-Vous arrivez à la tête du ministère des Affaires religieuses avec un discours de rupture…
Ce n’est pas un nouveau discours ou une rupture, mais simplement une démarche qui vise à dépoussiérer notre islam ancestral. Retrouver une pratique modérée de l’islam qui prend ses sources dans le texte de la Révélation, dans le texte du Saint Coran et de la sunna, mais aussi qui prend en considération les paramètres du temps et de l’espace. C’est ce qui a fait l’histoire de cette religion. Et chaque fois qu’il y a eu égarement, cela a donné lieu à l’extrémisme.
Or l’Algérie s’est égarée, a perdu ses repères, ses référents en la matière. Et dans un contexte de «révolution» au nom d’un islamisme radical, nous avons perdu nos repères et nos référents authentiques. Nous avons oublié que nous appartenons à une civilisation qui a jailli de Cordoue et nous nous sommes retrouvés dans une pratique bédouine de la religion. Cela n’amoindrit en rien la vie bédouine, mais seulement, l’Algérie appartient à la Méditerranée, très proche de l’Europe, elle a été fortement influencée par l’Andalousie. L’Algérie avait accueilli ceux qui ont été harcelés par l’Inquisition en Espagne et qui sont venus avec leurs arts leur savoir-faire, leur réflexion et leur philosophie. C’est ça l’Algérie qui a été contrainte à oublier ses jalons et ses repères. Comment faire en sorte de renouer avec l’islam de Cordoue ?
Ce que je fais, aujourd’hui, entre d’abord dans l’esprit de la lettre de mission qui j’ai reçue et dans une démarche gouvernementale qui poursuit l’objectif de développer et de promouvoir le référent religieux national. C’est une préoccupation qui concerne directement mon département qui doit dépoussiérer et déblayer ces référents. Pour que la nation dans laquelle est inscrit «l’islam religion de l’Etat», comprenne que cet islam a de tout temps accepté l’autre, est modéré et a toujours uni les Algériens ; comme étant le catalyseur qui a pu réunir les Arabes et les non-Arabes, les gens de différentes couleurs et qui a uni le Sud et le Nord.
C’est cet islam que nous devons recouvrer. Nous devons retrouver ce que nous appelons dans notre jargon au ministère «l’Islam référent national». Il ne s’agit pas du malékisme, je le dis et le redis. La malékité de la société est une réalité, mais c’est celle qui permettait d’accepter l’ibadité, le hanafisme durant la période ottomane et permet aujourd’hui de puiser dans l’effort de jurisprudence hanbalite, ce qui est bénéfique pour la société algérienne. Mon discours s’axe sur tout cela pour promouvoir ce référent religieux national, il faut bien sûr parfois attirer l’attention sur des mouvements qui veulent le détruire. Au final, nous voulons réconcilier les Algériens avec l’islam authentique.
-Pensez-vous que les ingrédients qui ont conduit à un terrorisme massif durant la décennie noire sont encore là ? L’Etat a-t-il tiré la leçon de cette période tragique ?
Selon l’analyse, fournie par notre ministère depuis des années, est que l’interprétation de la religion est liée au temps et à l’espace. Ce qui est propre au Pakistan ne l’est pas en Algérie, et vice versa. Ce qui s’est passé avant la décennie noire, c’est-à-dire le background et la philosophie qui a présidé à la décennie noire, est que nous avons importé une façon de pratiquer l’islam qui est propre à un autre pays. Je vous donne des exemples concrets, parce que nous avons oublié ce qui s’est passé, nous sommes amnésiques. Allez voir le Nigeria, c’est un pays musulman de rite malékite, il a importé le wahhabisme de l’Arabie Saoudite et cela a donné Boko Haram. L’Irak qui a toujours été hanafite et qui a importé une façon de pratiquer la religion propre aux pays du Golfe, cela a donné Daech. C’est exactement ce qui s’est passé en Algérie. En tout cas, les Algériens, les institutions et les imams se sont ressaisis et la mosquée, qui était le pupitre à partir duquel jaillissait la discorde, a été récupérée pour en faire un outil de réconciliation nationale, qui veut dire réconciliation des Algériens avec leur pratique ancestrale de la religion.
-Cette pratique importée est due justement à l’envoi des imams et des enseignants des instituts islamiques se former en Arabie Saoudite qui, au retour, diffusent le wahhabisme. Vous continuez encore à envoyer des imams en Arabie pour formation ?
