Au cours des deux dernières années, plusieurs articles et analyses ont tenté de décrypter la position ambiguë de l’Algérie à propos des interventions impérialistes occidentales en Libye et au Mali. Contrairement à sa diplomatie affirmée et résolue des années 1960 et 1970, le régime algérien déroute plus d'un observateur, tant il n'est pas facile de dire s’il appuie ou s’oppose à ces guerres récentes.
D'une part, les visions réductionnistes ont échoué à analyser la situation objectivement et ont eu recours à l'explication facile selon laquelle l'Algérie est pragmatique, et que les contradictions apparentes dans ses décisions et actions ne sont que le reflet de son approche réaliste. D'autre part, celles et ceux qui adhèrent à une vision binaire du monde, divisé entre un Nord impérialiste et un Sud anti-impérialiste, ont eu une attitude pavlovienne, qui a avancé l'idée que l'Algérie est sous une pression immense et se trouve ciblée pour son nationalisme et ses capacités de résistance à l'hégémonie occidentale[1].
Ces affirmations résisteront-elles à un examen sérieux ? La position de l'Algérie à l’endroit de ces interventions impérialistes est-elle justifiée ? Pourquoi l’Algérie a échoué à jouer un rôle plus proactif dans la résolution des crises au Mali, en Libye, et maintenant en Syrie, étant donné qu'il s'agit d'une puissance militaire et économique régionale, qui aurait dû être au premier plan dans ces conflits ? Ceci est d'autant plus important que l'Algérie était préoccupée par sa sécurité et a mis en garde contre les risques de déstabilisation et les retombées dans toute la région si les conflits s’aggravaient après l'intervention occidentale. Enfin, l'Algérie résiste-t-elle vraiment à l'hégémonie occidentale et conteste-t-elle la domination impérialiste ?
Cet article va tenter d'apporter quelques réponses à ces questions, et faire la lumière sur la politique étrangère de l'Algérie. Avant tout, examinons les cas libyen, malien et syrien.
Complicité tacite avec l'intervention de l'OTAN en Libye
Le régime algérien a été généralement hostile aux soulèvements qui ont eu lieu dans les pays voisins, et a adopté sa position soi-disant « neutre » face à ces événements marquants. Comment pourrait-il en être autrement pour un régime autoritaire, dont la survie est menacée par le risque que la vague révolutionnaire atteigne ses rives ? Plusieurs fonctionnaires de haut rang ont déclaré que l'Algérie a eu son « Printemps arabe » en 1988. Ils ont insisté sur le maintien de la « fausse » stabilité du pays, et ont utilisé la carte de la guerre civile traumatisante des années 1990, pour dissuader la population d'aller dans la même voie que les Egyptien-ne-s et les Tunisien-ne-s.
Le Conseil national de transition libyen (CNT), irrité par la position « neutre » des autorités algériennes et leur refus de le reconnaître comme un interlocuteur, a affirmé – sans aucune preuve à l’appui – que l'Algérie a apporté son soutien au régime de Kadhafi, et lui a fourni des mercenaires pour freiner la révolution. Le CNT a également réagi avec colère à la décision de l'Algérie d'accorder l’asile à des membres de la famille Kadhafi, et a considéré qu’il s’agissait d’un acte ennemi[2]. L'ambassadeur d'Algérie auprès des Nations unies a déclaré à la BBC que l'Algérie respectait tout simplement la « sainte règle de l'hospitalité », et acceptait la famille pour des raisons humanitaires. En outre, certaines sources ont rapporté que le gouvernement avait promis de livrer Mouammar Kadhafi s’il essayait de suivre sa famille en Algérie.
Un examen plus attentif à la position apparemment ambiguë du régime algérien, révèle que le pays essayait de s'adapter à une situation de changement rapide dans la région, et a été principalement préoccupé par sa survie et sa stabilité.
L’Algérie a voté contre une résolution approuvant une zone d'exclusion aérienne que la coquille vide qu’est la Ligue arabe a adoptée, et a déclaré qu'il revenait au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) de se prononcer sur une telle question, ce qu'il a fait à travers la résolution 1973, permettant une intervention de l'OTAN en Libye.
L’Algérie ne s'est pas opposée à l'intervention et n'a même pas mis en doute ses motivations impérialistes, n'ayant recours qu’à une vague critique de la mise en œuvre et de l'interprétation de la résolution 1973 du CSNU par les puissances occidentales. La réticence de l'Algérie à l’endroit de cette intervention peut être expliquée par sa peur des conséquences possibles dans la zone frontalière, et par ce qui est devenu une opposition sans âme et superficielle à l'ingérence étrangère dans les affaires intérieures des autres pays.
