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“Il est possible de faire de l’école un rempart contre les extrémismes”

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  • “Il est possible de faire de l’école un rempart contre les extrémismes”

    Le Dr Mahmoud Boudarene est diplômé en neurophysiologie clinique de la faculté de médecine Paris VI et docteur en sciences biomédicales de la faculté de médecine de Liège. Il est l’auteur de nombreuses publications scientifiques, mais aussi de contributions dans la presse sur les sujets d’actualité.

    Liberté : Dans les années 1990, le contenu des programmes et l’activisme de certains enseignants et personnels administratifs ont joué un rôle dans le basculement de lycéens dans la violence armée pour le compte des groupes islamistes. Y a-t-il toujours ce risque ? Si oui, pourquoi ?

    Dr Mahmoud Boudarene : Oui, je suis persuadé que nous ne sommes pas sortis d’affaire. Je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure, mais les années 1990 ont laissé des séquelles qui ne sont pas étrangères à la violence sociale qui s’est emparée aujourd’hui de la société algérienne et les circonstances qui nous y conduisent sont toujours présentes. L’école algérienne a vécu une véritable inquisition et de nombreux élèves ont souffert de cette situation. Des parents ont assisté, impuissants, à une transformation radicale de leurs enfants. Un enfant angoissé, à l’affût du moindre comportement du père et de la mère, et terrorisé à l’idée que l’un ou l’autre n’agisse pas conformément aux recommandations religieuses enseignées à l’école. Le port du vêtement, les habitudes alimentaires…, tout est scruté par l’enfant, tout est dicté par l’enseignant, le moindre écart est vécu avec culpabilité par la progéniture et quelquefois rapporté à l’enseignant inquisiteur. L’élève est stigmatisé, il porte la honte de sa famille qui est voué aux gémonies. La mort, l’enfer, la damnation…, tout y passe, une épreuve morale terrible pour le jeune enfant. Un harcèlement psychologique en règle, insupportable pour l’esprit encore fragile de ce dernier, mais un matraquage qui fera bientôt de lui un inquisiteur, un persécuteur de ses propres parents. La garantie pour l’élève de retrouver sa place dans la communauté scolaire.
    La souffrance psychologique est grande. Si les parents, par ignorance, incompréhension, démission, ne réagissent pas et ne réitèrent pas avec force les valeurs sur lesquelles est fondée leur famille, le désarroi de l’enfant s’accentue. Ce dernier se tourne alors vers ce qui lui paraît plus rassurant, ce qui lui est enseigné à l’école.
    Une situation qui est encore plus douloureuse pour l’adolescent. Parce que celui-ci, dans le besoin constant de s’affirmer, n’a plus l’immaturité et la résilience de l’enfant et n’a pas encore la maturité de l’adulte. Il est comme le homard qui vient de perdre sa carapace pour muer (pour la changer). Il n’a plus l’ancienne et n’a pas encore la nouvelle. Une situation dangereuse pour lui parce que sans protection, il est à la merci des prédateurs. C’est le cas de l’adolescent, et c’est pourquoi les collèges et lycées sont les cibles privilégiées de tous les “prédateurs” possibles. Une population vulnérable, suggestible, avide de sensation et prête à toute sorte d’expérience. Mais l’adolescence est aussi une période où les interrogations existentielles sont nombreuses et importantes. La vie, la mort, la signification de l’une et de l’autre, avec quelquefois une fascination contemplative qui dure des semaines et des mois. Mais aussi une angoisse permanente qui trouve sa résolution progressive dans les réponses qui sont apportées à tous les questionnements, même quand elles sont anachroniques. C’est dans cette “interface” de fragilité momentanée et de perméabilité psychique propre à cette période de la vie que vient s’immiscer le prosélytisme. Pour peu que l’adolescent soit dans des conditions de solitude affective et qu’il soit envahi par l’incertitude, il constitue la proie idéale des thèses fanatiques. Prêt à vivre de nouvelles expériences, le chant des sirènes du jihad ne l’effraie pas. Le culte du martyr aidant, la mort devient banale, elle perd son caractère définitif, irrémédiable pour devenir résurrection. La vie est ailleurs avec de nouvelles promesses. Une expérience nouvelle à vivre.

    Est-il, aujourd’hui, possible de transformer l’école algérienne, qu’elle passe de l’acteur passif qui subit les dommages de l’islam politique à l’acteur actif qui défend les fondements de la République, voire en faire l’un des derniers remparts en cas de défaillance de la mosquée et de la famille ?

