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ABÛ BAKR IBN YÛSUF : Astronome Marocain du 13ème siècle, respecté et admiré à l’étranger

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  • ABÛ BAKR IBN YÛSUF : Astronome Marocain du 13ème siècle, respecté et admiré à l’étranger







    Mon histoire avec Abû Bakr a commencé, il y a 50 ans. En 1965, j’habitais la rue Ozenne à Toulouse où je résidais pour mes études. Ma chambre se trouvait à moins de 100 mètres du musée Paul-Dupuy de cette ville. Auparavant, je n’avais jamais mis les pieds dans un musée.
    Après être passé et repassé quelques centaines de fois devant le musée voisin, j’ai décidé un jour d’en franchir le seuil. Dès l’entrée et dans un endroit bien en vue, il y avait un petit attroupement autour d’une vitrine bien éclairée et manifestement mieux présentée que les autres. Dans la vitrine, se trouvait un objet métallique en cuivre jaune ou en laiton avec des disques, métalliques aussi, et de même grandeur, 15 à 20 cm de diamètre, présentés en cercle autour de la pièce centrale. Le travail rappelle celui des orfèvres marocains mais, au lieu des arabesques habituelles, ce sont des cercles finement gravés, quelques-uns concentriques et d’autres passant par le même point de manière symétrique. L’objet est certainement fait pour calculer ou mesurer quelque chose, a l’air un peu savant et d’une grande élégance. L’écriteau qui nécessitait de se mettre presque contre la vitrine pour être lu, indiquait : Astrolabe marocain. Fait par Abû Bakr ibn Yûsuf à Marrakech, 1216-1217 (613 de l’Hégire).
    Il m’est difficile de décrire mes sensations sur le coup, mais il m’a semblé que j’ai été envahi par un sentiment de fierté incontrôlé et en même temps par la nostalgie de mon pays. J’ai senti mon torse se bomber dans ce musée et ma tête se redresser comme au garde-à-vous. Je me pris même un court instant un peu pour le cousin d’Abû Bakr et j’avais envie de dire aux autres visiteurs du musée que ce qui est dans la vitrine venait de mon pays, le Maroc, et que de plus j’étais de la ville de sa fabrication ! ‘’Quand même, me disais-je, nous ne sommes pas entièrement nuls au Maroc’’ et ‘’ Savent-ils au Maroc que l’un de nos anciens savants a construit de tels objets scientifiques, il y a 800 ans, et qu’ils sont exposés dans des musées en Europe ?’’
    Par la suite, j’ai enfoui tout cela quelque part dans ma tête et… abandonné Abû Bakr à son astrolabe car j’avais bien autre chose à faire. Mes études n’avaient que peu de chose à voir avec l’astronomie arabe et avec cet instrument…
    Depuis cette visite, il m’est resté quelque chose qui m’a longtemps intrigué. J’ai beaucoup observé le comportement des gens chez nous au Maroc, quand arrivent sur la table des discussions sur ce que chaque civilisation a apporté au progrès des sciences ou à la marche de l’Humanité en général. Nous en parlons de ces questions, pas tous les jours bien sûr, mais nous en parlons en famille, entre amis ou dans les bureaux. Il nous arrive également de parler de ces sujets avec des étrangers, quand on travaille dans un environnement international. Nos comportements lors des débats sur ces questions sont exactement les mêmes, dans tous les milieux et au sein des deux ou trois générations que nous côtoyons : Nous nous accrochons toujours, toujours à l’Age d’or de la civilisation arabe, notre patrimoine, une espèce de bouée de secours, comme des naufragés. Quand nous sommes déstabilisés dans ces discussions, nous brandissons, comme un argument massue, quelques noms de savants arabes qui ne sont d’ailleurs pas toujours marocains ! Il semble que cette attitude soit la même dans les autres pays arabes.
    Malheureusement, quand on y regarde de plus près et dans les faits, pour nous au Maroc, ce patrimoine, quelques fois, n’est ni bien préservé, ni bien connu, ni reconnu. C’est une contradiction continuelle dans nos comportements : Nous nous référons tout le temps à la même période de notre Histoire, Al andalous par exemple pour nous Marocains, mais dans les faits nous n’accordons que très peu d’intérêt à cette Histoire. A commencer par seulement la connaitre un peu ! Nous parlons de nos Hommes de science marocains et nous sommes souvent incapables d’en citer quelques-uns.