Collusion dans l'intervention française au Mali
Alors que l'Algérie poussait activement pour une solution diplomatique au conflit dans le nord du Mali, et a été un médiateur dans les négociations entre les autorités maliennes, le MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad) et les islamistes d'Ansar Eddine, la France n'était, dès le départ, pas trop enthousiaste quant à cette approche, et a fini par intervenir unilatéralement en janvier 2013.
Le régime algérien a affirmé de manière étonnante son respect de la décision française d'intervenir, car le Mali a demandé l'aide des puissances « amies ». Depuis quand l’ancien maître colonial est-il devenu une puissance « amicale » qui se soucie de la vie des Malien-ne-s ? Depuis quand la France, avec ses outils néo-coloniaux (Françafrique, Francophonie …), se soucie-t-elle du sort des Africain-e-s ?
Deux explications peuvent être avancées pour comprendre la réaction algérienne :
le régime algérien croit naïvement que les puissances occidentales sont soudainement devenues altruistes, abandonnant leur mission impérialiste de dominer et de contrôler le monde en fonction de leurs intérêts étroits, ou
le régime a simplement abdiqué face à l'hégémonie occidentale, et est disposé à coopérer.
Quelques jours après l'intervention française au Mali[3], le peuple algérien a dû subir l'humiliation de recevoir des nouvelles du ministre français des affaires étrangères, selon lesquelles les autorités algériennes avaient ouvert « sans condition » l'espace aérien algérien aux avions français, et exigé qu’Alger ferme ses frontières sud. Qui a dit que les attitudes néo-coloniales sont anachroniques ?
Certains journalistes ont aussi indiqué qu'un drone états-unien a été autorisé à suivre la prise d'otages dans l'usine de British Petroleum à In Amenas, dans le sud-est de l'Algérie, et plus récemment, il est apparu que les autorités algériennes apportaient un précieux soutien aux opérations françaises au Mali, en fournissant discrètement des quantités indispensables de carburant à l'armée française[4]. Ceci, en fait, revient à cautionner l'expédition néo-coloniale française.
L'Algérie et la menace militaire contre la Syrie : les mots ne suffisent pas
L'Algérie a été parmi les dix-huit pays (sur un total de vingt-deux) qui ont voté en novembre 2011 pour la suspension de la Syrie de la Ligue arabe, et la mise en œuvre de sanctions pour son refus de mettre fin à la répression gouvernementale des manifestations. Il s'agit d'une stupéfiante décision majoritaire, venant de pays comme le Bahreïn, l'Arabie Saoudite, le Soudan et l'Algérie, qui possèdent des relevés éblouissants en matière de démocratie et de droits humains.
Dans un geste perçu comme un retrait du processus de recherche d'un règlement politique de la crise syrienne, la Ligue arabe menée par le Qatar et l’Arabie saoudite, a pris la décision en mars 2013 d’offrir au Conseil national syrien (CNS), la place de la Syrie au sein de la Ligue arabe. L'Algérie et l'Irak ont voté contre la motion, arguant qu'une telle décision contredit la Charte de la Ligue arabe sur l'irrecevabilité de toute action visant à un changement de régime dans les pays arabes.
La résolution finale du sommet affirme que « chaque Etat membre de la Ligue arabe a le droit de fournir des moyens de défense comme il le souhaite – y compris militaires – pour soutenir la résistance du peuple syrien et l'Armée syrienne libre (la branche armée de l'opposition syrienne). » Avec une telle déclaration, on se demande si la Ligue arabe n'est pas devenue une courtisane des puissances occidentales (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis) et un outil de légitimation de leurs agendas dans la région.
Le 1er septembre 2013, la Ligue arabe a demandé une action internationale contre le gouvernement syrien pour décourager ce qu'elle a appelé le « crime horrible » consistant à utiliser des armes chimiques. C'était une étape importante vers le soutien à des frappes militaires occidentales, proche de l'approbation explicite que les Etats-Unis et certains alliés du Golfe avaient espéré. Faisant écho à sa position dans la crise libyenne, l'Algérie, aux côtés de l'Egypte, de l'Irak, du Liban et de la Tunisie, a exprimé son opposition à une intervention militaire étrangère en Syrie en dehors du « droit international », un euphémisme pour la loi du plus fort. Heureusement, cette fois, la Russie et la Chine ne sont pas du côté des puissances occidentales.
