KARIM YOUNES, ANCIEN PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE :
Entretien réalisé par
Brahim Taouchichet
Ancien ministre (l’exécutif) et ancien président de l’Assemblée nationale,(le législatif) Karim Younes plonge dans l’exploration de l’histoire millénaire de l’Algérie («notre pays», aime-t-il à dire), veut mettre à jour les constituants de notre identité. Après ses fonctions publiques, ce docteur en génie nucléaire aurait pu couler des jours heureux et profiter d’une retraite bien méritée. Visiblement l’inaction n’est pas son fort et, au farniente il préfère l’effort. Il s’investit dans l’écriture de l’Histoire sans prétendre faire œuvre d’historien. Voilà donc un premier ouvrage, «De la Numidie à l’Algérie- Grandeurs et Ruptures», pour sortir de l’histoire officielle et mettre au jour des pans inconnus de grande importance de notre passé lointain. Puis vient un autre ouvrage, écrit en 2012 mais publié à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance, «Vingt siècles de résistance, cinquante ans d’indépendance ». A cette occasion, Karim Younes a bien voulu, pour les lecteurs du Soir d’Algérie, répondre au présent sur des questions du passé avec la passion qui est la sienne et aussi s’exprimer sur des questions d’actualité tant il est vrai que ses préoccupations tournent régulièrement sur l’Algérie passé, présent et avenir.
Le Soir d’Algérie : Votre passage à la tête de l’assemblée populaire nationale n’a pas été de tout repos d’autant que votre démarche réformatrice vous a valu des oppositions violentes. avec le recul, comment voyez-vous l’avenir de cette institution à l’heure où il est question de la refonte du système présidentiel ? Qu’elle ne soit plus une chambre à échos, une coquille vide ?
Karim Younes : Oppositions violentes ? Pas du tout. Les positions que les parlementaires expriment, défendent ont toujours eu droit au respect. J’ai toujours évité d’alimenter un unanimisme qui éteint le débat, nourrit la médiocrité, s’accommode de la stagnation, et aboutit à l’abrutissement,l’enceinte de l’Assemblée étant le lieu privilégié du débat politique républicain dont l’un des canons universels est l’écoute d’autrui. Je n’ai jamais eu à souffrir du manque de respect et de considération, des députés toutes tendances politiques confondues, à ce jour d’ailleurs, quelle que soit la nature des débats en jeu. Pour le reste je vous répondrai que le Parlement est l’une des institutions que le peuple s’est donné pour exercer sa pleine souveraineté sur les affaires qui concernent la nation. Elle est sa propriété morale et son fonctionnement est de la responsabilité de tous.
Face à un système omnipotent, corrompu et corrupteur que peut l’opposition – jeune dans ses traditions de lutte, fragilisée par ses divisions ? Peut- elle constituer une alternative réelle au système actuel et à brève échéance ?
Il convient de ne pas nous tromper de cibles. Nous devons aussi transcender les rancœurs et les rancunes dont chacun sait qu’elles sont stériles, parfois puériles, dans tous les cas contre-productives. C’est vrai qu’aujourd’hui, le mercantilisme généralisé, l’affairisme du corrupteur et du corrompu se conjuguent jusqu’à effacer les valeurs d’éthique, de solidarité, de fierté et de dignité qui ont fait la force de l’Algérien. Et même si l’on observe un relatif désintérêt du citoyen à la chose politique, les partis politiques sont nécessaires dans la vie publique et la pratique démocratique. Leur rôle d’intermédiation est indispensable pour la stabilité de la Nation où chaque expression devra trouver sa place. Aujourd’hui, beaucoup attendent un système politique capable d’incarner l’aspiration à une démocratie véritable, à un progrès social qui ne soit pas que dans les mots, à une République qui incarne la volonté populaire, à un Etat qui soit équitable, équilibré et juste. C’est par l’émulation que l’on peut mobiliser les énergies, forger ou réveiller des convictions, créer des élans patriotiques…On ne peut et on ne doit pas non plus exclure ou minimiser le rôle de l’armée dans la construction d’un Etat de droit. On a beau dire que la mission du soldat est la défense du territoire et de son intégrité, cela demeure toujours «un discours» qui durera le temps que dure les discours. Dans la réalité, et depuis sa création, notre armée a eu une place prépondérante dans la création de l’Etat et la cohésion de la société algérienne. Aujourd’hui avec l’avènement du multipartisme, il est normal que l’armée laisse des espaces aux partis dont c’est le rôle d’être les relais de la société dans ses différentes expressions, mais on ne peut dénier à l’armée le droit et le devoir de veille sur l’état de la Nation. Aujourd’hui encore, le citoyen ne conçoit pas l’Etat sans son armée. Il en est de même pour toutes les armées du monde y compris de celles des superpuissances. Il faut cependant que la Constitution garantisse l’exercice dans la transparence de l’intervention de l’armée comme celui de toutes les institutions du pays et que des frontières entre politique/militaire soient dressées, non l’une contre l’autre, mais l’une complétant l’autre dans l’intérêt de la République dont le chef de l’Etat incarne l’unité de la Nation. Le souci de modernisation ne doit pas, ne peut pas concerner seulement l’organisation des structures, la professionnalisation des effectifs ou la modernisation des équipements. Cette vision ne peut ignorer l’autre pan, celui de la contribution à l’édification de l’Etat moderne du millénaire en cours sous la supervision et les orientations du chef de l’Etat qui incarne l’unité de la Nation.