    A la recherche du chaînon manquant

    Depuis une dizaine d’années, j’ai voulu aller au-delà des clichés et passer en revue, mais en profondeur, notre patrimoine scientifique pour en avoir le cœur net. Avec ma formation scientifique, mon expérience tant nationale qu’internationale, je me suis attelé à cette tâche passionnante, même si les choses ne sont pas toujours facilitées. Je suis surtout guidé dans cette initiative personnelle par la conviction qu’au Maroc nous avons, chacun à son niveau, des choses à faire et que nous devons faire, et si nous ne les faisons pas, personne ne viendra pour les faire à notre place.
    A partir des ouvrages qui font autorité dans le domaine de l’astronomie arabe, des visites de musées à travers le monde, de la fréquentation de milieux versés dans ce domaine et des bibliothèques spécialisées dans ces sujets, de relations établies avec de rares ateliers, au Maroc et à l’étranger, qui construisent encore de nos jours, des astrolabes et des cadrans solaires comme du temps de cet Age d’or de notre civilisation, j’ai accumulé un nombre considérable de documents, certains très rares, et de données sur l’histoire et le fonctionnement de l’astrolabe. J’ai pu ensuite assimiler les améliorations introduites par les savants arabes dans l’utilisation de cet instrument scientifique le plus génial et le plus en avance sur son temps. Je viens surtout d’aboutir au résultat le plus éclatant et le plus extraordinaire qui puisse récompenser des années de recherche : Eurêka ! Notre pays, notre Cher pays le Maroc a eu dans son Histoire un grand savant astronome au 13ème siècle et ce savant s’appelle Abû Bakr ibn Yûsuf. Respecté et admiré à l’étranger, j’ai découvert aussi qu’il est inconnu dans son pays, le Maroc !
    Il est, malheureusement, assez inhabituel de faire de telles découvertes chez nous au Maroc. Car, en dehors de quelques noms jetés au hasard, nous n’avons pas de savant astronome qui nous ait légué des instruments de mesures astronomiques, fabriqués de sa main. Il ne peut pas y avoir de confusion possible, car la liste est désespérément vide. Alors qui est Abû Bakr ibn Yûsuf ? Qu’a-t-il fait et quand ? Où peut-on voir ce qu’il a fait ? A quoi ça sert ce qu’il a fait ? Est-il connu ou reconnu à l’étranger ? Est-il connu ou reconnu au Maroc ? A-t-il laissé des écrits ? A-t-on écrit sur lui ? Qu’apporte-t-il vraiment au Maroc ? Que peut-il lui apporter d’autre ?
    Son nom tel que gravé sur les tympans de ses astrolabes est : أبو بكر بن يوسف. J’aurais donc écrit volontiers, Abou Bakr ben Youssef pour être conforme avec nos appellations habituelles au Maroc, mais ne compliquons pas notre tâche et nos relations avec les musées étrangers qui exposent ses œuvres et n’égarons pas les visiteurs de musées et les lecteurs de documents faits sur lui. Et puis, comme on dit au Maroc, ‘’attendons qu’il naisse et on lui donnera un nom’’. Car jusqu’à la présente ligne, il est encore totalement inconnu au Maroc et, selon mes premières tentatives, il ne sera pas facile de le faire reconnaitre dans son propre pays, alors que ses chefs-d’œuvre voyagent de musée en musée dans le reste de la planète ! C’est ainsi.
    Donc Abû Bakr ibn Yûsuf est un astronome marocain, de l’école hispano-mauresque, qui a vécu sous le règne almohade, à cheval entre le 12ème et le 13ème siècle. Les astrolabes qu’il nous a légués sont datés de 1208 à 1218 (605 à 615 de l’Hégire). En ce temps-là, les astronomes de cette école étaient formés au pays d’Al andalous, Espagne musulmane, où le maitre absolu en la matière, un siècle avant, était le grand astronome de Tolède, Abû Ishaq Ibrahim Zarqali. Ce dernier avait été l’inventeur d’un nouveau type d’astrolabe dit universel et ses écrits ont grandement influencé les astronomes européens Nicolas Copernic et Galilée qui avaient introduit la vision héliocentrique du monde, au 16ème siècle. Deux noms issus de cette école se détachent : Abû Bakr ibn Yûsuf (Marrakech) et Mohammed ibn al-Fattouh Al Khoumayri (Marrakech et Séville). Abû Bakr a donc vécu et travaillé à Marrakech quand cette ville avait moins de cent ans et la Koutoubia était en cours d’édification. Il a fabriqué des astrolabes, quelques fois pour des rois et des princes almohades. Il a également construit des astrolabes prévus pour fonctionner au Maroc, en Espagne, au Portugal, en Egypte, en Palestine, en Arabie Saoudite et en Irak. Plus précisément, les tympans de ses astrolabes étaient gravés pour les latitudes des villes de Marrakech, Fès, Sijilmassa, Sebta (Ceuta), Almeria, Cordoue, Séville, Tolède, Saragosse, Misr (vieux Caire), Al Qods (Jérusalem), La Mecque, Médine et Baghdad. Il est fort probable qu’Ibn al-Banna’ (1256-1321), mathématicien marocain, ait utilisé un des astrolabes d’Abû Bakr pour ses travaux d’astronomie, dans un lieu appelé Al borj à Marrakech.

