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Croissance économique : le coup de la panne…

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  • Croissance économique : le coup de la panne…

    Elle est là, tout près, certains la voient même venir de loin : la croissance. Paradigme des économies capitalistes, elle est devenue un fétiche des politiques modernes que l'on agite régulièrement pour calmer des peuples impatients. Dans sa dernière livraison, le mensuel "Alternatives économiques" se demande si les périodes dîtes glorieuses n'ont pas été seulement des accidents dans une histoire longue à la croissance très molle.

    Les économies capitalistes s’y attachent comme à un fétiche, un gri-gri aux effets magiques devenu de plus en plus insaisissable, mais qui reste l’unique objectif de tout projet politique. Le Dieu croissance nous échappe, mais continue à hanter nos sociétés (« Où t'es, Croissance où t'es ? ») sans qu’on ne soit plus tout à fait sûr de sa véritable efficience.

    Si la croissance économique a véritablement porté nos économies, dopé nos niveaux de vie au rythme des révolutions industrielle des XVIII et XIXe siècles (chemin de fer, télégraphe, électricité, téléphone, avion, etc.), depuis les années 1960, la croissance est une denrée rare qui s’autorise quelques brefs et discrets retours. Au point que certains économistes se demandent si ces « glorieuses » décennies ne furent pas seulement des accidents de l’histoire.

    Dans son numéro de septembre, le mensuel Alternatives économiques pose brutalement la question « la croissance peut-elle revenir ? » et tente d’y apporter une réponse dans un long dossier. L’économiste Robert Gordon a émis de sérieux doutes à ce sujet. Principale thèse de l’auteur : « Les progrès rapides réalisés au cours des 250 dernières années pourraient bien représenter un épisode unique de l’histoire humaine ».

    En tout cas, l’idée d’une croissance régulière et illimitée depuis la nuit des temps marchands est une pure construction. Pendant la plus grande partie de l'histoire humaine, la production par tête n'a quasiment pas augmenté. La seule croissance enregistrée résultait de l'augmentation de la population. Deux chercheurs du MIT (le Massachussets institute of technology) estimaient ainsi dans une célèbre étude publiée en 1972, The Limits To growth (les limites de la croissance) que le PIB par habitant est passé de 130 à 160 dollars de l’an -5000 à l’an -1000. Le rythme ne s’accélère guère jusqu'au XVIIIe siècle malgré une petite embellie aux XIIIe et XIVe siècles, annulée par les épidémies et les famines, pour un PIB estimé à seulement à 250 dollars. Le tout avec d’énormes disparités géographiques et la prudence que nécessite ce type d’estimations.

    En un siècle, le PIB par habitant est alors multiplié par trois au XIXe siècle. Puis encore multiplié par trois en moins de cinquante ans pour atteindre plus de 2 000 dollars en 1950 et dépasser les 8 000 dollars à l'horizon de l’an 2000 soit un taux de croissance de 3 270 % sur 200 ans et une moyenne mondiale annuelle de plus de 16 %. Mais depuis l’an zéro, on sombre à une croissance de 2,4% par an et à moins de 1% depuis le début des estimations du centre de recherche américain. La croissance économique est donc un phénomène récent auquel l’homme moderne s’est rapidement habitué, comme à une donnée quasi constante et une règle immuable de l’économie.

    Les nouvelles technologies : aucun effet majeur sur la croissance

    L’affirmation de l’arrivée de l’informatique et des technologies numériques comme une troisième révolution industrielle montre ses limites depuis les années 1960 : « Si tout cela aide à mieux gérer nos loisirs, cela n’accroît pas vraiment, ou dans des proportions assez faibles, notre capacité à produire plus efficacement » affirme Robert Gordon. En tout cas sans rapport, hormis une parenthèse enchantée entre 1996 et 2004, avec les bonds de productivité que permirent les deux premières révolutions industrielles. La vitesse de déplacement d’un avion à réaction n'a rien à voir avec celle du cheval. Mais depuis, force est de constater que nous n’accélérons plus.

    L’économiste Patrick Artus est encore plus tranchant : « On ne voit aucun effet des nouvelles technologies de l’information et de la communication à leur date d’installation (1994-2001) sur les gains de productivité ». D’autant que c’est désormais à 7 milliards de personnes qu’il faut procurer des richesses. Une approche défendue aussi par Jan Vijg, un généticien de renom, que cite le mensuel et qui estime que nous volons peu ou prou dans les mêmes avions et les mêmes voitures qu’il y a cinquante ans, exception faite de quelques progrès de confort, sans rapport avec le bond technologique qu’a représenté la découverte de l’électricité.

    Jan Vijg voit même dans notre époque une panne de l’innovation réduite à la production de gadgets favorisés par un modèle entrepreunarial qui favorise seulement l’amélioration de l’existant. Il note d’ailleurs que les grandes innovations technologiques sont même plutôt issues de la puissance publique (Internet, GPS) et souvent motivées par des objectifs de défense, au sens militaire du terme. Et beaucoup de ces progrès ne se reproduiront plus à moyen terme.

    Robert Gordon donne ainsi l’exemple de l’imprimante 3D souvent présentée comme un bond industriel et note qu’en passant « d’une production de masse à une production individualisée, on perd toute la productivité liée aux économies d’échelle ».

    Pendant que Manuel Valls tape sur son clou...

    Pour l’économie américaine, l’économiste prévoit une division par dix du rythme de croissance historique : de 2 % à 0,2 %. Et ce n’est pas en baissant les impôts ou les charges des entreprises que l’on changera cela. Une thèse dénoncée par les économistes Erik Brynjfolsson et Andrea McAfee qui croient à un progrès exponentiel dont les effets se feront sentir dans quelques années.

    Interrogés par Le Monde en 2013, les auteurs de l'étude The Limits To Growth questionnaient ce paradigme de la croissance, notamment dans la zone euro : « Si votre seule politique est fondée sur la croissance, vous ne voulez pas entendre parler de la fin de la croissance. Parce que cela signifie que vous devez inventer quelque chose de nouveau. Les Japonais ont un proverbe intéressant : "Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou." Pour les économistes, le seul outil est la croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance. »

    En ces temps de disette, le sujet interpelle. Le Monde dévoilait lundi un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) pointant les ravages sur l’économie de la panne de l’innovation. Les conclusions sont les mêmes : les effets liés à diffusion des technologies de l’information sont faibles et sans rapport avec ceux de l’électricité ou du moteur à explosion. La productivité horaire décline même depuis 1960. Seule l’Amérique limite les dégâts en Occident. En France, le CAE table sur une croissance de moyen terme d’environ 0,9 % par an, bien loin des prévisions gouvernementales de 1,6%, mais beaucoup plus en rapport avec le rythme de croisière constaté par le MIT.

    Le rapport qui sera remis sous peu à Manuel Valls devrait donner des sueurs froides au Premier ministre tant les enjeux dépassent de très loin quelques déclarations d’amour et promesses de baisse de charges à des assemblées patronales fébriles. Parce que ce rapport interroge notamment la capacité de la puissance publique à impulser des innovations mais aussi à imaginer de nouveaux systèmes de garantie de revenus pour tous, plutôt que de continuer à taper sur son clou...

    Marianne
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