Une nouvelle génération d’hommes d’affaires voit le jour en Tunisie, face au changement profond qu’a connu le monde entrepreneurial dans le pays.
Dédiées presque exclusivement aux besoins d’un marché local hyperprotégé, depuis une trentaine d’années, les entreprises sont aujourd’hui sans cesse plus nombreuses à se lancer à l’assaut du monde
Depuis une dizaine d’années, Badreddine Ouali vit à cheval entre la Tunisie et l’Europe. Quasiment tous les lundis matin, le patron du groupe Vermeg prend l’avion pour le vieux continent et en revient le jeudi suivant, à la première heure.
Slim Zeghal, directeur d’Altea Packaging, est lui aussi un « jet-set man » qui fait en permanence la tournée des sites de production du groupe autour de la Méditerranée. À la fin de septembre
dernier, il a commencé la semaine au Maroc pour la terminer en Égypte, après un arrêt de quelques heures à Tunis.
Rym Hachicha Othmani fait quant à elle constamment le va-et-vient entre l’Algérie et la Tunisie, depuis qu’elle a ouvert dans la capitale algérienne une filiale de l’agence de communication Ceres Conseil qu’elle avait rachetée en 2000. Depuis, cette femme chef d’entreprise, mariée à l’homme d’affaires algérien Slim Othmani (patron de l’entreprise agroalimentaire NCA Rouiba), jongle tout le temps entre ses agendas tunisien et algérien.
Ces trois chefs d’entreprises tunisiens ne sont pas les seuls à être actifs dans plus d’un pays, sans cesse entre deux avions, souvent en simple « escale » dans leur propre pays. Leurs cas sont en fait emblématiques d’une nouvelle génération d’entrepreneurs en pleine émergence et du changement profond qu’a connu le monde entrepreneurial dans ce pays : les mondialisés. Dédiées presque exclusivement à la satisfaction des besoins d’un marché local hyperprotégé, depuis une trentaine d’années, les entreprises tunisiennes sont aujourd’hui sans cesse plus nombreuses à se lancer à l’assaut du monde.
Et le flux n’est pas près de se tarir, loin s’en faut. « Les entreprises et les groupes qui ne sont pas en train de concrétiser une implantation à l’étranger ont des projets dans leurs cartons », assure Aziz Mebarek, cofondateur et directeur général du capital-investisseur d’Africinvest Tuninvest Group. Certes, la situation actuelle en Tunisie peut, selon lui, freiner un peu la réalisation de ses projets. Mais sous peu, la machine pourrait repartir de plus belle.
Aziz Mebarek s’inscrit en faux contre l’idée que l’investissement des entreprises et groupes tunisiens à l’étranger se fait au détriment de la Tunisie. « Lorsqu’on développe un marché secondaire ailleurs, le primaire dans le pays d’origine en profite », défend-il.
Internationalisation. D’ailleurs, dans certaines branches d’activités – comme les câbles et les composants automobiles –, on n’a pas tellement le choix, selon lui. Car « les grands groupes internationaux ne veulent plus avoir affaire à un seul fournisseur » pour toutes leurs unités de production.
Elloumi, qui a bien compris cela, fait figure de pionnier en matière d’internationalisation. Ce groupe, fondé en 1946 par Taoufik Elloumi, et aujourd’hui géré par ses enfants (Faouzi, Hichem et Salma Elloumi), a été le premier à s’implanter en dehors de la Tunisie,
en créant en 1992 au Portugal une première filiale de sa société Coficab. En vingt ans, cette dernière a fait d’autres « petits » en Europe (Allemagne et Roumanie) et ailleurs (Maroc, Égypte).
Devenue une véritable petite multinationale, Coficab fait mieux que tirer son épingle du jeu. Elle est arrivée deuxième, derrière Volkswagen, au classement 2011 des 1 000 meilleures entreprises du Portugal.
Au cours des vingt dernières années, d’autres Tunisiens ont emboîté le pas au groupe Elloumi, pour se lancer à la conquête des pays du voisinage maghrébin et, ensuite, vers des destinations de plus en plus éloignées, en Afrique, et même en Asie.