  • #2
    suite

    Fonctionnement et utilisation de l’astrolabe (Voir le schéma d’un astrolabe démonté)

    On attribue l’invention de l’astrolabe à un savant grec, Hipparque, du II ème siècle av. J.-C. Astrolabe est un nom grec composé des mots ‘astro’ et ‘labe’, qui signifie ‘’preneur d’astre’’. C’est un instrument qui permet des calculs astronomiques par le mouvement d’une pièce circulaire, l’araignée ((العنكبوت sur laquelle on a matérialisé les étoiles les plus brillantes du ciel. Cette pièce va tourner autour d’un axe central par rapport aux lignes gravées sur un tympan qui permettent de situer ces étoiles depuis le lieu de l’observation. L’instrument va alors permettre d’établir des relations entre la position des étoiles et le temps.
    Pour utiliser un astrolabe, on le tient à la verticale au-dessus de l’œil. Au dos de l’instrument, se trouve une règle pivotante, الحدادة, l’alidade qui est munie de deux œilletons à travers lesquels on vise l’étoile connue et déjà matérialisée sur l’araignée. Cette visée permet la lecture en degrés de la hauteur de cette étoile sur le pourtour de l’astrolabe, mettons 40°. On retourne ensuite l’astrolabe pour en utiliser l’autre face et on fait pivoter l’araignée jusqu’à mettre la pointe de l’étoile concernée sur le cercle, almicantarat, de hauteur 40°, gravé sur le tympan du lieu d’observation. On amène alors l’ostenseur sur la position du soleil le jour de la mesure et on lit à l’extrémité de cet ostenseur l’heure solaire indiquée. Le jour, c’est le soleil qui est visé (attention aux yeux !).
    A partir de ce genre de manipulations, on a pu obtenir d’innombrables applications. Al Khawarizmi, inventeur de l’algèbre, estime avoir résolu 43 problèmes mathématiques à l’astrolabe.
    Ce sont les Arabes qui, à partir du 7ème siècle, vont ‘’déterrer’’ cet instrument laissé à l’abandon pour lui donner une nouvelle vie. Mais pourquoi donc les Arabes ont-ils adopté cet instrument en particulier ? Pourquoi a-t-il été l’objet de toutes les attentions et de toutes les études de leurs mathématiciens qui y ont apporté de nombreuses améliorations, durant des siècles? Des lignes d’égale hauteur des étoiles, des lignes d’égal azimut, le carré des ombres, la trigonométrie sphérique, avec des termes que l’Occident adoptera par la suite (zénith, azimut, nadir, almicantarat, alidade etc.). Réponse : Parce qu’à partir du 7ème siècle, les Arabes étaient partis aux quatre points cardinaux pour la propagation de l’Islam et dans ces contrées, ils avaient besoin d’un instrument qui puisse leur donner les heures de prière, la direction de La Mecque pour les prières et pour l’orientation à la construction des mosquées.
    Parmi les innombrables fonctions de l’astrolabe, on peut citer les suivantes :

    • Détermination des heures en général et des heures de prière.
    • Détermination des directions, de La Mecque (Qibla) en particulier.
    • Connaitre les lever et coucher du soleil et des étoiles.
    • Détermination de la latitude et de la longitude d’un lieu.
    • Connaitre la hauteur d’une montagne, d’un mur, d’un rempart, d’une colonne, d’un arbre…
    • Connaitre la largeur d’un fleuve.
    • Connaitre la profondeur d’un puits et faire des mesures dans des lieux inaccessibles.