Vous vous êtes engagé dans la mouvance ali Benflis dont vous êtes un fidèle compagnon.Pour Karim Younes, quel serait le principal atout susceptible de provoquer la rupture d’avec ce système ?
Je suis de ceux qui pensent que l’action militante a évolué. On peut militer pour une cause d’intérêt général, sans pour autant s’enfermer dans un carcan organique. Je suis dans la trajectoire d’un homme libre, d’un homme qui cultive sa liberté, celle d’être soi-même, celle de cultiver un esprit libre de pensée et d’action. Je suis en outre toujours affilié politiquement au FLN originel même si je suis hors circuit organique depuis dix ans. J’apporterai mon concours à toutes les causes qui s’inspirent de l’écoute de nos citoyens. Je crois que c’est la meilleure responsabilité qu’on doit avoir vis-à- vis de son pays. Je suis dans ce nouvel état d’esprit, j’espère définitivement.
En cours de dégradation avancée, le parti FLN atteint un nouveau seuil de pourrissement, s’enlise chaque fois un peu plus dans la crise comme le démontre la fronde anti-Saâdani, l’expulsion – avec la manière que l’on sait- de Belkhadem. N’est-ce pas là une stratégie du pouvoir pour s’assurer la pérennité ?
Les débats sur les personnes ne m’intéressent pas.Je voudrais exprimer ici ma totale liberté d’indifférence sur la question des crises internes conjoncturelles et des hommes politiques qui les alimentent à leur profit ou à leur corps défendant… Faire de la politique, c’est surtout s’ouvrir une fenêtre sur la société pour examiner les problèmes dont elle souffre, c’est de proposer des solutions pour améliorer son fonctionnement en évitant de le faire dans l’agitation stérile, en flairant le vent.
Votre dernier livre consacré à l’histoire de l’Algérie, «Vingt siècles de résistance, cinquante ans d’indépendance», pour vous n’est pas une œuvre d’historien. Ce n’est pas aussi un essai historique. Dans quelle catégorie le placeriez-vous ?
Il s’agit bien d’un récit historique où je tente de faire écho à tous ceux, nationaux ou nord-africains, qui, bravant les froideurs de l’oubli, rappellent que notre existence au sein de l’humanité, loin d’être usurpée, est riche de souvenirs qui justifient la fierté et inspirent le respect. «Aux Portes de l’avenir, 20 siècles de résistance, 50 ans d’indépendance», est une rétrospective historique et dans sa seconde partie une lecture et une analyse qui porte aussi bien sur nos choix sociétaux qu’économiques : les différents mécanismes institutionnels des régimes qui se sont succédé, de nos choix en matière de recouvrement de notre identité nationale.
Quoi qu’il en soit, on sent d’emblée que vous l’avez écrit avec vos trippes et le cœur battant, si j’ose dire. L’émotion qui s’en dégage est contagieuse…
Mon intrusion dans la passé est motivée par une passion citoyenne que je souhaite faire partager à mes compatriotes: entendre et comprendre collectivement ce qui nous fédère pour mieux bâtir ensemble ce qui nous engage demain. Notre présent mérite certainement une meilleure attention mais réveiller ou maintenir en alerte la mémoire de notre passé antique ou médiéval n’est pas superfétatoire!