Je ne me souviens pas que l’Algérie ait envoyé de jeunes Algériens pour se former en imama en Arabie Saoudite ou dans n’importe quel autre pays. L’Algérie a toujours formé ses imams, ils sont le fruits de l’Enseignement supérieur qui a en son sein des doctorants, qui sont formés dans des pays orientaux. Il se n’agit pas du wahhabisme qui est unificateur pour son pays d’origine, seulement lorsqu’on le greffe à un autre pays, il devient un danger. Nous avons des doctorants qui se sont ressourcés ailleurs que dans le wahhabisme, dans des contrées chiites et chez les confréries des Frères musulmans. Cela existe à l’université et forme actuellement des étudiants qui détiennent des licences en sciences islamiques et qui veulent devenir imams.
Le ministre des Affaires religieuses, vous le dit d’emblée, s’immunise contre ces courants en imposant un concours pour recruter des imams, mais également pour la formation. Tout détenteur d’un diplôme supérieur en sciences islamiques ne peut prêcher dans nos mosquées qu’après avoir suivi une formation qui dure un semestre suivi d’un examen. Nous avons exclu tous ceux qui veulent renouer avec la faute que nous avons commise avant 1990. Ce dispositif existe, conjugué avec les autres partenaires, les services de sécurité et le ministère de l’Enseignement supérieur avec lequel il a été convenu, à l’occasion de la prochaine rentrée universitaire, de créer un institut à double tutelle qui formera des imams.
Ces départements seront démultipliés avec le temps dans d’autres wilayas et nous pourrons parvenir ainsi à avoir un diplômé propre à l’Algérie, engagé patriotiquement et authentique dans sa réflexion et dans sa démarche. L’Algérie n’a pas envoyé des imams pour des formations à l’étranger et ne le fera pas ; elle ne veut surtout pas renouer avec l’aventure.
-Il subsiste encore des mosquées et des lieux de culte qui sont sous le contrôle des imams radicaux, voire takfiriste. Votre département arrive-t-il à neutraliser ces fiefs ?
Aucune mosquée n’échappe au contrôle du ministère des Affaires religieuses et de l’Etat algérien. Elles exercent sous l’égide du ministère, les imams sont installés sous autorité, ce sont des fonctionnaires de l’Etat qui perçoivent un salaire et ils sont assistés et accompagnés par des inspecteurs du ministère sur le terrain, ils sont sanctionnés positivement ou négativement. Certains établissements sont sous l’égide d’autres départements qui disposent de salles de prière. Et je vous assure que mon ministère ne cautionne pas le discours développé dans ces lieux.
C’est pourquoi nous avons avancé une alternative dans le cadre du décret présidentiel régissant les associations à caractère religieux pour convertir toutes les salles de prière civiles en des mosquées de quartier et de demander aux autres départements ministériels et à des établissements, publics ou privés, qui disposent de salles de prière une aide et une assistance pour gérer ces lieux de culte. J’ai adressé récemment une correspondance au ministère de l’Enseignement supérieur pour ouvrir un champ de concertation concernant l’invitation de certains «savants» - des prêcheurs - qui viennent de l’étranger pour une visite parfois touristique et que subitement se transforment en prêcheurs dans les salles de prière des universités et ailleurs. J’ai déjà l’engagement de mon collègue de l’Enseignement supérieur et nous allons arriver à contrôler l’ensemble des lieux de culte en Algérie, non pas dans un but de restriction, mais d’assistance et d’accompagnement et surtout d’immunisation contre les dérives qui ont déjà mené l’Algérie vers la décennie noire.
-Votre ministère dispose-t-il d’un encadrement suffisamment qualifié pour pouvoir porter votre réforme ?
Nous avons quelque 23 000 cadres pour 17 000 mosquées, seulement la formation n’est pas la même pour tous. J’ai des imams, des muezzins et des gardiens de mosquée, mais l’élite manque. C’est pour cela que je prône la concertation avec d’autres départements ministériels. Nous interpellons les universitaires, les hommes de culture, les journalistes à s’impliquer non pas pour combattre les autres idéologies, mais pour mettre en relief une appartenance ancestrale, historique qui a fait l’honneur du bassin méditerranéen à l’époque de Cordoue et que nous voulons partager avec tous les Algériens.
Ce n’est pas seulement un travail de prêche, mais de sensibilisation permanente et d’interpellation dans lequel doit s’impliquer tout homme de culture sinon tout intellectuel. Et ce n’est pas en nombre qu’il faut parler, mais en efficacité et compétence. Si Malek Bennabi était unique dans sa génération, il a marqué son époque parce qu’il était cartésien dans son analyse et je peux citer d’autres savants. L’Algérie a besoin que son élite intellectuelle savante s’implique dans la société avec une volonté de sauvegarde et d’immunisation et surtout de patriotisme, sans laquelle aucun département ou institution ne peut nous sauver. Et c’est pourquoi je multiplie les appels et reviens à la charge à chaque fois pour mieux expliquer ma démarche.
