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Le Nigeria ne parvient pas à empêcher la progression de Boko Haram

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  • Le Nigeria ne parvient pas à empêcher la progression de Boko Haram

    Aucune des mesures de sécurité prises par le gouvernement nigérian ne semble capable d'éviter les attentats. A l'heure où de nombreux étudiants se trouvaient sur le campus du Federal College of Education de Kano, un double attentat-suicide a fait de nombreuses victimes dans la plus grande ville du nord du Nigeria : treize morts (auxquels s'ajoutent les deux kamikazes) et une trentaine de blessés, selon le bilan donné par un commissaire de police, cité par un journaliste de l'Agence France-Presse sur place. Un carnage qui, s'il n'a pas encore été revendiqué, semble participer de l'offensive brutale, menée sur plusieurs fronts, par les hommes de l'insurrection djihadiste nigériane dont les différents groupes se font appeler Boko Haram.

    C'est à bord de deux taxis triporteurs (l'équivalent des tuk-tuk), qui servent partout de taxi au Nigeria, que deux kamikazes sont entrés dans le campus de cet établissement gouvernemental de la ville, réputé depuis les années 1960. Ils ont tout fait pour déclencher l'explosion de leur charge au milieu de la foule des étudiants. L'un des hommes, semble-t-il, est parvenu à pénétrer dans une salle de cours ou un auditorium où il a actionné le dispositif de mise à feu ; le second aurait explosé à l'extérieur.

    Auparavant, il leur avait fallu se frayer un chemin en tirant pour écarter les gardes qui sont désormais postés devant les établissements scolaires nigérians, dans les vastes régions du Nord, où résident les deux tiers de la population du pays. C'est dans le Nors que se concentrent les actions des insurgés de Boko Haram, surnom légèrement caricatural, mais en usage (signifiant « l'éducation à l'occidentale est impure, proscrite ») donné à un groupe qui, techniquement, se nomme Jama'atu ahlis-sunnah lidda'awati wal djihad (« personnes ayant fait le serment de diffuser les enseignements du du Prophète et du djihad »)


    ATTISER LES TENSIONS ENTRE CHRÉTIENS ET MUSULMANS

    A Kano, Boko Haram n'a pas de troupes au sol, et n'engage pas de batailles rangées avec les forces de sécurité. Mais le groupe y multiplie les attentats grâce à des « cellules » clandestines. En juillet, pendant le ramadan, le groupe ou des affidés en avaient commis cinq successivement dans la ville. Or, Kano, comme Kaduna (plus au sud), est une ville qui a connu de graves violences interreligieuses à l'aube des années 2000, lors du retour à la démocratie, et de l'instauration de la charia. Le premier but de ces attentats est de tenter de déclencher de nouvelles violences, en tablant sur le fait que des amalgames s'opèrent et mettent des chrétiens aux prises avec des musulmans. Cette tactique, jusqu'ici, a échoué totalement. Mais cela n'enlève rien au climat de tension générale instauré par ces bombes qui frappent dans les grandes villes du Nord, de Bauchi à Kano.

    C'est à Kano, aussi, que le nouvel émir (depuis juin), Sanusi Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la banque centrale, issu d'une lignée royale et figure de l'opposition, appelait récemment à la raison. Par ce nouvel attentat, Boko Haram montre à quel point l'avis des autorités religieuses traditionnelles lui est indifférent.

    Parallèlement à cette vague d'attentats, les forces de Boko Haram sont en progression sur le terrain militaire. C'est donc vraisemblablement une forme de « saturation », ou de combat sur deux axes, que le groupe d'Abubakar Shekau (qui se présente comme son chef) est en train de mettre en place. D'un côté, des attentats pour frapper les esprits, espérer déclencher des troubles par autoallumages (il existe un discours extrémiste au Nigeria dans certains milieux chrétiens également). De l'autre, infliger des défaites à l'armée nigériane, se tailler un fief. La conjonction des deux, peut-être, aurait le pouvoir de déstabiliser le pays.

    Mais Shekau a d'autres ambitions, plus grandioses dans un sens. A la fin d'août, dans la foulée de la percée fulgurante de l'Etat islamique entre Syrie et Irak, puis de la proclamation par le chef de ce groupe de la constitution d'un califat dans cette région, le chef de Boko Haram avait diffusé l'une de ses vidéos hautes en couleur, dans laquelle il félicitait ses homologues de Syrie et d'Irak, et déclarait en substance son propre califat après la prise de Gwoza, située près du Cameroun. Une petite ville dont l'émir local avait été assassiné quelques semaines plus tôt par Boko Haram.

    L'hypothèse, grandiloquente, de la constitution d'un califat est absurde, si l'on s'en tient aux conditions qui devraient être réunies pour un tel projet. Mais les insurgés de Boko Haram ont aussi opéré une transition entre les attaques de guérilla de la période précédente, qui les voyait souvent abandonner le terrain conquis après des attaques éclair, une fois les ressources pillées (notamment la nourriture), et une fois commises les atrocités « à message » destinées à faire régner la terreur au sein de la population afin de la dissuader de collaborer avec les forces loyalistes (lesquelles commettent leurs propres atrocités, pour ne pas être en reste).