Aucun des pays du Maghreb n’échappe à l’offensive des entreprises tunisiennes, dont la présence est toutefois inégale d’un endroit à un autre. En Mauritanie, elle est quasiment nulle, même si certaines entreprises y remportent et réalisent de temps en temps des marchés.
De grosses pointures du secteur industriel ont pris pied au Maroc depuis longtemps. Sur la lancée de son démarrage en trombe initial, le groupe Batam, fondé par les frères Ben Ayed, à la fin des années 1980, a étendu sa présence à ce pays. Toutefois, tout comme en Tunisie, l’aventure a tourné court et le groupe a disparu de la scène pour cause de développement mal maîtrisé.
Depuis, le royaume chérifien a vu arriver des enseignes tunisiennes plus solides : Elloumi, Altea Packaging, Poulina Group Holding (PGH)…, dont l’activité ne cesse de se développer au fil des ans. Un autre mastodonte s’apprête à les y rejoindre : Mabrouk.
Le groupe des frères Mohamed Ali, Ismaïl et Marwane Mabrouk (Banque internationale arabe de Tunisie, Monoprix, Géant…) a planté son drapeau sur le sol marocain, au début de 2013, en créant, en association avec Mondelez Inc (ex-Kraft Food), la société Atlas Investissement Maroc (AIM) pour y écouler ses produits agroalimentaires. Mais il compte également y déployer la chaîne de supermarchés
Monoprix, en principe avant la fin de l’année en cours.
En Algérie, la présence entrepreneuriale tunisienne est beaucoup plus importante, mais son ampleur est difficile à cerner. Au fil des ans, des opérateurs, petits et grands, se sont laissé attirer par l’énorme potentiel du marché algérien. Parmi eux figurent les groupes Alliance (Tarek Chérif) et Boujbel. Le premier a dupliqué en Algérie l’une de ses sociétés, Galion, spécialisée dans les contenants plastiques. Le second a racheté, en 2007, 50 % du laboratoire Inpha. « Les deux projets sont de parfaites réussites », assure Aziz Mebarek, associé et directeur général d’Africinvest Tuninvest Group, qui a accompagné les deux groupes tunisiens dans leur aventure algérienne.
Inpha-Medis notamment s’est si bien imposé que « les autorités algériennes lui donnent aujourd’hui la priorité sur la fourniture de certains médicaments. Ce que ne fait pas le ministère tunisien de la Santé publique pour Medis en Tunisie », constate notre interlocuteur.
Croissance. En Libye, perçue depuis la normalisation des relations du régime Kadhafi avec les pays occidentaux en 2006, comme le nouvel Eldorado, l’endroit où il faut être, la présence tunisienne est en croissance exponentielle. Comme ailleurs, les grands groupes qui sont en première ligne, et plus particulièrement les inévitables PGH et Mabrouk.
Avec onze entreprises déjà lancées (transformation des métaux, emballage, btp, matériaux de construction…), le groupe dirigé par Abdelwaheb ben Ayed est aujourd’hui l’un des plus importants investisseurs étrangers dans le pays.
Quant au groupe Mabrouk, c’est dans le chocolat et les barres chocolatées qu’il a réussi à s’imposer sur le marché libyen, face aux multinationales. Fort de ce succès, le groupe a décidé d’y étendre son activité à la grande distribution, en ouvrant des supermarchés Monoprix.
Toutefois, le Maghreb a cessé depuis longtemps d’être la seule destination des investisseurs tunisiens à l’étranger. Ces derniers sont chaque jour plus nombreux à regarder plus au Nord, plus au Sud et plus à l’Est. On les retrouve ainsi à l’autre bout de la planète, en Chine.
L’Empire du Milieu accueille en effet aujourd’hui au moins deux groupes : PGH, encore lui, et PEC. Poulina Group Holding s’est ouvert les portes du marché chinois en y créant en 2008 une société de conditionnement d’huile d’olive afin de convertir les Chinois à la consommation du plus noble des produits agroalimentaires tunisiens.
