Confronté à une jeunesse en mal d'emploi, le régime de Bouteflika achète la paix sociale à coups de crédits gratuits. Cette politique a provoqué une floraison de micro-entreprises très précaires. Le tout financé par la manne des hydrocarbures, qui commence à se tarir.
Mourad a emprunté 28 500 euros afin d'acquérir un grand fourgon et devenir transporteur. Aujourd'hui, il ne peut rembourser ses dettes: "Je dépense plus que je ne gagne."
A la nuit tombée, dans cette banlieue d'Alger, seuls de pâles réverbères éclairent la chaussée. Dans l'ombre, sur la banquette arrière d'une voiture ordinaire, Samir (1) esquisse un sourire lorsqu'un véhicule de police passe dans la rue. "Je n'ai pas peur d'aller en prison", chuchote-t-il. En 2012, le jeune homme, âgé de 28 ans, était censé ouvrir une boulangerie.
Grâce à un certificat professionnel bidon et au devis d'un fournisseur véreux, il obtient alors 60000 euros de l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes (Ansej), une structure étatique qui distribue des crédits aux chômeurs créant leur micro-entreprise. Curieusement, alors que c'est la règle, personne ne vient vérifier si le matériel est bien livré. Tant mieux pour lui, car Samir ne pétrit pas la pâte à pain dès les lueurs de l'aube : il dirige un petit business de voitures d'occasion venues d'Europe et un autre de chaussures orthopédiques.
Qu'importe si près d'un tiers des bénéficiaires ne remboursent pas leurs dettes et qu'il y ait, parmi eux, quelques brebis galeuses... Dans ce pays où 25 millions d'habitants (sur 38 millions) ont moins de 35 ans, le régime vieillissant d'Abdelaziz Bouteflika ne cesse d'encourager les jeunes à demander des crédits pour devenir "entrepreneur".
Lors de sa création, en 1996, les objectifs de l'Ansej étaient de résorber le chômage, de réduire le travail au noir et de les empêcher de fuir à l'étranger. Ces derniers temps, le dispositif sert surtout à calmer la rue et à assurer la pérennité du pouvoir. "Depuis les révolutions arabes de 2011 et les manifestations de chômeurs dans le sud du pays, en 2013, l'Etat algérien multiplie les prêts quasi gratuits pour acheter la paix sociale", explique Rachid Malaoui, patron du Snapap, un syndicat autonome.
Le gouvernement a réduit à zéro le taux d'intérêt, limité à presque rien l'apport personnel et allongé les délais de remboursement. Les banques publiques, de leur côté, ont reçu des instructions pour attribuer les crédits - qu'elles financent à hauteur de 70%. Les porteurs de projet sont exonérés d'impôts, pendant trois ans dans le nord du pays, dix ans dans le sud, où le chômage est plus élevé. S'ils ne paient pas, un fonds de garantie se charge de rembourser les banques. Ce qui place les mauvais payeurs à l'abri des poursuites judiciaires...
"On ne trouve plus de manoeuvres"
Selon la direction de l'Ansej, 300 000 "entreprises" et quelque 730000 emplois ont ainsi été créés depuis l'origine, ce qui n'est pas négligeable. Le problème, c'est que ces sociétés sont artificielles et peu productives : la grande majorité d'entre elles se trouve dans le secteur des services, en particulier celui du transport. En 2011 et en 2012, près de 1 projet sur 2 financés par l'Ansej ou le Cnac (un organisme similaire pour les chômeurs de plus de 35 ans) relève de ce domaine d'activité - ce qui représente plus de 40000 véhicules par an. Ils sont, par exemple, trois fois moins nombreux à investir dans le BTP, alors que le bâtiment crée davantage d'emplois. "Cela ne fait pas la fortune de l'Algérie, mais celle des importateurs !" peste un - véritable - chef d'entreprise.
Grâce aux 27 000 euros prêtés par l'Etat, Rafik a ouvert un cabinet vétérinaire. "Je me tue à la tâche, mais c'est payant."
© Bachir Belhadj pour L'Express
Pour les Algériens, qui peuvent emprunter jusqu'à 10 millions de dinars (93 000 euros environ), la manne est trop belle. Munis de leur permis de conduire comme seule qualification, des dizaines de milliers de jeunes ont acheté des fourgonnettes, des minibus, des camions frigorifiques, des taxis ou des voitures pour la location. Certains se sont offert des sportives ou des 4×4 avec lesquels ils friment dans leur quartier, sans aucune intention de rembourser. D'autres ont revendu le véhicule afin de se payer un visa pour l'Europe ou le Canada.
Le système attire aussi des Franco-Algériens de la banlieue parisienne. "Tout le monde cherche à tirer un profit maximal de la faiblesse du pouvoir en exigeant sa part de la rente pétrolière, tonne le syndicaliste Rachid Malaoui. Le gouvernement encourage l'émergence d'entrepreneurs et non de travailleurs. Résultat : on ne trouve plus de manoeuvres !" L'économiste Zoubir Benhamouche dénonce une politique "populiste" : "Croire qu'un jeune chômeur sans qualification peut créer sa propre entreprise est une idée fausse."
Les largesses de l'État
Un grand patron, bien introduit dans les cercles économiques, se fait l'avocat du pouvoir, sans être dupe : "On pourrait penser que, pour l'Algérie, l'économie et la création d'emplois et de richesse sont une priorité. Mais, pour nos dirigeants, la préoccupation principale reste la stabilité du pays. Après les souffrances qu'il a endurées durant la guerre civile des années 1990, le peuple a le droit de profiter de certaines largesses de l'Etat.
