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Mario Draghi défie Angela Merkel

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  • Mario Draghi défie Angela Merkel

    Le discours qu'a prononcé vendredi Mario Draghi lors de la traditionnelle réunion des banquiers centraux à Jackson Hole, dans le Wyoming, représente très clairement une inflexion dans la doctrine officielle de la BCE. Il marque sans doute une nouvelle date clé dans le mandat de l'Italien après son discours de juillet 2012 où il promettait de « faire tout » pour sauver l'euro. Et cette fois, il entre très clairement en conflit avec l'Allemagne d'Angela Merkel.

    Certes, Mario Draghi ne s'est pas mué ce vendredi dans les vallées verdoyantes du Wyoming en Joseph Stiglitz. Il n'est pas devenu néo-keynésien et il prône toujours une politique centrée sur l'offre. Dans le milieu feutré des banquiers centraux, et dans le contexte très sensibles des équilibres internes de la BCE, les évolutions ne peuvent se faire que progressivement, pas à pas. Mais ce pas réalisé par l'Italien à Jackson Hole est assez considérable.

    La logique passée de la BCE
    Jusqu'ici, la BCE avait une logique simple : elle « accompagnait » la politique déflationniste des Etats confrontés à la « nécessaire consolidation » de leurs budgets et à la « correction des excès du passé. » La BCE devait « compenser » par une politique accommodante les effets négatifs de ces politiques. C'était sur ce principe que l'Allemagne et la Bundesbank avait accepté les séries de baisses des taux et les mesures exceptionnelles de création monétaire annoncées le 2 juin dernier. C'est pourquoi, à chaque conférence de presse, le président de la BCE invitait les Etats à consolider leurs budgets.

    Echec de la politique européenne
    L'ennui, c'est que cette stratégie ne fonctionne pas. L'impact sur la demande de la logique des politiques européennes a été tel que la zone euro ne parvient pas à sortir du marasme et que la menace déflationniste reste entière. Les mesures de la BCE se sont ainsi révélées incapables de « compenser » ces effets. En un an, les taux ont été ramenés de 0,75 % à 0,10 %, le taux de dépôt a été placé en territoire négatif à -0,1 %, un programme d'accès à la liquidité à long terme, le TLTRO, a été décidé. Et pourtant, la croissance reste chaotique et minimale et le taux d'inflation ne cesse de s'abaisser. Bref, Mario Draghi est confronté à l'échec de sa politique et sa propre impuissance.

    Un changement de logique
    Si la BCE pressait le pas et se lançait dans un rachat massif d'actifs - le fameux Quantitative Easing - dans les conditions actuelles, elle serait sans doute confrontée au même problème. Dès lors, cet argent créé menacerait de ne servir qu'à alimenter des bulles sur certains actifs : les titres souverains, l'immobilier allemand ou les actions... Mario Draghi n'en veut pas. Dès lors, il lui faut changer de logique : désormais, il demande que les Etats « accompagnent » la politique de la BCE afin de la rendre plus efficace. « Il serait utile (...) si la politique budgétaire pouvait jouer un plus grand rôle aux côté de la politique monétaire, et je crois qu'il y a des marges de manœuvre pour cela », a indiqué le président de la BCE dans son discours.

    Certes, il n'est pas question de promouvoir une vaste politique de relance. Mais ce mouvement n'est pas anodin. Car cette phrase représente un changement majeur de logique à Francfort. Et si Mario Draghi s'est bien gardé d'invoquer un prochain QE européen, c'est aussi parce que, selon lui, ce QE n'aurait de sens que dans le cadre d'un effort partagé entre la BCE et les gouvernements.

    Mario Draghi veut sauver l'euro
    Le président de la BCE reste dans la logique qui est celle de 2012 : sauver l'euro. Il sait que si la zone euro poursuit cette politique, elle ne pourra plus éviter la déflation. Dans ce cas, il sera bien difficile de professer les avantages de la monnaie unique et de menacer les pays d'une inflation qu'ils souhaiteront tous hardiment. Pour Mario Draghi, le sauvetage de l'euro passe donc désormais par une adaptation du pacte de stabilité aux réalités. Pour lui, « la flexibilité existante du pacte de stabilité doit être utilisée pour mieux faire face à la reprise faible et aux coûts des réformes structurelles. » Mario Draghi estime aussi qu'une meilleure coordination des politiques budgétaires est nécessaire. Autrement dit, ceux qui le peuvent doivent dépenser plus pour compenser la consolidation des autres. Enfin, il réclame des baisses d'impôts et soutient le plan d'investissement proposé par Jean-Claude Juncker.

    Berlin résiste à toute flexibilité du pacte de stabilité
    Chacune de ces propositions est une épine plantée dans le cœur de la doxa allemande. Certes, Mario Draghi ne peut accepter la remise en cause du pacte de stabilité. Mais son appel à prendre en compte le « coût de réformes » fait écho aux propositions du vice-chancelier allemand social-démocrate Sigmar Gabriel qui, en juin, avait soutenu Matteo Renzi et la France. Et avait essuyé une fin de non recevoir de la part du couple Merkel-Schäuble. Après le conseil européen de juin dernier qui s'en était tenu à de bonnes paroles sur la « flexibilité » du pacte de stabilité, Wolfgang Schäuble avait multiplié les interviews pour préciser que la flexibilité ne devait pas signifier la fin de la consolidation budgétaire. Il n'avait jamais manqué une occasion pour rappeler son credo : la croissance saine viendra après la réduction des déficits. Voici 5 jours à Lindau, la chancelière a encore insisté sur la nécessité de sanctionner ceux qui « enfreignent les règles » budgétaires.

    Pas de politique budgétaire

    Quant au « rééquilibrage » de l'économie allemande par une politique budgétaire plus lâche de l'Allemagne, il n'est pas à l'ordre du jour. Wolfgang Schäuble a présenté un projet de maintien à l'équilibre du budget fédéral sur les 5 prochaines années. Sa priorité n'est pas la relance, mais la réduction de la dette, ce qui, compte tenu de la démographie allemande est logique. L'introduction du salaire minimum outre-Rhin, ne devrait pas, si l'on en croit la plupart des études, avoir un impact notable sur la demande intérieure. Au final, la présence des Sociaux-démocrates dans le gouvernement allemand n'a pas fait évoluer la politique économique allemande.

    Pas de changement en vue en zone euro
    Mario Draghi semble donc désormais défier Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. Ou du moins appeler à une prise de conscience outre-Rhin. Sera-ce suffisant ? Rien n'est moins sûr. Le remaniement français vient une nouvelle fois montrer que Paris refuse tout défi à Berlin. Madrid reste un allié sûr d'Angela Merkel. Quant à Jean-Claude Juncker, sa bonne volonté ne doit pas faire oublier qu'il est le candidat deux fois choisi par Angela Merkel. Mario Draghi pourrait bien ne pas être entendu...

    L'AUTEUR
    Romaric Godin
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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