis et le règne penché. Ils lancent. Pensent. Veulent. Préconisent mais aussi disent et se défendent dans la maison d'un régime sinistré. Trop neufs. Trop vite. Trop bien. C'est le syndrome Boudiaf : quand on va trop vite et dans la bonne direction, on récolte une balle dans le dos, un rideau et un cadavre, le sien propre.

    Nouria Benghebrit a bonne légende : elle semble vouloir faire sortir l'école algérienne de son désastre. Elle a donc contre elle des syndicats, un courant conservateur puissant, l'immobilisme, le reliquat Benbouzid et la gravité. Cette loi de l'attraction algérienne : tout ce qui brille, tombe. L'esprit pessimiste ambiant attend donc qu'elle soit remerciée. Le Président qui l'a nommée n'a pas prononcé un mot, même par lecture de message à l'occasion de la journée mondiale de la journée mondiale, pour la soutenir contre ses détracteurs. La loi du fatalisme national attend donc qu'elle parte. Elle ne peut pas. La règle est d'échouer pas de réussir. Le mythe algérien est celui du génie mal compris, licencié et coincé dans l'angle mort de l'aigreur. Elle le doit. On ne peut pas/ne doit pas s'en sortir. Il n'y pas de guérison. Il faut que l'on tombe en feuilles mortes. Cela n'est pas possible. Une réussite singulière mettra à mal l'ordre de notre monde.

    Autant pour Aissa Mohammed, ministre des Cultes. Le ministre a brillé, donc il mourra en crépuscule comme les soleils. Il a contre lui les conservateurs, les religieux associés, les salafistes, les zaouïas, des imams et les journaux jaunes et les parasites de la cause palestinienne. Il préconise de la modernité dans l'antre des accroupis. Il devra partir. Cela confirmera les élites méfiantes dans leur discours de l'inutilité de lever le doigt dans le pays du bras. Cela aidera à consommer un désastre profond, plus rapidement. Désir de recommencement par l'absolue destruction. L'œuvre au noir des alchimistes.

    Deux exemples, mais pas seulement. Le mythe algérien fonctionne sur la confirmation de l'échec, par l'échec. C'est une variante biblique : on vous mord (pas la pomme), vous tombez, infiniment. On a un besoin presque physique d'échouer. Cela conforte, dédouane, repose. L'Algérie a ce ceci de prométhéen : le voleur de feux aux Dieux, meurt dans une retraite, attaché à un gémissement et à un sourire jaune, le foie dévoré par la lecture des journaux et le café noir. C'est le récit collectif depuis l'indépendance : on est trahi par les siens, toujours. Le don est une dent des autres. Le lumineux, l'audacieux meurt chez lui, dans la grotte avec Ibn Khaldoun ou en exil, comme l'émir Abd El Kader. C'est notre récit national : notre génie est une trahison du génie, veut la loi intime de notre douleur. C'est le nœud à briser. Tout ce qui brille, tombe. Et tout ce qui tombe, brille longuement, avec tristesse. On désire presque que ces deux ministre soient remerciés : cela nous aidera à ne rien faire et ne pas s'en sentir coupables.

    Il y a une archéologie à faire dans nos imaginaires de l'échec. On y retrouvera de l'or perdu, peut-être. Et les moyens de comprendre pourquoi nous attendons tous une meilleure catastrophe que la précédente.

    par Kamel Daoud
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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