Ce n’est pas un nouveau discours ou une rupture, mais simplement une démarche qui vise à dépoussiérer notre islam ancestral. Retrouver une pratique modérée de l’islam qui prend ses sources dans le texte de la Révélation, dans le texte du Saint Coran et de la sunna, mais aussi qui prend en considération les paramètres du temps et de l’espace. C’est ce qui a fait l’histoire de cette religion. Et chaque fois qu’il y a eu égarement, cela a donné lieu à l’extrémisme.
Or l’Algérie s’est égarée, a perdu ses repères, ses référents en la matière. Et dans un contexte de «révolution» au nom d’un islamisme radical, nous avons perdu nos repères et nos référents authentiques. Nous avons oublié que nous appartenons à une civilisation qui a jailli de Cordoue et nous nous sommes retrouvés dans une pratique bédouine de la religion. Cela n’amoindrit en rien la vie bédouine, mais seulement, l’Algérie appartient à la Méditerranée, très proche de l’Europe, elle a été fortement influencée par l’Andalousie. L’Algérie avait accueilli ceux qui ont été harcelés par l’Inquisition en Espagne et qui sont venus avec leurs arts leur savoir-faire, leur réflexion et leur philosophie. C’est ça l’Algérie qui a été contrainte à oublier ses jalons et ses repères. Comment faire en sorte de renouer avec l’islam de Cordoue ?
Ce que je fais, aujourd’hui, entre d’abord dans l’esprit de la lettre de mission qui j’ai reçue et dans une démarche gouvernementale qui poursuit l’objectif de développer et de promouvoir le référent religieux national. C’est une préoccupation qui concerne directement mon département qui doit dépoussiérer et déblayer ces référents. Pour que la nation dans laquelle est inscrit «l’islam religion de l’Etat», comprenne que cet islam a de tout temps accepté l’autre, est modéré et a toujours uni les Algériens ; comme étant le catalyseur qui a pu réunir les Arabes et les non-Arabes, les gens de différentes couleurs et qui a uni le Sud et le Nord.
C’est cet islam que nous devons recouvrer. Nous devons retrouver ce que nous appelons dans notre jargon au ministère «l’Islam référent national». Il ne s’agit pas du malékisme, je le dis et le redis. La malékité de la société est une réalité, mais c’est celle qui permettait d’accepter l’ibadité, le hanafisme durant la période ottomane et permet aujourd’hui de puiser dans l’effort de jurisprudence hanbalite, ce qui est bénéfique pour la société algérienne. Mon discours s’axe sur tout cela pour promouvoir ce référent religieux national, il faut bien sûr parfois attirer l’attention sur des mouvements qui veulent le détruire. Au final, nous voulons réconcilier les Algériens avec l’islam authentique.
-Pensez-vous que les ingrédients qui ont conduit à un terrorisme massif durant la décennie noire sont encore là ? L’Etat a-t-il tiré la leçon de cette période tragique ?
Selon l’analyse, fournie par notre ministère depuis des années, est que l’interprétation de la religion est liée au temps et à l’espace. Ce qui est propre au Pakistan ne l’est pas en Algérie, et vice versa. Ce qui s’est passé avant la décennie noire, c’est-à-dire le background et la philosophie qui a présidé à la décennie noire, est que nous avons importé une façon de pratiquer l’islam qui est propre à un autre pays. Je vous donne des exemples concrets, parce que nous avons oublié ce qui s’est passé, nous sommes amnésiques. Allez voir le Nigeria, c’est un pays musulman de rite malékite, il a importé le wahhabisme de l’Arabie Saoudite et cela a donné Boko Haram. L’Irak qui a toujours été hanafite et qui a importé une façon de pratiquer la religion propre aux pays du Golfe, cela a donné Daech. C’est exactement ce qui s’est passé en Algérie. En tout cas, les Algériens, les institutions et les imams se sont ressaisis et la mosquée, qui était le pupitre à partir duquel jaillissait la discorde, a été récupérée pour en faire un outil de réconciliation nationale, qui veut dire réconciliation des Algériens avec leur pratique ancestrale de la religion.
-Cette pratique importée est due justement à l’envoi des imams et des enseignants des instituts islamiques se former en Arabie Saoudite qui, au retour, diffusent le wahhabisme. Vous continuez encore à envoyer des imams en Arabie pour formation ?