    Une forme simplifiée de l’astrolabe, sans araignée, a servi pendant des siècles pour l’orientation des vaisseaux, dans la navigation maritime.
    C’est donc une espèce d’ordinateur d’il y a 1000 ans, avec une horloge et une boussole. Selon les Anciens, la Terre est ronde et se trouve enveloppée par une autre grande sphère sur laquelle sont incrustées les étoiles. Cette ‘’sphère des fixes’’, sur laquelle les étoiles gardent les mêmes distances entre elles, tourne autour de la Terre laquelle est donc au centre. L’araignée est une représentation plane de la grande sphère et le nom en arabe de cette pièce est plus parlant العنكبوت qui veut dire toile (d’araignée). N’est-ce pas donc notre Web, notre Net, notre toile du 21 ème siècle ? D’ailleurs de nombreux auteurs se contentent d’écrire al Ankabout…

    Les astrolabes d’Abû Bakr ibn Yûsuf

    La construction d’un astrolabe nécessitait la maitrise de nombreuses disciplines scientifiques, les plus en avance du moment : la trigonométrie sphérique, la géométrie, la connaissance du mouvement des étoiles, la géographie, la chimie, le travail sur les métaux et aussi l’astrologie. C’est cet instrument astronomique qui caractérise le mieux ce que l’on appelle علم الفلك, l’astronomie arabe.
    Les astrolabes d’Abû Bakr sont les témoins d’une époque, 8ème-15èmesiècle, où les savants Arabes étaient la référence dans le monde des sciences exactes : leurs ouvrages étaient traduits en latin, leurs instruments de mesure astronomiques imités, étudiés et utilisés dans les universités européennes. Les lieux de transmission de ce savoir étaient les monastères de Catalogne (Ripoll, Vic…), au nord de l’Espagne, où les savants européens venaient apprendre ces sciences. C’est le cas du moine Gerbert d’Aurillac qui allait introduire les chiffres arabes en Occident. A son retour en France, il devint Pape sous le nom de Sylvestre II, en l’an 999.
    Le monde arabo-musulman et l’Occident n’étaient donc pas hermétiquement fermés l’un à l’autre. Les transferts de connaissances, dans les deux sens, se faisaient par l’Espagne et par la Sicile.
    Quatre astrolabes, certaines sources parlent de cinq, fabriqués par Abû Bakr ibn Yûsuf sont parvenus jusqu’à nous :

    • Celui du musée astronomique de l’Observatoire de Strasbourg en France
    • Celui du musée Paul-Dupuy de Toulouse en France
    • Celui de la collection du baron d’Empire D. J. Larrey (France).
    • Celui du musée archéologique de Rabat

    Pour tous ces astrolabes, les inscriptions sont gravées en arabe coufique. Comme dans les travaux de la Grande mosquée de Cordoue, les lettres se terminent par des demi-palmettes. On peut s’étonner que pour un instrument censé effectuer des calculs et des mesures, il n’y ait aucun nombre inscrit en face des graduations ou des cercles pour donner leur dimension. En fait, ces indications sont données dans la numérotation Abjad. Ce système décimal était utilisé dans le monde arabe depuis le 8ème siècle. On assigne à chacune des 28 lettres arabes une valeur numérique selon son rang alphabétique. Par exemple, pour indiquer la date de fabrication 614 de l’Hégire d’un astrolabe, Abû Bakr va graver au dos de l’astrolabe داخ, car selon la numérotation Abjad, 600 = خ, 1 = ا et 4 = د
    Les astrolabes d’Abû Bakr ont tous des araignées semblables avec le même nombre d’étoiles, 28, matérialisées. Chacun de ces astrolabes a eu un parcours plus ou moins « glorieux ».