D'une part, les visions réductionnistes ont échoué à analyser la situation objectivement et ont eu recours à l'explication facile selon laquelle l'Algérie est pragmatique, et que les contradictions apparentes dans ses décisions et actions ne sont que le reflet de son approche réaliste. D'autre part, celles et ceux qui adhèrent à une vision binaire du monde, divisé entre un Nord impérialiste et un Sud anti-impérialiste, ont eu une attitude pavlovienne, qui a avancé l'idée que l'Algérie est sous une pression immense et se trouve ciblée pour son nationalisme et ses capacités de résistance à l'hégémonie occidentale[1].
Ces affirmations résisteront-elles à un examen sérieux ? La position de l'Algérie à l’endroit de ces interventions impérialistes est-elle justifiée ? Pourquoi l’Algérie a échoué à jouer un rôle plus proactif dans la résolution des crises au Mali, en Libye, et maintenant en Syrie, étant donné qu'il s'agit d'une puissance militaire et économique régionale, qui aurait dû être au premier plan dans ces conflits ? Ceci est d'autant plus important que l'Algérie était préoccupée par sa sécurité et a mis en garde contre les risques de déstabilisation et les retombées dans toute la région si les conflits s’aggravaient après l'intervention occidentale. Enfin, l'Algérie résiste-t-elle vraiment à l'hégémonie occidentale et conteste-t-elle la domination impérialiste ?
Cet article va tenter d'apporter quelques réponses à ces questions, et faire la lumière sur la politique étrangère de l'Algérie. Avant tout, examinons les cas libyen, malien et syrien.
Complicité tacite avec l'intervention de l'OTAN en Libye
Le régime algérien a été généralement hostile aux soulèvements qui ont eu lieu dans les pays voisins, et a adopté sa position soi-disant « neutre » face à ces événements marquants. Comment pourrait-il en être autrement pour un régime autoritaire, dont la survie est menacée par le risque que la vague révolutionnaire atteigne ses rives ? Plusieurs fonctionnaires de haut rang ont déclaré que l'Algérie a eu son « Printemps arabe » en 1988. Ils ont insisté sur le maintien de la « fausse » stabilité du pays, et ont utilisé la carte de la guerre civile traumatisante des années 1990, pour dissuader la population d'aller dans la même voie que les Egyptien-ne-s et les Tunisien-ne-s.
Le Conseil national de transition libyen (CNT), irrité par la position « neutre » des autorités algériennes et leur refus de le reconnaître comme un interlocuteur, a affirmé – sans aucune preuve à l’appui – que l'Algérie a apporté son soutien au régime de Kadhafi, et lui a fourni des mercenaires pour freiner la révolution. Le CNT a également réagi avec colère à la décision de l'Algérie d'accorder l’asile à des membres de la famille Kadhafi, et a considéré qu’il s’agissait d’un acte ennemi[2]. L'ambassadeur d'Algérie auprès des Nations unies a déclaré à la BBC que l'Algérie respectait tout simplement la « sainte règle de l'hospitalité », et acceptait la famille pour des raisons humanitaires. En outre, certaines sources ont rapporté que le gouvernement avait promis de livrer Mouammar Kadhafi s’il essayait de suivre sa famille en Algérie.
Un examen plus attentif à la position apparemment ambiguë du régime algérien, révèle que le pays essayait de s'adapter à une situation de changement rapide dans la région, et a été principalement préoccupé par sa survie et sa stabilité.
L’Algérie a voté contre une résolution approuvant une zone d'exclusion aérienne que la coquille vide qu’est la Ligue arabe a adoptée, et a déclaré qu'il revenait au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) de se prononcer sur une telle question, ce qu'il a fait à travers la résolution 1973, permettant une intervention de l'OTAN en Libye.
L’Algérie ne s'est pas opposée à l'intervention et n'a même pas mis en doute ses motivations impérialistes, n'ayant recours qu’à une vague critique de la mise en œuvre et de l'interprétation de la résolution 1973 du CSNU par les puissances occidentales. La réticence de l'Algérie à l’endroit de cette intervention peut être expliquée par sa peur des conséquences possibles dans la zone frontalière, et par ce qui est devenu une opposition sans âme et superficielle à l'ingérence étrangère dans les affaires intérieures des autres pays.