Entretien réalisé par
Brahim Taouchichet
Ancien ministre (l’exécutif) et ancien président de l’Assemblée nationale,(le législatif) Karim Younes plonge dans l’exploration de l’histoire millénaire de l’Algérie («notre pays», aime-t-il à dire), veut mettre à jour les constituants de notre identité. Après ses fonctions publiques, ce docteur en génie nucléaire aurait pu couler des jours heureux et profiter d’une retraite bien méritée. Visiblement l’inaction n’est pas son fort et, au farniente il préfère l’effort. Il s’investit dans l’écriture de l’Histoire sans prétendre faire œuvre d’historien. Voilà donc un premier ouvrage, «De la Numidie à l’Algérie- Grandeurs et Ruptures», pour sortir de l’histoire officielle et mettre au jour des pans inconnus de grande importance de notre passé lointain. Puis vient un autre ouvrage, écrit en 2012 mais publié à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance, «Vingt siècles de résistance, cinquante ans d’indépendance ». A cette occasion, Karim Younes a bien voulu, pour les lecteurs du Soir d’Algérie, répondre au présent sur des questions du passé avec la passion qui est la sienne et aussi s’exprimer sur des questions d’actualité tant il est vrai que ses préoccupations tournent régulièrement sur l’Algérie passé, présent et avenir.
Le Soir d’Algérie : Votre passage à la tête de l’assemblée populaire nationale n’a pas été de tout repos d’autant que votre démarche réformatrice vous a valu des oppositions violentes. avec le recul, comment voyez-vous l’avenir de cette institution à l’heure où il est question de la refonte du système présidentiel ? Qu’elle ne soit plus une chambre à échos, une coquille vide ?
Karim Younes : Oppositions violentes ? Pas du tout. Les positions que les parlementaires expriment, défendent ont toujours eu droit au respect. J’ai toujours évité d’alimenter un unanimisme qui éteint le débat, nourrit la médiocrité, s’accommode de la stagnation, et aboutit à l’abrutissement,l’enceinte de l’Assemblée étant le lieu privilégié du débat politique républicain dont l’un des canons universels est l’écoute d’autrui. Je n’ai jamais eu à souffrir du manque de respect et de considération, des députés toutes tendances politiques confondues, à ce jour d’ailleurs, quelle que soit la nature des débats en jeu. Pour le reste je vous répondrai que le Parlement est l’une des institutions que le peuple s’est donné pour exercer sa pleine souveraineté sur les affaires qui concernent la nation. Elle est sa propriété morale et son fonctionnement est de la responsabilité de tous.
Face à un système omnipotent, corrompu et corrupteur que peut l’opposition – jeune dans ses traditions de lutte, fragilisée par ses divisions ? Peut- elle constituer une alternative réelle au système actuel et à brève échéance ?
Il convient de ne pas nous tromper de cibles. Nous devons aussi transcender les rancœurs et les rancunes dont chacun sait qu’elles sont stériles, parfois puériles, dans tous les cas contre-productives. C’est vrai qu’aujourd’hui, le mercantilisme généralisé, l’affairisme du corrupteur et du corrompu se conjuguent jusqu’à effacer les valeurs d’éthique, de solidarité, de fierté et de dignité qui ont fait la force de l’Algérien. Et même si l’on observe un relatif désintérêt du citoyen à la chose politique, les partis politiques sont nécessaires dans la vie publique et la pratique démocratique. Leur rôle d’intermédiation est indispensable pour la stabilité de la Nation où chaque expression devra trouver sa place. Aujourd’hui, beaucoup attendent un système politique capable d’incarner l’aspiration à une démocratie véritable, à un progrès social qui ne soit pas que dans les mots, à une République qui incarne la volonté populaire, à un Etat qui soit équitable, équilibré et juste. C’est par l’émulation que l’on peut mobiliser les énergies, forger ou réveiller des convictions, créer des élans patriotiques…On ne peut et on ne doit pas non plus exclure ou minimiser le rôle de l’armée dans la construction d’un Etat de droit. On a beau dire que la mission du soldat est la défense du territoire et de son intégrité, cela demeure toujours «un discours» qui durera le temps que dure les discours. Dans la réalité, et depuis sa création, notre armée a eu une place prépondérante dans la création de l’Etat et la cohésion de la société algérienne. Aujourd’hui avec l’avènement du multipartisme, il est normal que l’armée laisse des espaces aux partis dont c’est le rôle d’être les relais de la société dans ses différentes expressions, mais on ne peut dénier à l’armée le droit et le devoir de veille sur l’état de la Nation. Aujourd’hui encore, le citoyen ne conçoit pas l’Etat sans son armée. Il en est de même pour toutes les armées du monde y compris de celles des superpuissances. Il faut cependant que la Constitution garantisse l’exercice dans la transparence de l’intervention de l’armée comme celui de toutes les institutions du pays et que des frontières entre politique/militaire soient dressées, non l’une contre l’autre, mais l’une complétant l’autre dans l’intérêt de la République dont le chef de l’Etat incarne l’unité de la Nation. Le souci de modernisation ne doit pas, ne peut pas concerner seulement l’organisation des structures, la professionnalisation des effectifs ou la modernisation des équipements. Cette vision ne peut ignorer l’autre pan, celui de la contribution à l’édification de l’Etat moderne du millénaire en cours sous la supervision et les orientations du chef de l’Etat qui incarne l’unité de la Nation.