La suite...;
Dédiées presque exclusivement aux besoins d’un marché local hyperprotégé, depuis une trentaine d’années, les entreprises sont aujourd’hui sans cesse plus nombreuses à se lancer à l’assaut du monde
Depuis une dizaine d’années, Badreddine Ouali vit à cheval entre la Tunisie et l’Europe. Quasiment tous les lundis matin, le patron du groupe Vermeg prend l’avion pour le vieux continent et en revient le jeudi suivant, à la première heure.
Slim Zeghal, directeur d’Altea Packaging, est lui aussi un « jet-set man » qui fait en permanence la tournée des sites de production du groupe autour de la Méditerranée. À la fin de septembre
dernier, il a commencé la semaine au Maroc pour la terminer en Égypte, après un arrêt de quelques heures à Tunis.
Rym Hachicha Othmani fait quant à elle constamment le va-et-vient entre l’Algérie et la Tunisie, depuis qu’elle a ouvert dans la capitale algérienne une filiale de l’agence de communication Ceres Conseil qu’elle avait rachetée en 2000. Depuis, cette femme chef d’entreprise, mariée à l’homme d’affaires algérien Slim Othmani (patron de l’entreprise agroalimentaire NCA Rouiba), jongle tout le temps entre ses agendas tunisien et algérien.
Ces trois chefs d’entreprises tunisiens ne sont pas les seuls à être actifs dans plus d’un pays, sans cesse entre deux avions, souvent en simple « escale » dans leur propre pays. Leurs cas sont en fait emblématiques d’une nouvelle génération d’entrepreneurs en pleine émergence et du changement profond qu’a connu le monde entrepreneurial dans ce pays : les mondialisés. Dédiées presque exclusivement à la satisfaction des besoins d’un marché local hyperprotégé, depuis une trentaine d’années, les entreprises tunisiennes sont aujourd’hui sans cesse plus nombreuses à se lancer à l’assaut du monde.
Et le flux n’est pas près de se tarir, loin s’en faut. « Les entreprises et les groupes qui ne sont pas en train de concrétiser une implantation à l’étranger ont des projets dans leurs cartons », assure Aziz Mebarek, cofondateur et directeur général du capital-investisseur d’Africinvest Tuninvest Group. Certes, la situation actuelle en Tunisie peut, selon lui, freiner un peu la réalisation de ses projets. Mais sous peu, la machine pourrait repartir de plus belle.
Aziz Mebarek s’inscrit en faux contre l’idée que l’investissement des entreprises et groupes tunisiens à l’étranger se fait au détriment de la Tunisie. « Lorsqu’on développe un marché secondaire ailleurs, le primaire dans le pays d’origine en profite », défend-il.
Internationalisation. D’ailleurs, dans certaines branches d’activités – comme les câbles et les composants automobiles –, on n’a pas tellement le choix, selon lui. Car « les grands groupes internationaux ne veulent plus avoir affaire à un seul fournisseur » pour toutes leurs unités de production.
Elloumi, qui a bien compris cela, fait figure de pionnier en matière d’internationalisation. Ce groupe, fondé en 1946 par Taoufik Elloumi, et aujourd’hui géré par ses enfants (Faouzi, Hichem et Salma Elloumi), a été le premier à s’implanter en dehors de la Tunisie,
en créant en 1992 au Portugal une première filiale de sa société Coficab. En vingt ans, cette dernière a fait d’autres « petits » en Europe (Allemagne et Roumanie) et ailleurs (Maroc, Égypte).
Devenue une véritable petite multinationale, Coficab fait mieux que tirer son épingle du jeu. Elle est arrivée deuxième, derrière Volkswagen, au classement 2011 des 1 000 meilleures entreprises du Portugal.
Au cours des vingt dernières années, d’autres Tunisiens ont emboîté le pas au groupe Elloumi, pour se lancer à la conquête des pays du voisinage maghrébin et, ensuite, vers des destinations de plus en plus éloignées, en Afrique, et même en Asie.
