Les «mécaniciens de dents» font de l’ombre aux chirurgiens dentistes
On les trouve partout, dans les villes comme dans les villages. Ils exercent le métier de chirurgiens dentistes alors qu’ils ne sont pas qualifiés. L’exercice illégal de la médecine dentaire pose problème. Ses conséquences sur la santé publique sont dévastatrices.
«Je suis allé un jour enlever une dent chez un sanii al assnane. Ce fut une expérience horrible dont je me souviens encore aujourd’hui. Ce charlatan m’a tout simplement causé une fracture osseuse et des douleurs qui m’ont fait souffrir pendant plusieurs semaines». Abdellah, qui voulait économiser de l’argent en faisant appel à un «mécanicien de dents», s’est trouvé par la suite obligé de dépenser une somme considérable afin de réparer les dégâts causés par le charlatan. «Il m’a enlevé la dent avec une partie de l’os et m’a congédié avec comme seule consigne d’acheter un antalgique. Deux jours plus tard, je pensais que j’allais mourir tant la douleur était insupportable». Abdellah a dû finalement consulter un médecin dentiste afin de le guérir de ses maux.
Le cas d’Abdellah est loin d’être isolé. Et les dégâts occasionnés par ceux qui exercent de manière illégale la médecine dentaire peuvent être très dangereux, voire parfois mortels. Cela va d’une fracture de la mâchoire au sida, en passant par la tuberculose, l’hépatite ou encore des tumeurs de la bouche.
Des arracheurs de dents pour les «indigènes», un legs du colonialisme
Ce métier a évolué au cours du temps, mais, en fait, c’est un legs du colonialisme. Durant le Protectorat, la médecine fonctionnait à deux vitesses : une médecine, la vraie, pour les colons et les personnes aisées, et une autre, traditionnelle, destinée aux indigènes. Dans la branche de la médecine dentaire, les indigènes avaient recours aux seuls arracheurs des dents, qui remplissaient ainsi une fonction importante à l’époque. Cette situation a perduré des années plus tard, dans le Maroc indépendant. Les premières universités de médecine dentaire ont vu le jour, au début des années 80 du siècle dernier. Et les premières promotions de ces mêmes facultés sont sorties durant l’année 1986/87. Pour des raisons purement économiques, ces jeunes lauréats se sont installés dans les grandes villes. «Au milieu des années 90, le taux de caries chez les Marocains était un des plus élevés au monde. Les Marocains ont été pendant longtemps victimes d’une grande discrimination dans le domaine de la médecine bucco-dentaire», explique Lahcen Brighet, vice-président du Conseil régional Sud de l’Ordre national des médecins dentistes, également médecin dentaire. En 1998, le ministère de l’intérieur qui était dirigé alors par Driss Basri avait rendu publique une circulaire relative à l’exercice illégal de la chirurgie dentaire par les «mécaniciens dentaires». Signée par le ministre, elle demandait aux walis et gouverneurs de tout le pays «de ne plus permettre l’ouverture de cabinets de cette nature même sous l’appellation de mécaniciens dentistes». Le ministre évoquait alors le fait que ces mécaniciens «prodiguent illégalement des soins relevant de la compétence des chirurgiens dentistes. Ce qui porte préjudice à la santé de la population et à notre système sanitaire».
Seize années plus tard, non seulement cette circulaire n’a jamais été appliquée, mais les choses ont empiré. L’exercice illégal de la médecine dentaire sévit toujours dans toutes les villes du pays et continue à alimenter, périodiquement, la triste actualité. En juin dernier, au sein du Parlement, l’actuel ministre de l’intérieur, Mohamed Hassad, a ainsi dévoilé que «d’après un sondage effectué par le ministère, le nombre total des prothésistes dentaires au Maroc était de 3300, dont la moitié, 1 790, ne dispose d’aucune autorisation». Pour sa part, le bureau exécutif de la Fédération nationale des syndicats des médecins-dentistes du secteur libéral au Maroc s’est fendu d’un communiqué accusant les ministères concernés (Santé et Intérieur) d’«encourager l’exercice illégal de la médecine dentaire et dénonce l’absence d’une réglementation du métier de prothésiste dentaire».