    Oui, bien sûr qu’il est possible d’agir et de créer une dynamique salutaire qui fera de l’école algérienne un rempart contre tous les extrémismes. Celle-ci, comme la société tout entière, peut être soustraite à l’influence du fanatisme religieux, mais encore, faut-il que le pouvoir politique s’inscrive dans cette perspective de façon claire et assumée. Ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui car si nous en sommes là, c’est parce que ce dernier (le pouvoir politique) — dans la perspective de durer — a joué avec le feu de l’islamisme politique, qu’il a systématiquement opposé au combat démocratique pour le neutraliser.
    Dans tous les pays du monde, en tout cas dans les démocraties occidentales, l’école est l’espace social premier où les valeurs de tolérance et de dialogue sont enseignées. L’enfant-élève est ainsi préparé à vivre en société — en harmonie avec les principes qui fondent la vie en communauté — et à devenir un citoyen soucieux du destin commun, pour lequel il est incité et encouragé à s’engager. L’école est le lieu de la transmission des connaissances, mais pas seulement. Elle est aussi l’endroit où le citoyen de demain apprend à être autonome, à avoir de l’initiative, à exprimer ses opinions et son libre arbitre ; c’est l’endroit où il commence à prendre conscience de ses droits et devoirs et où il apprend à s’approprier et à intérioriser les règles qui régissent la communauté. C’est cela le rôle de l’instruction civique, enseignée du primaire au lycée, et qui est l’un des piliers de l’école républicaine. Un enseignement qui était dispensé dans nos salles de classes au lendemain de l’Indépendance de notre pays et qui a été — à partir de la fin des années 70 — progressivement supplanté par l’instruction religieuse, avec les dérives dogmatiques et fanatiques que l’on connaît.
    Et pour cause, le dogme oblige à une obéissance aveugle aux commandements, même quand l’énoncé de ceux-ci est erroné. Il interdit toute forme de liberté de pensée et de conscience. Le sujet, enfermé dans cet état d’esprit, est à son tour fanatisé et sa raison obscurcie, il devient intolérant et hermétique au dialogue. La religion, ainsi dépouillée de sa substance, de son esprit, est interprétée à la lettre et est réduite à un ensemble de rituels caricaturaux et stérilisants pour la vie spirituelle. L’antithèse des valeurs républicaines et démocratiques, et une logique qui a fait le lit de la violence armée de la décennie 90.
    Pour soustraire l’école algérienne à cette influence et pour éviter aux enfants et adolescents, futurs citoyens de ce pays, le risque de devenir fanatique et d’aller alimenter les contingents de jihadistes, il faut se poser la question de la pertinence du maintien de l’instruction religieuse dans le système scolaire. Rôle qui devrait être dévolu aux lieux de culte, les mosquées et à la famille. Si la volonté politique est clairement manifestée par les pouvoirs publics de restaurer le système éducatif dans son rôle d’édification des valeurs de citoyenneté, l’école — devenue alors républicaine — peut servir de barrière à toute forme d’intolérance et jeter les bases d’une société indulgente, apaisée et sans violence.
    Faut-il souligner que le fanatisme déborde toujours sur la sphère religieuse pour s’emparer de tous les aspects de la vie sociale ? Les Algériens ne savent plus se parler, dialoguer. Chacun a raison et chacun est arc-bouté sur ses positions. Les conflits ne se règlent plus que dans la confrontation physique et le passage à l’acte violent. C’est ce qui se passe actuellement — à une échelle plus dramatique — dans les pays du Moyen-Orient. Des sociétés fanatisées qui se sont inscrites dans des conflits sanglants sous prétexte de différends confessionnels et religieux. Notre pays n’est pas à l’abri d’une telle éventualité. Le conflit, non encore résolu, de la vallée du M’zab, en est le signal d’alarme.

  • #2
    Excellent papier.
    Tout passe par l'école, la compréhension de la religion, la citoyenneté, l'esprit critique, l'écoute de l'autre, l'autonomie ...

    Des sociétés fanatisées qui se sont inscrites dans des conflits sanglants sous prétexte de différends confessionnels et religieux. Notre pays n’est pas à l’abri d’une telle éventualité. Le conflit, non encore résolu, de la vallée du M’zab, en est le signal d’alarme.
    La aussi l'école n'a pas fait ses devoirs. Les parties en conflit ne se connaissent pas, ne dialoguent pas, se regardent comme des chiens de faience pour finir par des empoignades.
    وإن هذه أمتكم أمة واحدة

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    • #3
      Mahmoud Boudarene réitère nos remarques et nos cris d'alarme des années 70. "Ils" ont pervertis le peuple algérien en poussant les uns à partir et les autres à se soumettre.
      Les enfants formatés au burin et à la soumission par la peur, et où l'odeur du jugement dernier plane en permanence dans toutes les classes.
      Comment parler de république et de démocratie! Ne dit-on que l'école d'aujourd'hui forment les hommes de demain!
      " Un harcèlement psychologique en règle, insupportable pour l’esprit encore fragile de ce dernier, mais un matraquage qui fera bientôt de lui un inquisiteur, un persécuteur de ses propres parents". Hélas, chacun de nous peut s'en apercevoir; et ce n'est pas l'enfant qu'il faut condamner.
      ".. le dogme oblige à une obéissance aveugle aux commandements" c'est ce que nous remarquons dans la plupart des pays musulmans. De la soumission à la dépravation, ils vont toujours cherchant le remède, faute d’avoir su prévenir le mal. Est-il encore tant d'initier aux enfants algériens qu'ils ont une histoire fabuleuse et qu'ils n'ont qu'à puiser sur ce que leurs ancêtres ont laissé!
      Le principe de base d'une société démocratique est la liberté. Leur apprendre à raisonner, à comprendre par eux-mêmes et leur répéter tous les matins "que notre liberté est d'autant plus grande que celle des autres".

      Les occidentaux dominent le monde, non pas par la supériorité de leurs valeurs ou de leur religion mais par leur supériorité technique, leur pragmatisme et leur sens logique de la créativité. N'oublions pas que "les lumières" étaient les conséquences des révoltes protestantes contre l'église de Rome, qui en son temps à condamné Galilée (et pourtant elle tourne, disait-il!)
      Et pour aller dans le même sens, la plupart des têtes bien faites de la civilisation arabo-musulmane étaient perses (iraniens)!
      « Si vous avez l’impression que vous êtes trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique : vous verrez lequel des deux empêche l’autre de dormir. » (Dalaï Lama, XIVe siècle).

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