Aucun des pays du Maghreb n’échappe à l’offensive des entreprises tunisiennes, dont la présence est toutefois inégale d’un endroit à un autre. En Mauritanie, elle est quasiment nulle, même si certaines entreprises y remportent et réalisent de temps en temps des marchés.
De grosses pointures du secteur industriel ont pris pied au Maroc depuis longtemps. Sur la lancée de son démarrage en trombe initial, le groupe Batam, fondé par les frères Ben Ayed, à la fin des années 1980, a étendu sa présence à ce pays. Toutefois, tout comme en Tunisie, l’aventure a tourné court et le groupe a disparu de la scène pour cause de développement mal maîtrisé.
Depuis, le royaume chérifien a vu arriver des enseignes tunisiennes plus solides : Elloumi, Altea Packaging, Poulina Group Holding (PGH)…, dont l’activité ne cesse de se développer au fil des ans. Un autre mastodonte s’apprête à les y rejoindre : Mabrouk.
Le groupe des frères Mohamed Ali, Ismaïl et Marwane Mabrouk (Banque internationale arabe de Tunisie, Monoprix, Géant…) a planté son drapeau sur le sol marocain, au début de 2013, en créant, en association avec Mondelez Inc (ex-Kraft Food), la société Atlas Investissement Maroc (AIM) pour y écouler ses produits agroalimentaires. Mais il compte également y déployer la chaîne de supermarchés
Monoprix, en principe avant la fin de l’année en cours.
En Algérie, la présence entrepreneuriale tunisienne est beaucoup plus importante, mais son ampleur est difficile à cerner. Au fil des ans, des opérateurs, petits et grands, se sont laissé attirer par l’énorme potentiel du marché algérien. Parmi eux figurent les groupes Alliance (Tarek Chérif) et Boujbel. Le premier a dupliqué en Algérie l’une de ses sociétés, Galion, spécialisée dans les contenants plastiques. Le second a racheté, en 2007, 50 % du laboratoire Inpha. « Les deux projets sont de parfaites réussites », assure Aziz Mebarek, associé et directeur général d’Africinvest Tuninvest Group, qui a accompagné les deux groupes tunisiens dans leur aventure algérienne.
Inpha-Medis notamment s’est si bien imposé que « les autorités algériennes lui donnent aujourd’hui la priorité sur la fourniture de certains médicaments. Ce que ne fait pas le ministère tunisien de la Santé publique pour Medis en Tunisie », constate notre interlocuteur.
Croissance. En Libye, perçue depuis la normalisation des relations du régime Kadhafi avec les pays occidentaux en 2006, comme le nouvel Eldorado, l’endroit où il faut être, la présence tunisienne est en croissance exponentielle. Comme ailleurs, les grands groupes qui sont en première ligne, et plus particulièrement les inévitables PGH et Mabrouk.
Avec onze entreprises déjà lancées (transformation des métaux, emballage, btp, matériaux de construction…), le groupe dirigé par Abdelwaheb ben Ayed est aujourd’hui l’un des plus importants investisseurs étrangers dans le pays.
Quant au groupe Mabrouk, c’est dans le chocolat et les barres chocolatées qu’il a réussi à s’imposer sur le marché libyen, face aux multinationales. Fort de ce succès, le groupe a décidé d’y étendre son activité à la grande distribution, en ouvrant des supermarchés Monoprix.
Toutefois, le Maghreb a cessé depuis longtemps d’être la seule destination des investisseurs tunisiens à l’étranger. Ces derniers sont chaque jour plus nombreux à regarder plus au Nord, plus au Sud et plus à l’Est. On les retrouve ainsi à l’autre bout de la planète, en Chine.
L’Empire du Milieu accueille en effet aujourd’hui au moins deux groupes : PGH, encore lui, et PEC. Poulina Group Holding s’est ouvert les portes du marché chinois en y créant en 2008 une société de conditionnement d’huile d’olive afin de convertir les Chinois à la consommation du plus noble des produits agroalimentaires tunisiens.
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