Je ne me souviens pas que l’Algérie ait envoyé de jeunes Algériens pour se former en imama en Arabie Saoudite ou dans n’importe quel autre pays. L’Algérie a toujours formé ses imams, ils sont le fruits de l’Enseignement supérieur qui a en son sein des doctorants, qui sont formés dans des pays orientaux. Il se n’agit pas du wahhabisme qui est unificateur pour son pays d’origine, seulement lorsqu’on le greffe à un autre pays, il devient un danger. Nous avons des doctorants qui se sont ressourcés ailleurs que dans le wahhabisme, dans des contrées chiites et chez les confréries des Frères musulmans. Cela existe à l’université et forme actuellement des étudiants qui détiennent des licences en sciences islamiques et qui veulent devenir imams.
Le ministre des Affaires religieuses, vous le dit d’emblée, s’immunise contre ces courants en imposant un concours pour recruter des imams, mais également pour la formation. Tout détenteur d’un diplôme supérieur en sciences islamiques ne peut prêcher dans nos mosquées qu’après avoir suivi une formation qui dure un semestre suivi d’un examen. Nous avons exclu tous ceux qui veulent renouer avec la faute que nous avons commise avant 1990. Ce dispositif existe, conjugué avec les autres partenaires, les services de sécurité et le ministère de l’Enseignement supérieur avec lequel il a été convenu, à l’occasion de la prochaine rentrée universitaire, de créer un institut à double tutelle qui formera des imams.
Ces départements seront démultipliés avec le temps dans d’autres wilayas et nous pourrons parvenir ainsi à avoir un diplômé propre à l’Algérie, engagé patriotiquement et authentique dans sa réflexion et dans sa démarche. L’Algérie n’a pas envoyé des imams pour des formations à l’étranger et ne le fera pas ; elle ne veut surtout pas renouer avec l’aventure.
-Il subsiste encore des mosquées et des lieux de culte qui sont sous le contrôle des imams radicaux, voire takfiriste. Votre département arrive-t-il à neutraliser ces fiefs ?
Aucune mosquée n’échappe au contrôle du ministère des Affaires religieuses et de l’Etat algérien. Elles exercent sous l’égide du ministère, les imams sont installés sous autorité, ce sont des fonctionnaires de l’Etat qui perçoivent un salaire et ils sont assistés et accompagnés par des inspecteurs du ministère sur le terrain, ils sont sanctionnés positivement ou négativement. Certains établissements sont sous l’égide d’autres départements qui disposent de salles de prière. Et je vous assure que mon ministère ne cautionne pas le discours développé dans ces lieux.
C’est pourquoi nous avons avancé une alternative dans le cadre du décret présidentiel régissant les associations à caractère religieux pour convertir toutes les salles de prière civiles en des mosquées de quartier et de demander aux autres départements ministériels et à des établissements, publics ou privés, qui disposent de salles de prière une aide et une assistance pour gérer ces lieux de culte. J’ai adressé récemment une correspondance au ministère de l’Enseignement supérieur pour ouvrir un champ de concertation concernant l’invitation de certains «savants» - des prêcheurs - qui viennent de l’étranger pour une visite parfois touristique et que subitement se transforment en prêcheurs dans les salles de prière des universités et ailleurs. J’ai déjà l’engagement de mon collègue de l’Enseignement supérieur et nous allons arriver à contrôler l’ensemble des lieux de culte en Algérie, non pas dans un but de restriction, mais d’assistance et d’accompagnement et surtout d’immunisation contre les dérives qui ont déjà mené l’Algérie vers la décennie noire.
-Votre ministère dispose-t-il d’un encadrement suffisamment qualifié pour pouvoir porter votre réforme ?
Nous avons quelque 23 000 cadres pour 17 000 mosquées, seulement la formation n’est pas la même pour tous. J’ai des imams, des muezzins et des gardiens de mosquée, mais l’élite manque. C’est pour cela que je prône la concertation avec d’autres départements ministériels. Nous interpellons les universitaires, les hommes de culture, les journalistes à s’impliquer non pas pour combattre les autres idéologies, mais pour mettre en relief une appartenance ancestrale, historique qui a fait l’honneur du bassin méditerranéen à l’époque de Cordoue et que nous voulons partager avec tous les Algériens.
Ce n’est pas seulement un travail de prêche, mais de sensibilisation permanente et d’interpellation dans lequel doit s’impliquer tout homme de culture sinon tout intellectuel. Et ce n’est pas en nombre qu’il faut parler, mais en efficacité et compétence. Si Malek Bennabi était unique dans sa génération, il a marqué son époque parce qu’il était cartésien dans son analyse et je peux citer d’autres savants. L’Algérie a besoin que son élite intellectuelle savante s’implique dans la société avec une volonté de sauvegarde et d’immunisation et surtout de patriotisme, sans laquelle aucun département ou institution ne peut nous sauver. Et c’est pourquoi je multiplie les appels et reviens à la charge à chaque fois pour mieux expliquer ma démarche.
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