Spéculations et rumeurs sur la succession en Arabie saoudite - Le prince héritier en visite en France
Lundi 1 Septembre 2014
Le caractère gérontocratique du pouvoir provoque toujours les mêmes clichés : l’âge des candidats au trône entraînerait une série de règnes courts par des monarques diminués et de féroces luttes de clans en coulisse, chacun d’entre eux manœuvrant pour placer tel ou tel fils dans la course à l’inévitable accession au pouvoir de la deuxième génération de princes. En outre le prince Salman, à en croire les spécialistes autoproclamés du royaume, serait atteint de la maladie d’Alzheimer. La grande puissance du Golfe serait ainsi gouvernée par un roi de 90 ans, lui-même malade, Abdallah, et un successeur de 78 ans qui ne vaudrait guère mieux, tandis que leurs fils respectifs passeraient leur temps à ourdir des complots.
La réalité est moins excitante, malheureusement pour les amateurs de conspirations. La succession paraît assurée, et pour un certain nombre d’années, vu la longévité des Saoud. Le troisième homme en ligne de succession, le prince Mouqrin, déjà désigné, a 68 ans. Quant à s’attarder sur l’âge du roi et sur la santé de son second, c’est oublier que de Franklin D. Roosevelt à François Mitterrand, le poids des ans et la maladie ont rarement empêché des hommes déterminés de gouverner, voire les ont plutôt stimulés.
Pour comprendre les enjeux de la succession saoudienne, il faut rappeler que le pouvoir s’est transmis jusqu’ici non de père en fils, mais horizontalement, entre les fils du fondateur du royaume moderne en 1932,le roi Abdelaziz Ibn Saoud, décédé en 1953. Seuls les fils ont, pour l’instant, accédé au trône, même si la deuxième génération commence à occuper des postes importants. La règle de succession est assez floue. Édictée tardivement par le roi Fahd en 1992, la loi fondamentale dit simplement que le trône doit aller « au plus apte des enfants et des petits-enfants d’Abdelaziz ». Il n’existe pas d’ordre de succession. Des princes ont « sauté leur tour » parce que la responsabilité suprême ne les intéressait pas ou qu’ils en étaient jugés incapables par le conseil de famille informel, qui décidait dans le secret.
Le roi Abdallah a tenté de rationaliser le système. En 2006, il a mis en place un Conseil d’allégeance qui rassemble des représentants de toutes les branches de la famille royale, fils ou petit-fils d’Abdelaziz. Le Conseil est assorti d’une commission médicale chargée de délivrer un certificat d’aptitude au nouveau prince héritier. Il est permis de douter du pouvoir réel de cette institution. De l’avis des vrais connaisseurs de l’Arabie, les décisions se prennent toujours dans un cercle familial restreint. Et à la fin, le consensus règne. La préservation du règne sans partage de la famille reste le premier objectif des Saoud.
Les principaux fils d’Abdelaziz Ibn Saoud (1876-1953) Saoud 1902-1969 Roi de 1953 à 1964. Fayçal 1906-1975 Roi de 1964 à 1975, ministre des affaires étrangères de 1930 à sa mort (a conservé le ministère quand il était roi). Khaled 1913-1982 Roi de 1975 à 1982. Fahd 1920-2005 Roi de 1982 à 2005. Abdallah 1924 Roi actuel. Sultan 1928-2011 Ministre de la défense, prince héritier de 2005 à 2011. Abdul Rahman 1931 Vice-ministre de la défense de 1978 à novembre 2011. Limogé par Abdallah. Talal 1931 Leader des « princes libres » ou « princes rouges » nassériens dans les années 1960. Depuis lors, il est devenu une sorte d’opposant officiel, sans réelle influence. Il a plusieurs fois demandé le passage à une monarchie constitutionnelle. En 2012, le prince Talal a protesté contre la nomination du prince Salman comme prince héritier, affirmant que le Conseil d’allégeance n’avait pas été consulté. Mutaib ou Mitab 1931 Ministre des affaires municipales et rurales de 1980 à 2009. À ne pas confondre avec Mitab Ben Abdallah, fils du présent roi. Nawwaf 1932 Chef des services de renseignements de 2001 à 2005. Conseiller et envoyé spécial du roi Abdallah avec rang de ministre. Nayef 1933-2012 Ministre de l’intérieur, prince héritier d’octobre 2011 à juin 2012, date de son décès. Turki 1934 Ancien vice-ministre de la défense, dissident, hors jeu à cause de divers scandales. Salman 1935 Actuel prince héritier depuis la mort de Nayef, en même temps ministre de la défense. Ahmed 1942 Vice-ministre de l’intérieur de 1975 à 2012, puis ministre de l’intérieur de juin 2012 (à la mort de Nayef) au 5 novembre 2012, où il a été remplacé par Mohammed Ben Nayef. Mouqrin 1945 Deuxième vice-premier ministre, vice-prince héritier. Conseiller et envoyé spécial du roi Abdallah pour l’Asie, avec rang de ministre. Première carrière dans l’armée de l’air. Pilote, il deviendra chef des opérations, puis gouverneur de Médine. Chef des renseignements de 2005 à juillet 2012.
