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L’affaire du Mistral ou la victoire de la diplomatie BHL

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  • L’affaire du Mistral ou la victoire de la diplomatie BHL

    JACK DION - MARIANNE
    Jack Dion
    Directeur adjoint de la rédaction de Marianne et grand amateur de théâtre


    Comme par hasard, la France annonce la suspension de la vente du Mistral à la Russie le jour même où s’ouvre le sommet de l’Otan, sur fond de crise en Ukraine. En fait cette décision témoigne d’un alignement atlantiste proche de la vision manichéenne d’un Bernard-Henri Lévy.


    Il y a peu, Laurent Fabius assurait qu’il n’était pas question de revenir sur la vente du porte-hélicoptères Mistral à la Russie. Il était seulement question de rediscuter de la livraison du second navire, ce qui pouvait se concevoir vu le contexte du moment.

    Le 24 juillet dernier, le ministre des Affaires étrangères déclarait, en riposte aux injonctions de David Cameron, petit télégraphiste de la Maison Blanche : « Il y a une règle que les contrats signés sont payés et honorés ». Au passage, et non sans raison, Laurent Fabius lui rappelait que la Grande-Bretagne continuait à livrer des armes autrement plus sophistiquées à Vladimir Poutine, que Londres était la capitale d’adoption des oligarques russes, et donc qu’avant de faire la leçon aux autres il devrait commencer par balayer sa propre carpette.

    Tout ça est oublié. Fabius fait du Cameron, et Hollande rentre sagement dans le rang des bons soldats de l’Otan. Car il ne faut pas chercher ailleurs la raison du revirement tricolore. L’explication se trouve moins du côté de Donestk qu’à Newport, au Royaume-Uni. C’est là que s’ouvre le sommet de l’Otan, cette organisation militaire née à l’époque de la guerre froide, toujours en vigueur alors que l’ennemi soviétique a disparu de la carte, et qui entend régenter le monde en lieu et place de l’Onu, dont c’est pourtant la vocation première.

    D’ailleurs qui parle encore des casques bleus, aujourd’hui ? Dès qu’apparait une crise quelque part, au Proche-Orient, en Europe ou ailleurs, c’est l’Otan qui entre en scène, autrement dit l’armée des Etats-Unis et ses supplétifs, quitte à reprocher aux autres (les Russes par exemple) de vouloir s’inspirer de la prétention américaine à jouer au gendarme.

    La crise en Ukraine ne s’explique pas autrement. Au lendemain de l’effondrement du camp soviétique, au lieu de bâtir un nouveau système de sécurité collective, l’Occident a voulu arrimer la Géorgie et l’Ukraine à l’Otan. C’était la pire des provocations vis-à-vis de la Russie, de son histoire et de sa géographie.

    Du temps de Gorbatchev le mollasson, puis d’Eltsine le roi de la bouteille, cela pouvait passer. Avec Poutine, un président héritier des traditions tsaristes et nationalistes de la Russie, et qui se fait une certaine idée de son pays, cela ne passe plus. Mais au lieu de négocier avec Moscou, au lieu d’avancer vers cette Europe de l’Atlantique à l’Oural dont parlait le général de Gaulle, les Occidentaux ont tout fait pour utiliser l’Ukraine comme tête de pont politico-militaire contre la Russie, en dépit des appels à la raison entendus ici et là, y compris aux Etats-Unis.

    Dans cette histoire, la France a joué les mouches du coche, comme en témoigne l’affaire du Mistral, après l’alignement sur les sanctions. Qui peut croire que c’est la non livraison de ce navire qui va empêcher Poutine de continuer à soutenir manu militari les rebelles de l’Est ukrainien, qui ont quelques récriminations fondées à l’égard du pouvoir en place à Kiev ? Pourquoi se priver d’un tel contrat quand on connaît la situation de l’économie et de l’emploi en France ? Comment assumer une telle décision et négocier au même moment avec cette grande démocratie qu’est l’Arabie saoudite pour lui vendre des lance-missiles ? Comment convaincre les clients potentiels à l’achat du Rafale (l’Inde par exemple) que la France peut respecter ses engagements ?

    Cette décision est une Bérézina commerciale doublée d’un Waterloo politique. C’est la victoire de la diplomatie à la Bernard-Henri Lévy, l’homme du chaos en Libye, qui voit le monde divisé entre Bons et Méchants. Poutine, à qui on ne donnerait pas le bon Dieu orthodoxe sans confession, est évidemment dans cette dernière catégorie, alors que tous ceux qui lui sont opposés sont d’une candeur absolue, y compris les apprentis fascistes qui œuvrent dans l’ombre à Kiev.

    Aujourd’hui encore, dans Le Parisien, BHL somme l’Europe de désigner la Russie comme l’ennemi à abattre. Au détail près, c’est la ritournelle en vigueur au Monde et à Libération. Le mercredi 3 septembre, Libé titrait : « Ukraine : guerre à l’Europe », vitupérant au passage « l’inertie occidentale », comme si les néocons à l’américaine avaient pris le contrôle du journal fondé par Jean-Paul Sartre.

    Mais que veulent-ils ? Foncer sur la Russie ? Bombarder Moscou ? Soyons sérieux. Plutôt que de s’aligner sur les apprentis sorciers de l’Otan et ses adjudants en chemise blanche, il serait temps de retrouver le sens des réalités. Dans le dossier ukrainien, rien n’est simple, rien n’est univoque. A jouer la carte de l’escalade, le pire est possible. Mieux vaudrait s’en apercevoir avant qu’il ne soit trop tard.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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