    Astrolabe d’Abû Bakr du musée astronomique de Strasbourg

    Sa première présence à l’Université de Strasbourg daterait de 1636. Toutefois, c’est en 1820 que Pierre Fréderic Sarrus, un professeur de mathématiques de cette université allait le sortir de l’anonymat. Sarrus va consacrer 20 ans (!) de sa vie à cet astrolabe, trouvé à l’université pour en publier une description détaillée en 1852. Il figure en 1879 dans le premier inventaire allemand. Quelques modifications avaient été apportées à cet astrolabe (avant Sarrus), certainement pour s’en servir sous des latitudes pour lesquelles il n’était pas destiné. Deux tympans astrologiques avaient été ajoutés, avec des inscriptions en latin pour les latitudes 44° (Toulouse ?) et 48°, Strasbourg. Abû Bakr avait fabriqué cet astrolabe pour servir sous les latitudes de Marrakech, Fès, Sijilmassa, Al Qods (Jérusalem), Tolède et Saragosse. Naturellement, toutes ces informations se trouvent dans les archives de l’Université de Strasbourg.
    Le musée astronomique de Strasbourg considère cet astrolabe comme l’œuvre majeure exposée dans ses murs et classée dans son propre patrimoine scientifique. Si son lieu d’exposition habituel est Strasbourg, il voyage à travers les plus grands musées du monde, dans le cadre de prêts d’œuvres d’art et de science entre musées. Cet astrolabe sera visible, par exemple, de septembre 2014 à mars 2015 aux musées Reiss-Egelhorn à Mannheim en Allemagne.
    Strasbourg est une ville qui se trouve à la frontière entre la France et l’Allemagne. Elle est actuellement le siège du Parlement européen. C’est une chance pour Abû Bakr, et donc pour le Maroc, de recevoir des visites des deux pays. Cependant, c’est une ville qui, dans son passé récent, a appartenu à l’un ou à l’autre de ces deux pays, au gré des guerres des deux siècles passés. Le musée astronomique lui-même a changé plusieurs fois de nationalité !! Mais tapi dans l’ombre à l’intérieur du musée, Abû Bakr veille toujours, le drapeau marocain vigoureusement brandi ; l’écriteau placé à côté de son astrolabe, quelle que soit la nationalité de ce musée, porte toujours l’indication : Astrolabe marocain. Fait par Abû Bakr ibn Yûsuf à Marrakech. 1208-1209 (605 de l’Hégire). Si l’on s’approche de l’astrolabe, on lit gravé en demi-cercle, en arabe coufique :
    Fait par Abû Bakr ibn Yûsuf dans la ville de Marrakech, qu’Allah la rende prospère- année 605 Astrolabe d’Abû Bakr du musée Paul-Dupuy de Toulouse.

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    • #3
      suite

      C’est cet astrolabe qui m’a fait l’effet d’un électrochoc, la première fois. Selon les documents, on ne sait pas tout à fait comment il serait parvenu en France. La présence d’un tympan gravé pour la latitude de Saragosse laisse supposer que cet instrument astronomique aurait servi dans cette ville. La ville de Saragosse (سرقسطة) était la plus septentrionale de l’Espagne musulmane, juste au pied des Pyrénées et de ce fait, l’astrolabe serait parvenu à partir de cette ville à Toulouse, au sud de la France. Il a fait partie ensuite de la collection des descendants de Paul Riquet (1609-1680), constructeur du Canal du Midi. Ce canal a été creusé, au sud de la France, pour fournir une voie navigable entre la Méditerranée et l’Atlantique. Mais alors, on peut se demander si l’astrolabe d’Abû Bakr ibn Yûsuf n’aurait pas servi pour faire des relevés topographiques sur le terrain et des calculs des dénivellations dans le cadre du grand chantier pharaonique du 17ème siècle au Royaume de France ! Il a été exposé au musée Saint Raymond à Toulouse en 1893 et transféré ensuite au musée Paul-Dupuy de la même ville.
      Il y a une quinzaine d’années, ce musée a eu l’heureuse idée de s’associer à l’édition d’un ouvrage sur l’astrolabe, écrit par Raymond D’Hollander (1918-2013). Ce dernier, polytechnicien et géographe, était directeur de l’Ecole des sciences géographiques à Paris. Cet ouvrage est actuellement le nec plus ultra et la référence unanimement reconnue en matière de livre scientifique sur l’astrolabe. Mais voilà, et c’est la chance d’Abû Bakr : après la présentation de la théorie sur le fonctionnement de l’astrolabe, l’auteur a choisi de présenter comme modèle de l’astrolabe celui… d’Abû Bakr ibn Yûsuf de Toulouse. Dans sa position, cet auteur avait la possibilité de choisir parmi une centaine d’astrolabes dans le monde ; il a opté pour celui d’Abû Bakr car, écrit-il, ‘’il est particulièrement complet et précis’’. Celui qui émet ce jugement est un ancien directeur d’une Grande Ecole de sciences géographiques à Paris en France, Ecole où ont été formées des générations d’ingénieurs, de géographes, de géomètres, d’architectes et au sein de laquelle D’Hollander enseignait sur la base de livres scientifiques qu’il a publiés lui-même. Donc, Abû Bakr est entre de bonnes mains.
      L’astrolabe d’Abû Bakr du musée Paul-Dupuy de Toulouse est conçu pour fonctionner sous les latitudes des douze villes suivantes : Marrakech, Fès, Sebta (Ceuta), Almeria, Tolède, Cordoue, Séville, Saragosse, Al Qods (Jérusalem), Misr (vieux Caire), La Mecque, et Médine. Cet astrolabe est démonté et étudié pièce par pièce ; les inscriptions en arabe coufique traduites en français. Les cercles gravés sur le tympan représentant le tropique du Cancer, le tropique du Capricorne, l’équateur, les almicantarats, les cercles d’égal azimut ainsi que l’écliptique de l’araignée sont rigoureusement recalculés. Le nom d’Abû Bakr est cité plus de 50 fois. On perçoit entre les lignes et tout le long de l’ouvrage, le grand respect du géographe français envers l’astronome marocain, avec près de 800 ans de décalage !