Ceux qui savent ne parlent pas
Ces débats se déroulent dans un secret presque absolu. Les spéculations peuvent dès lors se donner libre court, n’étant jamais démenties. Ces supputations sont devenues un genre à part entière dans les journaux, les médias sociaux — et dans un petit cercle faisant commerce de son expertise supposée — rappelant régulièrement le bien-fondé de l’adage en vogue parmi les connaisseurs du royaume : en Arabie saoudite, ceux qui savent ne parlent pas, et ceux qui parlent ne savent pas.
L’année écoulée a vu une accélération de ce moulin à rumeurs. Un scénario a largement circulé. Le prince Mouqrin, successeur naturel, allait être évincé. Le roi Abdallah souhaitait le remplacer par son fils, le prince Mitab, commandant avec rang de ministre de la Garde nationale, une véritable armée de 125 000 hommes dotée de son propre budget. Une révolution qui aurait mis fin à une tradition bien établie. Pour la comprendre, il faut savoir qu’en Arabie saoudite le roi, qui est également premier ministre, règne et gouverne. Il est flanqué d’un vice-premier ministre, qui est aussi son successeur désigné, recevant automatiquement le titre de prince héritier. C’est aujourd’hui le prince Salman, le visiteur parisien. Enfin, la plupart du temps, un « second vice-premier ministre » est nommé par le roi. Ce poste a été créé par le roi Fayçal quand il a unifié le titre de roi et celui de premier ministre. Le roi Fahd a été le premier à l’occuper. Il n’est pas écrit que ce troisième homme deviendra prince héritier à la mort du roi, mais ce fut toujours le cas jusqu’ici.
Selon un scénario en vogue, le roi se préparerait à voir disparaître avant lui son prince héritier et en profiterait pour placer son fils de son vivant. Un « plan B » a également circulé : dans le cas où le roi Abdallah mourrait le premier, Salman une fois adoubé écarterait Mouqrin pour nommer l’un de ses frères, Ahmad, ou un membre de la deuxième génération, Mohammed Ben Nayef, le très puissant ministre de l’intérieur, qui a succédé à ce poste à son père Nayef, qui fut prince héritier, à sa mort en juin 2012.
Lundi 1 Septembre 2014
Le caractère gérontocratique du pouvoir provoque toujours les mêmes clichés : l’âge des candidats au trône entraînerait une série de règnes courts par des monarques diminués et de féroces luttes de clans en coulisse, chacun d’entre eux manœuvrant pour placer tel ou tel fils dans la course à l’inévitable accession au pouvoir de la deuxième génération de princes. En outre le prince Salman, à en croire les spécialistes autoproclamés du royaume, serait atteint de la maladie d’Alzheimer. La grande puissance du Golfe serait ainsi gouvernée par un roi de 90 ans, lui-même malade, Abdallah, et un successeur de 78 ans qui ne vaudrait guère mieux, tandis que leurs fils respectifs passeraient leur temps à ourdir des complots.
La réalité est moins excitante, malheureusement pour les amateurs de conspirations. La succession paraît assurée, et pour un certain nombre d’années, vu la longévité des Saoud. Le troisième homme en ligne de succession, le prince Mouqrin, déjà désigné, a 68 ans. Quant à s’attarder sur l’âge du roi et sur la santé de son second, c’est oublier que de Franklin D. Roosevelt à François Mitterrand, le poids des ans et la maladie ont rarement empêché des hommes déterminés de gouverner, voire les ont plutôt stimulés.
Pour comprendre les enjeux de la succession saoudienne, il faut rappeler que le pouvoir s’est transmis jusqu’ici non de père en fils, mais horizontalement, entre les fils du fondateur du royaume moderne en 1932,le roi Abdelaziz Ibn Saoud, décédé en 1953. Seuls les fils ont, pour l’instant, accédé au trône, même si la deuxième génération commence à occuper des postes importants. La règle de succession est assez floue. Édictée tardivement par le roi Fahd en 1992, la loi fondamentale dit simplement que le trône doit aller « au plus apte des enfants et des petits-enfants d’Abdelaziz ». Il n’existe pas d’ordre de succession. Des princes ont « sauté leur tour » parce que la responsabilité suprême ne les intéressait pas ou qu’ils en étaient jugés incapables par le conseil de famille informel, qui décidait dans le secret.