Vous vous êtes engagé dans la mouvance ali Benflis dont vous êtes un fidèle compagnon.Pour Karim Younes, quel serait le principal atout susceptible de provoquer la rupture d’avec ce système ?
Je suis de ceux qui pensent que l’action militante a évolué. On peut militer pour une cause d’intérêt général, sans pour autant s’enfermer dans un carcan organique. Je suis dans la trajectoire d’un homme libre, d’un homme qui cultive sa liberté, celle d’être soi-même, celle de cultiver un esprit libre de pensée et d’action. Je suis en outre toujours affilié politiquement au FLN originel même si je suis hors circuit organique depuis dix ans. J’apporterai mon concours à toutes les causes qui s’inspirent de l’écoute de nos citoyens. Je crois que c’est la meilleure responsabilité qu’on doit avoir vis-à- vis de son pays. Je suis dans ce nouvel état d’esprit, j’espère définitivement.
En cours de dégradation avancée, le parti FLN atteint un nouveau seuil de pourrissement, s’enlise chaque fois un peu plus dans la crise comme le démontre la fronde anti-Saâdani, l’expulsion – avec la manière que l’on sait- de Belkhadem. N’est-ce pas là une stratégie du pouvoir pour s’assurer la pérennité ?
Les débats sur les personnes ne m’intéressent pas.Je voudrais exprimer ici ma totale liberté d’indifférence sur la question des crises internes conjoncturelles et des hommes politiques qui les alimentent à leur profit ou à leur corps défendant… Faire de la politique, c’est surtout s’ouvrir une fenêtre sur la société pour examiner les problèmes dont elle souffre, c’est de proposer des solutions pour améliorer son fonctionnement en évitant de le faire dans l’agitation stérile, en flairant le vent.
Votre dernier livre consacré à l’histoire de l’Algérie, «Vingt siècles de résistance, cinquante ans d’indépendance», pour vous n’est pas une œuvre d’historien. Ce n’est pas aussi un essai historique. Dans quelle catégorie le placeriez-vous ?
Il s’agit bien d’un récit historique où je tente de faire écho à tous ceux, nationaux ou nord-africains, qui, bravant les froideurs de l’oubli, rappellent que notre existence au sein de l’humanité, loin d’être usurpée, est riche de souvenirs qui justifient la fierté et inspirent le respect. «Aux Portes de l’avenir, 20 siècles de résistance, 50 ans d’indépendance», est une rétrospective historique et dans sa seconde partie une lecture et une analyse qui porte aussi bien sur nos choix sociétaux qu’économiques : les différents mécanismes institutionnels des régimes qui se sont succédé, de nos choix en matière de recouvrement de notre identité nationale.
Quoi qu’il en soit, on sent d’emblée que vous l’avez écrit avec vos trippes et le cœur battant, si j’ose dire. L’émotion qui s’en dégage est contagieuse…
Mon intrusion dans la passé est motivée par une passion citoyenne que je souhaite faire partager à mes compatriotes: entendre et comprendre collectivement ce qui nous fédère pour mieux bâtir ensemble ce qui nous engage demain. Notre présent mérite certainement une meilleure attention mais réveiller ou maintenir en alerte la mémoire de notre passé antique ou médiéval n’est pas superfétatoire!
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