      Astrolabe d’Abû Bakr de l’ex-collection du baron D.J. Larrey

      Dominique-Jean Larrey (1766-1842) est le médecin militaire de Napoléon Bonaparte. Sa statue trône dans le hall d’entrée de l’Académie nationale de médecine de Paris. Il est le père de la médecine d’urgence et le précurseur en matière de secours immédiat aux blessés sur les champs de bataille grâce à des ambulances chirurgicales mobiles. De ce fait, il a accompagné les troupes napoléoniennes dans divers pays occupés par ces troupes. Il se trouve que l’armée de Napoléon a été présente un peu partout en Europe et en Egypte. Elle a occupé l’Espagne durant une courte période avec une présence mouvementée à Madrid, Grenade et Saragosse, entre autres. L’astrolabe d’Abû Bakr étant destiné à plusieurs villes d’Espagne, ce sont probablement ces évènements qui pourraient expliquer la présence de l’astrolabe d’Abû Bakr ibn Yûsuf dans l’ex-collection du baron d’Empire D.J. Larrey.
      Actuellement, la maison natale de D.J. Larrey à Baudéan dans les Pyrénées est un musée, mais l’astrolabe d’Abû Bakr fait partie d’une collection privée.

      Astrolabe d’Abû Bakr du musée archéologique de Rabat

      Dans les très rares documents ou sites qui parlent d’un astrolabe dans un musée à Rabat, on le situerait plutôt au musée des Oudayas. En fait, cet astrolabe a été transféré, sans annonce aucune, du musée des Oudayas au musée archéologique de Rabat.
      C’est, malheureusement, cet astrolabe qui a la situation la moins ‘’glorieuse’’. Il ne peut y avoir que deux hypothèses possibles et dans les deux cas, c’est une catastrophe. C’est soit que les responsables de la Culture au Maroc savent que cet astrolabe a été fabriqué par un grand astronome marocain, Abû Bakr ibn Yûsuf, en 1213-1214 (610 de l’Hégire) à Marrakech, soit qu’ils ne savent rien de tout cela.
      Ils le savent. Mais alors, pourquoi l’exposer de manière anonyme et ne pas mettre au moins un écriteau avec les données principales exactes : Nom d’Abû Bakr ibn Yûsuf, la date de fabrication, le lieu de fabrication. Toutes ces données, Abû Bakr les a gravées sur les tympans de l’astrolabe présenté dans la vitrine ! Ils auraient pu lancer la préparation d’une petite brochure, comme les musées français qui respectent notre savant marocain, brochure explicative qui pourra aider et éclairer ceux des visiteurs qui veulent en savoir plus sur cet astrolabe ou encore les chercheurs. Ils auraient aussi évité de faire une réparation très grossière où l’on a introduit un écrou à ailettes bien visible, de fabrication récente, au lieu d’un essieu avec une clavette ou un cheval traditionnel. Du pur bricolage ! Nous avons encore au Maroc des artisans-graveurs traditionnels sur métaux, héritiers d’un grand savoir-faire dans certains ateliers à Marrakech et à Fès qui auraient fait cette réparation de la meilleure façon possible. Abû Bakr ibn Yûsuf a droit à des égards chez lui au Maroc, comme c’est le cas dans les musées à l’étranger.
      Je peux témoigner de la grande envie des quelques jeunes (et courageux) visiteurs marocains et étrangers de ce musée pour en savoir plus et de leur frustration devant une vitrine sans informations utiles et même avec des informations erronées. Je me suis transformé à chaque visite en conférencier bénévole au service d’Abû Bakr !
      Ils ne le savent pas. Alors, il est consternant de constater que, depuis 800 ans, aucun responsable du patrimoine scientifique marocain, ne s’est avisé de traiter dignement notre savant, de le connaitre et de le faire connaitre aux Marocains. Huit cents ans c’est long, et surtout depuis deux siècles, son nom circule dans les musées européens. De plus, actuellement de nombreux ouvrages sur l’astronomie arabe ont en couverture une photo, pleine page, de l’un de ses astrolabes. A l’ère d’internet, des Smartphones et des congrès internationaux sur ces questions, on aurait dû sortir Abû Bakr de son isolement et de l’anonymat beaucoup plus tôt, et donner ainsi de la fierté aux Marocains.
      En fait, le constat est sans appel : Ils ne savent rien de tout cela. Cet astrolabe d’une valeur inestimable tant du point de vue historique que scientifique est invariablement présenté, de façon anonyme dans ce musée comme un banal objet de l’artisanat, malgré toutes les tentatives pour attirer l’attention sur cette situation et pour mettre en valeur une pièce majeure de notre patrimoine scientifique.