Le roi Abdallah a tenté de rationaliser le système. En 2006, il a mis en place un Conseil d’allégeance qui rassemble des représentants de toutes les branches de la famille royale, fils ou petit-fils d’Abdelaziz. Le Conseil est assorti d’une commission médicale chargée de délivrer un certificat d’aptitude au nouveau prince héritier. Il est permis de douter du pouvoir réel de cette institution. De l’avis des vrais connaisseurs de l’Arabie, les décisions se prennent toujours dans un cercle familial restreint. Et à la fin, le consensus règne. La préservation du règne sans partage de la famille reste le premier objectif des Saoud.
Les principaux fils d’Abdelaziz Ibn Saoud (1876-1953) Saoud 1902-1969 Roi de 1953 à 1964. Fayçal 1906-1975 Roi de 1964 à 1975, ministre des affaires étrangères de 1930 à sa mort (a conservé le ministère quand il était roi). Khaled 1913-1982 Roi de 1975 à 1982. Fahd 1920-2005 Roi de 1982 à 2005. Abdallah 1924 Roi actuel. Sultan 1928-2011 Ministre de la défense, prince héritier de 2005 à 2011. Abdul Rahman 1931 Vice-ministre de la défense de 1978 à novembre 2011. Limogé par Abdallah. Talal 1931 Leader des « princes libres » ou « princes rouges » nassériens dans les années 1960. Depuis lors, il est devenu une sorte d’opposant officiel, sans réelle influence. Il a plusieurs fois demandé le passage à une monarchie constitutionnelle. En 2012, le prince Talal a protesté contre la nomination du prince Salman comme prince héritier, affirmant que le Conseil d’allégeance n’avait pas été consulté. Mutaib ou Mitab 1931 Ministre des affaires municipales et rurales de 1980 à 2009. À ne pas confondre avec Mitab Ben Abdallah, fils du présent roi. Nawwaf 1932 Chef des services de renseignements de 2001 à 2005. Conseiller et envoyé spécial du roi Abdallah avec rang de ministre. Nayef 1933-2012 Ministre de l’intérieur, prince héritier d’octobre 2011 à juin 2012, date de son décès. Turki 1934 Ancien vice-ministre de la défense, dissident, hors jeu à cause de divers scandales. Salman 1935 Actuel prince héritier depuis la mort de Nayef, en même temps ministre de la défense. Ahmed 1942 Vice-ministre de l’intérieur de 1975 à 2012, puis ministre de l’intérieur de juin 2012 (à la mort de Nayef) au 5 novembre 2012, où il a été remplacé par Mohammed Ben Nayef. Mouqrin 1945 Deuxième vice-premier ministre, vice-prince héritier. Conseiller et envoyé spécial du roi Abdallah pour l’Asie, avec rang de ministre. Première carrière dans l’armée de l’air. Pilote, il deviendra chef des opérations, puis gouverneur de Médine. Chef des renseignements de 2005 à juillet 2012.
Ceux qui savent ne parlent pas
Ces débats se déroulent dans un secret presque absolu. Les spéculations peuvent dès lors se donner libre court, n’étant jamais démenties. Ces supputations sont devenues un genre à part entière dans les journaux, les médias sociaux — et dans un petit cercle faisant commerce de son expertise supposée — rappelant régulièrement le bien-fondé de l’adage en vogue parmi les connaisseurs du royaume : en Arabie saoudite, ceux qui savent ne parlent pas, et ceux qui parlent ne savent pas.
L’année écoulée a vu une accélération de ce moulin à rumeurs. Un scénario a largement circulé. Le prince Mouqrin, successeur naturel, allait être évincé. Le roi Abdallah souhaitait le remplacer par son fils, le prince Mitab, commandant avec rang de ministre de la Garde nationale, une véritable armée de 125 000 hommes dotée de son propre budget. Une révolution qui aurait mis fin à une tradition bien établie. Pour la comprendre, il faut savoir qu’en Arabie saoudite le roi, qui est également premier ministre, règne et gouverne. Il est flanqué d’un vice-premier ministre, qui est aussi son successeur désigné, recevant automatiquement le titre de prince héritier. C’est aujourd’hui le prince Salman, le visiteur parisien. Enfin, la plupart du temps, un « second vice-premier ministre » est nommé par le roi. Ce poste a été créé par le roi Fayçal quand il a unifié le titre de roi et celui de premier ministre. Le roi Fahd a été le premier à l’occuper. Il n’est pas écrit que ce troisième homme deviendra prince héritier à la mort du roi, mais ce fut toujours le cas jusqu’ici.
Selon un scénario en vogue, le roi se préparerait à voir disparaître avant lui son prince héritier et en profiterait pour placer son fils de son vivant. Un « plan B » a également circulé : dans le cas où le roi Abdallah mourrait le premier, Salman une fois adoubé écarterait Mouqrin pour nommer l’un de ses frères, Ahmad, ou un membre de la deuxième génération, Mohammed Ben Nayef, le très puissant ministre de l’intérieur, qui a succédé à ce poste à son père Nayef, qui fut prince héritier, à sa mort en juin 2012.
Commentaire