«C’est injuste de former des médecins pour les mettre sur un pied d’égalité avec des personnes non formées. Les charlatans peuvent ouvrir plusieurs cabinets, dans différents quartiers, différentes villes. Ils ne paient pas d’impôts et accaparent la clientèle des médecins», déplore M. Brighet. Pour pratiquer le métier de médecin dentiste, il faut être titulaire d’un diplôme, que ce diplôme soit reconnu, avoir l’autorisation d’exercer, s’inscrire à l’ordre et s’acquitter de sa cotisation.
Mais qui sont ces fameux charlatans qui empiètent sur le métier de médecin dentiste ? On trouve pêle-mêle des prothésistes qui outrepassent leur champ de spécialisation, des mécaniciens dentaires, d’anciens assistants de médecins ou encore des arracheurs de dents. «La profession de charlatan s’hérite. Un charlatan peut ouvrir des pseudo cabinets, former des parents à lui à ce métier et le tour est joué. Ils peuvent mettre n’importe quelle plaque et exercer leur activité en toute impunité», avertit M. Brighet. De plus, les charlatans se sont bien adaptés au marché et à la demande. «Avant ils arrachaient les dents. Aujourd’hui, ils utilisent de l’anesthésie qu’ils se procurent grâce à des complicités dans la Santé publique. Ils peuvent également acheter les anesthésiants chez les entreprises spécialisées en matériel médical à cause de l’absence de législation», ajoute la même source. Résultat : d’énormes risques de contamination de graves maladies comme l’hépatite, la tuberculose ou encore le sida à cause de la manipulation de produits anesthésiants et de produits non stérilisés par des non-professionnels. En plus des dégâts sur les dents ou la mâchoire : «Je me retrouve dans bien des cas en train d’essayer de corriger les complications causées par le charlatan. Des dégâts que le patient aurait évités s’il avait consulté un dentiste», explique un chirurgien dentiste de la capitale économique. Même son de cloche chez le Dr Brighet : «J’ai reçu des patients qui ont carrément perdu le bloc inférieur à cause d’une mauvaise manipulation de ces charlatans».
De «l’orthocharlatanisme»…
Les charlatans se sont également mis à la taille des dents par des micros tours et ont même installé des fauteuils alors que les «techniciens de la dent» n’ont pas le droit de travailler avec un autre produit que le plâtre. C’est simple, au vu du matériel utilisé par les non-professionnels, un patient non averti ne peut pas faire la différence entre un véritable médecin et un charlatan ! Ce dernier est vêtu d’un tablier, accroche parfois à l’entrée de l’immeuble une plaque faisant mention de sa qualité de «professeur» avec un diplôme des Etats-Unis ou de France et engage même des assistantes. «Parfois, ils pratiquent des prix plus élevés que les véritables médecins», atteste M. Brighet. Pire, les charlatans se permettent aussi de faire de l’orthodontie, une spécialité de médecine dentaire qui traite de l’encombrement dentaire !
Le docteur Brighet assure que dans certaines régions du pays, les charlatans ont la mainmise sur le secteur, et ce, avec la complicité des autorités locales. «L’Etat doit faire son travail de protection de la santé des citoyens d’autant plus que l’Ordre national des médecins dentistes sanctionne tout médecin signant ou cachetant des dossiers de mutuelle ou des dossiers d’assurance provenant de ces charlatans», assure notre interlocuteur.
En effet, les charlatans parviennent parfois à louer les services d’un véritable médecin dentiste pour cacheter des feuilles de mutuelle ou d’assurance moyennant rémunération, variant de 300 à 1 000 DH selon le montant des dossiers de remboursement. D’autres formes de complicités entre certains médecins et des charlatans ont été également répertoriées par l’Ordre des médecins dentistes. «Des poursuites sont actuellement engagées contre ces praticiens et des médecins seront radiés de la profession», conclut M. Brighet.