Mourad a emprunté 28 500 euros afin d'acquérir un grand fourgon et devenir transporteur. Aujourd'hui, il ne peut rembourser ses dettes: "Je dépense plus que je ne gagne."
A la nuit tombée, dans cette banlieue d'Alger, seuls de pâles réverbères éclairent la chaussée. Dans l'ombre, sur la banquette arrière d'une voiture ordinaire, Samir (1) esquisse un sourire lorsqu'un véhicule de police passe dans la rue. "Je n'ai pas peur d'aller en prison", chuchote-t-il. En 2012, le jeune homme, âgé de 28 ans, était censé ouvrir une boulangerie.
Grâce à un certificat professionnel bidon et au devis d'un fournisseur véreux, il obtient alors 60000 euros de l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes (Ansej), une structure étatique qui distribue des crédits aux chômeurs créant leur micro-entreprise. Curieusement, alors que c'est la règle, personne ne vient vérifier si le matériel est bien livré. Tant mieux pour lui, car Samir ne pétrit pas la pâte à pain dès les lueurs de l'aube : il dirige un petit business de voitures d'occasion venues d'Europe et un autre de chaussures orthopédiques.
Qu'importe si près d'un tiers des bénéficiaires ne remboursent pas leurs dettes et qu'il y ait, parmi eux, quelques brebis galeuses... Dans ce pays où 25 millions d'habitants (sur 38 millions) ont moins de 35 ans, le régime vieillissant d'Abdelaziz Bouteflika ne cesse d'encourager les jeunes à demander des crédits pour devenir "entrepreneur".
Lors de sa création, en 1996, les objectifs de l'Ansej étaient de résorber le chômage, de réduire le travail au noir et de les empêcher de fuir à l'étranger. Ces derniers temps, le dispositif sert surtout à calmer la rue et à assurer la pérennité du pouvoir. "Depuis les révolutions arabes de 2011 et les manifestations de chômeurs dans le sud du pays, en 2013, l'Etat algérien multiplie les prêts quasi gratuits pour acheter la paix sociale", explique Rachid Malaoui, patron du Snapap, un syndicat autonome.
Le gouvernement a réduit à zéro le taux d'intérêt, limité à presque rien l'apport personnel et allongé les délais de remboursement. Les banques publiques, de leur côté, ont reçu des instructions pour attribuer les crédits - qu'elles financent à hauteur de 70%. Les porteurs de projet sont exonérés d'impôts, pendant trois ans dans le nord du pays, dix ans dans le sud, où le chômage est plus élevé. S'ils ne paient pas, un fonds de garantie se charge de rembourser les banques. Ce qui place les mauvais payeurs à l'abri des poursuites judiciaires...
"On ne trouve plus de manoeuvres"
Selon la direction de l'Ansej, 300 000 "entreprises" et quelque 730000 emplois ont ainsi été créés depuis l'origine, ce qui n'est pas négligeable. Le problème, c'est que ces sociétés sont artificielles et peu productives : la grande majorité d'entre elles se trouve dans le secteur des services, en particulier celui du transport. En 2011 et en 2012, près de 1 projet sur 2 financés par l'Ansej ou le Cnac (un organisme similaire pour les chômeurs de plus de 35 ans) relève de ce domaine d'activité - ce qui représente plus de 40000 véhicules par an. Ils sont, par exemple, trois fois moins nombreux à investir dans le BTP, alors que le bâtiment crée davantage d'emplois. "Cela ne fait pas la fortune de l'Algérie, mais celle des importateurs !" peste un - véritable - chef d'entreprise.
Grâce aux 27 000 euros prêtés par l'Etat, Rafik a ouvert un cabinet vétérinaire. "Je me tue à la tâche, mais c'est payant."
© Bachir Belhadj pour L'Express
Pour les Algériens, qui peuvent emprunter jusqu'à 10 millions de dinars (93 000 euros environ), la manne est trop belle. Munis de leur permis de conduire comme seule qualification, des dizaines de milliers de jeunes ont acheté des fourgonnettes, des minibus, des camions frigorifiques, des taxis ou des voitures pour la location. Certains se sont offert des sportives ou des 4×4 avec lesquels ils friment dans leur quartier, sans aucune intention de rembourser. D'autres ont revendu le véhicule afin de se payer un visa pour l'Europe ou le Canada.
Le système attire aussi des Franco-Algériens de la banlieue parisienne. "Tout le monde cherche à tirer un profit maximal de la faiblesse du pouvoir en exigeant sa part de la rente pétrolière, tonne le syndicaliste Rachid Malaoui. Le gouvernement encourage l'émergence d'entrepreneurs et non de travailleurs. Résultat : on ne trouve plus de manoeuvres !" L'économiste Zoubir Benhamouche dénonce une politique "populiste" : "Croire qu'un jeune chômeur sans qualification peut créer sa propre entreprise est une idée fausse."
Les largesses de l'État
Un grand patron, bien introduit dans les cercles économiques, se fait l'avocat du pouvoir, sans être dupe : "On pourrait penser que, pour l'Algérie, l'économie et la création d'emplois et de richesse sont une priorité. Mais, pour nos dirigeants, la préoccupation principale reste la stabilité du pays. Après les souffrances qu'il a endurées durant la guerre civile des années 1990, le peuple a le droit de profiter de certaines largesses de l'Etat.
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