Collusion dans l'intervention française au Mali
Alors que l'Algérie poussait activement pour une solution diplomatique au conflit dans le nord du Mali, et a été un médiateur dans les négociations entre les autorités maliennes, le MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad) et les islamistes d'Ansar Eddine, la France n'était, dès le départ, pas trop enthousiaste quant à cette approche, et a fini par intervenir unilatéralement en janvier 2013.
Le régime algérien a affirmé de manière étonnante son respect de la décision française d'intervenir, car le Mali a demandé l'aide des puissances « amies ». Depuis quand l’ancien maître colonial est-il devenu une puissance « amicale » qui se soucie de la vie des Malien-ne-s ? Depuis quand la France, avec ses outils néo-coloniaux (Françafrique, Francophonie …), se soucie-t-elle du sort des Africain-e-s ?
Deux explications peuvent être avancées pour comprendre la réaction algérienne :
le régime algérien croit naïvement que les puissances occidentales sont soudainement devenues altruistes, abandonnant leur mission impérialiste de dominer et de contrôler le monde en fonction de leurs intérêts étroits, ou
le régime a simplement abdiqué face à l'hégémonie occidentale, et est disposé à coopérer.
Quelques jours après l'intervention française au Mali[3], le peuple algérien a dû subir l'humiliation de recevoir des nouvelles du ministre français des affaires étrangères, selon lesquelles les autorités algériennes avaient ouvert « sans condition » l'espace aérien algérien aux avions français, et exigé qu’Alger ferme ses frontières sud. Qui a dit que les attitudes néo-coloniales sont anachroniques ?
Certains journalistes ont aussi indiqué qu'un drone états-unien a été autorisé à suivre la prise d'otages dans l'usine de British Petroleum à In Amenas, dans le sud-est de l'Algérie, et plus récemment, il est apparu que les autorités algériennes apportaient un précieux soutien aux opérations françaises au Mali, en fournissant discrètement des quantités indispensables de carburant à l'armée française[4]. Ceci, en fait, revient à cautionner l'expédition néo-coloniale française.
L'Algérie et la menace militaire contre la Syrie : les mots ne suffisent pas
L'Algérie a été parmi les dix-huit pays (sur un total de vingt-deux) qui ont voté en novembre 2011 pour la suspension de la Syrie de la Ligue arabe, et la mise en œuvre de sanctions pour son refus de mettre fin à la répression gouvernementale des manifestations. Il s'agit d'une stupéfiante décision majoritaire, venant de pays comme le Bahreïn, l'Arabie Saoudite, le Soudan et l'Algérie, qui possèdent des relevés éblouissants en matière de démocratie et de droits humains.
Dans un geste perçu comme un retrait du processus de recherche d'un règlement politique de la crise syrienne, la Ligue arabe menée par le Qatar et l’Arabie saoudite, a pris la décision en mars 2013 d’offrir au Conseil national syrien (CNS), la place de la Syrie au sein de la Ligue arabe. L'Algérie et l'Irak ont voté contre la motion, arguant qu'une telle décision contredit la Charte de la Ligue arabe sur l'irrecevabilité de toute action visant à un changement de régime dans les pays arabes.
La résolution finale du sommet affirme que « chaque Etat membre de la Ligue arabe a le droit de fournir des moyens de défense comme il le souhaite – y compris militaires – pour soutenir la résistance du peuple syrien et l'Armée syrienne libre (la branche armée de l'opposition syrienne). » Avec une telle déclaration, on se demande si la Ligue arabe n'est pas devenue une courtisane des puissances occidentales (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis) et un outil de légitimation de leurs agendas dans la région.
Le 1er septembre 2013, la Ligue arabe a demandé une action internationale contre le gouvernement syrien pour décourager ce qu'elle a appelé le « crime horrible » consistant à utiliser des armes chimiques. C'était une étape importante vers le soutien à des frappes militaires occidentales, proche de l'approbation explicite que les Etats-Unis et certains alliés du Golfe avaient espéré. Faisant écho à sa position dans la crise libyenne, l'Algérie, aux côtés de l'Egypte, de l'Irak, du Liban et de la Tunisie, a exprimé son opposition à une intervention militaire étrangère en Syrie en dehors du « droit international », un euphémisme pour la loi du plus fort. Heureusement, cette fois, la Russie et la Chine ne sont pas du côté des puissances occidentales.
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