On les trouve partout, dans les villes comme dans les villages. Ils exercent le métier de chirurgiens dentistes alors qu’ils ne sont pas qualifiés. L’exercice illégal de la médecine dentaire pose problème. Ses conséquences sur la santé publique sont dévastatrices.
«Je suis allé un jour enlever une dent chez un sanii al assnane. Ce fut une expérience horrible dont je me souviens encore aujourd’hui. Ce charlatan m’a tout simplement causé une fracture osseuse et des douleurs qui m’ont fait souffrir pendant plusieurs semaines». Abdellah, qui voulait économiser de l’argent en faisant appel à un «mécanicien de dents», s’est trouvé par la suite obligé de dépenser une somme considérable afin de réparer les dégâts causés par le charlatan. «Il m’a enlevé la dent avec une partie de l’os et m’a congédié avec comme seule consigne d’acheter un antalgique. Deux jours plus tard, je pensais que j’allais mourir tant la douleur était insupportable». Abdellah a dû finalement consulter un médecin dentiste afin de le guérir de ses maux.
Le cas d’Abdellah est loin d’être isolé. Et les dégâts occasionnés par ceux qui exercent de manière illégale la médecine dentaire peuvent être très dangereux, voire parfois mortels. Cela va d’une fracture de la mâchoire au sida, en passant par la tuberculose, l’hépatite ou encore des tumeurs de la bouche.
Des arracheurs de dents pour les «indigènes», un legs du colonialisme
Ce métier a évolué au cours du temps, mais, en fait, c’est un legs du colonialisme. Durant le Protectorat, la médecine fonctionnait à deux vitesses : une médecine, la vraie, pour les colons et les personnes aisées, et une autre, traditionnelle, destinée aux indigènes. Dans la branche de la médecine dentaire, les indigènes avaient recours aux seuls arracheurs des dents, qui remplissaient ainsi une fonction importante à l’époque. Cette situation a perduré des années plus tard, dans le Maroc indépendant. Les premières universités de médecine dentaire ont vu le jour, au début des années 80 du siècle dernier. Et les premières promotions de ces mêmes facultés sont sorties durant l’année 1986/87. Pour des raisons purement économiques, ces jeunes lauréats se sont installés dans les grandes villes. «Au milieu des années 90, le taux de caries chez les Marocains était un des plus élevés au monde. Les Marocains ont été pendant longtemps victimes d’une grande discrimination dans le domaine de la médecine bucco-dentaire», explique Lahcen Brighet, vice-président du Conseil régional Sud de l’Ordre national des médecins dentistes, également médecin dentaire. En 1998, le ministère de l’intérieur qui était dirigé alors par Driss Basri avait rendu publique une circulaire relative à l’exercice illégal de la chirurgie dentaire par les «mécaniciens dentaires». Signée par le ministre, elle demandait aux walis et gouverneurs de tout le pays «de ne plus permettre l’ouverture de cabinets de cette nature même sous l’appellation de mécaniciens dentistes». Le ministre évoquait alors le fait que ces mécaniciens «prodiguent illégalement des soins relevant de la compétence des chirurgiens dentistes. Ce qui porte préjudice à la santé de la population et à notre système sanitaire».
Seize années plus tard, non seulement cette circulaire n’a jamais été appliquée, mais les choses ont empiré. L’exercice illégal de la médecine dentaire sévit toujours dans toutes les villes du pays et continue à alimenter, périodiquement, la triste actualité. En juin dernier, au sein du Parlement, l’actuel ministre de l’intérieur, Mohamed Hassad, a ainsi dévoilé que «d’après un sondage effectué par le ministère, le nombre total des prothésistes dentaires au Maroc était de 3300, dont la moitié, 1 790, ne dispose d’aucune autorisation». Pour sa part, le bureau exécutif de la Fédération nationale des syndicats des médecins-dentistes du secteur libéral au Maroc s’est fendu d’un communiqué accusant les ministères concernés (Santé et Intérieur) d’«encourager l’exercice illégal de la médecine dentaire et dénonce l’absence d’une réglementation du métier de prothésiste dentaire».