    UN FIEF EN EXTENSION

    Au cours de l'été, Boko Haram a commencé à se constituer des poches, et cela commençait à ressembler à un fief en extension, au-delà des zones où les combattants évoluaient en toute liberté, notamment dans la grande forêt de Sambisa, qui court depuis les environs de Maidugiri vers les environs de la frontière camerounaise et jusque dans l'Etat d'Adamawa, plus au sud.

    Les insurgés djihadistes ont commencé par s'implanter de plus en plus en profondeur le long de la zone montagneuse, frontalière du Cameroun (avec notamment la prise de Gwoza, ou plus au nord, vers le lac Tchad, à Gambaru Ngala). C'est aussi une zone pratique, du point de vue logistique, par laquelle ils font arriver des convois d'armes. De là, ils ont ensuite poussé en direction de Maiduguri. La ville de plus d'un million d'habitants a été le berceau de Boko Haram, qui avait pris le contrôle de quartiers entiers avant d'en être chassé l'année passée.

    Capture réalisée en août d'une vidéo de propagande diffusée par le groupe islamiste Boko Haram, qui mène une offensive fulgurante dans le nord du Nigeria depuis plusieurs semaines.
    Le « retour » de Boko Haram dans « sa » ville, avec un fort esprit de revanche, a le pouvoir de déclencher la panique. Depuis le début de l'année, le groupe a attaqué deux camps militaires en périphérie, grâce à des complicités au sein de l'armée. Maiduguri est le siège de la 7e division, chargée de mettre fin aux activités du groupe armé. L'ambiance au sein de ce contingent est exécrable. Douze soldats qui s'étaient mutinés ont été condamnés à mort mardi par un tribunal militaire.

    Depuis une dizaine de jours, la ville vit dans la terreur (ou l'espoir, car certains sympathisants de Boko Haram y vivent dans la clandestinité) d'une irruption des djihadistes dans la capitale de l'Etat. Cette peur est nourrie par un mouvement que les membres du conseil des anciens ont qualifié « d'encerclement ». Le terme n'est pas tout à fait exact dans la mesure où les forces de Boko Haram ne restent pas sur des positions fixes. Dans les environs de Maiduguri, ils circulent librement la nuit à bord de Toyota Hilux ou montés sur des motos. Ils lancent parfois des attaques avec plusieurs dizaines de combattants juchés sur les petits deux-roues. Ces dernières semaines, ils ont fait avancer ces combattants dans un mouvement enveloppant en « fer à cheval », enserrant de plus en plus Maiduguri, où a couru un vent de panique, alimenté par des tracts affirmant que Boko Haram serait bientôt maître de la ville.



    PERCÉES MILITAIRES

    Cette peur est confortée par le fait que les insurgés réussissent des percées dans plusieurs directions. Dans le Nord-Est, ils ont pris Bama, à 70 kilomètres seulement de Maiduguri. Le gouvernement a affirmé avoir repris cette ville avec son camp militaire (où Boko haram a saisi du matériel). Ils mentaient, une fois de plus. Dans l'intervalle, les djihadistes s'étaient encore rapprochés, attaquant Konduga, qui n'est qu'à 35 kilomètres de Maiduguri. Une fois vendredi, puis à nouveau mardi. Ils y ont perdu beaucoup d'hommes, semble-t-il, et du matériel (dont l'un de leurs blindés), mais l'issue de cette bataille est encore inconnue. S'ils l'emportent à Kinduga, ils sont aux portes de la ville.

    Des coups de feu pouvaient être du reste entendus à Maiduguri, dans le quartier proche de la sortie est, sur la route de Konduga, et non loin de l'immense campus de l'université, où des soldats en casque lourd, l'arme à la main, filtrent les visiteurs (de peur justement d'un attentat de kamikaze), mais ne pourraient résister à une percée de Boko Haram.

    Mais les djihadistes attaquent aussi plein sud, en direction de l'Etat voisin d'Adamawa. Ils ont pris (et peut-être perdu, des combats s'y déroulent encore), des villes comme Michika et Bazza. Et progressent en direction de Mubi. A l'extérieur du Nigeria, personne ou presque n'a entendu parler de Mubi. Mais c'est une ville comme le pays le plus peuplé d'Afrique en compte tant : plus d'un million d'habitants, et une immense université. En somme, une très belle cible pour des insurgés. Rien n'indique qu'ils veuillent réellement pousser jusque-là : il leur suffit de faire croire qu'ils y songent.

    A moins qu'il ne veuillent tenter une opération vers Yola, la capitale de l'Adamawa, d'où partent les Alphajet qui bombardent ces jours-ci certaines positions des insurgés (ou des villages, on l'ignore, l'armée nigériane est coutumière des bavures à grande échelle). Cette hypothèse est invraisemblable. Mais dans le climat actuel, toute la région commence à craindre de telles hypothèses. Le but de Boko Haram est aussi de semer la confusion. De ce point de vue, c'est un succès.


    Le monde
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