«C’est injuste de former des médecins pour les mettre sur un pied d’égalité avec des personnes non formées. Les charlatans peuvent ouvrir plusieurs cabinets, dans différents quartiers, différentes villes. Ils ne paient pas d’impôts et accaparent la clientèle des médecins», déplore M. Brighet. Pour pratiquer le métier de médecin dentiste, il faut être titulaire d’un diplôme, que ce diplôme soit reconnu, avoir l’autorisation d’exercer, s’inscrire à l’ordre et s’acquitter de sa cotisation.
Mais qui sont ces fameux charlatans qui empiètent sur le métier de médecin dentiste ? On trouve pêle-mêle des prothésistes qui outrepassent leur champ de spécialisation, des mécaniciens dentaires, d’anciens assistants de médecins ou encore des arracheurs de dents. «La profession de charlatan s’hérite. Un charlatan peut ouvrir des pseudo cabinets, former des parents à lui à ce métier et le tour est joué. Ils peuvent mettre n’importe quelle plaque et exercer leur activité en toute impunité», avertit M. Brighet. De plus, les charlatans se sont bien adaptés au marché et à la demande. «Avant ils arrachaient les dents. Aujourd’hui, ils utilisent de l’anesthésie qu’ils se procurent grâce à des complicités dans la Santé publique. Ils peuvent également acheter les anesthésiants chez les entreprises spécialisées en matériel médical à cause de l’absence de législation», ajoute la même source. Résultat : d’énormes risques de contamination de graves maladies comme l’hépatite, la tuberculose ou encore le sida à cause de la manipulation de produits anesthésiants et de produits non stérilisés par des non-professionnels. En plus des dégâts sur les dents ou la mâchoire : «Je me retrouve dans bien des cas en train d’essayer de corriger les complications causées par le charlatan. Des dégâts que le patient aurait évités s’il avait consulté un dentiste», explique un chirurgien dentiste de la capitale économique. Même son de cloche chez le Dr Brighet : «J’ai reçu des patients qui ont carrément perdu le bloc inférieur à cause d’une mauvaise manipulation de ces charlatans».
De «l’orthocharlatanisme»…
Les charlatans se sont également mis à la taille des dents par des micros tours et ont même installé des fauteuils alors que les «techniciens de la dent» n’ont pas le droit de travailler avec un autre produit que le plâtre. C’est simple, au vu du matériel utilisé par les non-professionnels, un patient non averti ne peut pas faire la différence entre un véritable médecin et un charlatan ! Ce dernier est vêtu d’un tablier, accroche parfois à l’entrée de l’immeuble une plaque faisant mention de sa qualité de «professeur» avec un diplôme des Etats-Unis ou de France et engage même des assistantes. «Parfois, ils pratiquent des prix plus élevés que les véritables médecins», atteste M. Brighet. Pire, les charlatans se permettent aussi de faire de l’orthodontie, une spécialité de médecine dentaire qui traite de l’encombrement dentaire !
Le docteur Brighet assure que dans certaines régions du pays, les charlatans ont la mainmise sur le secteur, et ce, avec la complicité des autorités locales. «L’Etat doit faire son travail de protection de la santé des citoyens d’autant plus que l’Ordre national des médecins dentistes sanctionne tout médecin signant ou cachetant des dossiers de mutuelle ou des dossiers d’assurance provenant de ces charlatans», assure notre interlocuteur.
En effet, les charlatans parviennent parfois à louer les services d’un véritable médecin dentiste pour cacheter des feuilles de mutuelle ou d’assurance moyennant rémunération, variant de 300 à 1 000 DH selon le montant des dossiers de remboursement. D’autres formes de complicités entre certains médecins et des charlatans ont été également répertoriées par l’Ordre des médecins dentistes. «Des poursuites sont actuellement engagées contre ces praticiens et des médecins seront radiés de la profession», conclut M. Brighet.
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