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      • #4
        fin

        Le musée du Louvre de Paris au secours d’Abû Bakr ibn Yûsuf !

        Le musée du Louvre est, sans conteste, l’un des plus grands musées du monde. C’est la plus grande vitrine des grandes civilisations, où s’expose le meilleur de ce que chacune d’entre elles a pu produire. Il reçoit environ 10 millions de visiteurs par an, ce qui est à peu près le nombre de visiteurs que le Maroc, toutes destinations confondues, reçoit chaque année. Dans le cadre de l’évènement « Le Maroc médiéval », du 17 octobre 2014 au 19 janvier 2015, le musée du Louvre exposera, entre autres, l’astrolabe d’Abû Bakr ibn Yûsuf prêté par le musée Paul-Dupuy de Toulouse ! Ce même astrolabe sera ensuite visible au nouveau musée de Rabat à partir du 2 mars 2015.
        A ma connaissance, c’est la première fois qu’un Marocain aura une œuvre scientifique exposée au musée du Louvre. C’est la consécration mondiale d’Abû Bakr ibn Yûsuf et c’est H I S T O R I Q U E, pour le Maroc. L’astrolabe d’Abû Bakr va côtoyer ‘’La Joconde ‘’ de Léonard de Vinci, la Vénus de Milo et le Scribe égyptien qui s’apprête à écrire ce que lui dicte le Pharaon, toutes des œuvres éternelles. Grâce à Abû Bakr ibn Yûsuf, l’astronomie et les sciences marocaines seront les vedettes de l’automne au Louvre à Paris. Une certitude : les nombreux visiteurs qui défileront devant cet astrolabe marocain auront une certaine idée du Maroc et de la civilisation marocaine. Ceux parmi eux qui visiteront par la suite notre pays sauront que le Maroc n’est pas réduit seulement à ce qu’en disent les guides touristiques.
        Il faut espérer que les Marocains à Paris, Toulouse, Strasbourg, Mannheim et au Maroc iront en nombre admirer les chefs-d’œuvre d’un savant astronome marocain, ce qui entre autres, leur donnera du baume au cœur et leur procurera une saine et grande fierté.
        Nous découvrons, maintenant, que nous avons un grand savant astronome marocain dont on expose les œuvres dans des musées prestigieux en Europe ; notre statut va changer et il serait inacceptable de continuer à vivre dans l’ignorance des savants marocains et de l’astronomie arabe, notre situation deviendrait intenable et inconfortable. Nos élèves, nos lycéens, nos étudiants, nos congressistes et même nos ministres s’ils devaient rencontrer leurs homologues élèves, lycéens, étudiants, congressistes ou ministres européens seraient désarçonnés et surpris d’apprendre que ces derniers en savent beaucoup plus qu’eux-mêmes sur les savants arabes, sur l’astronomie arabe, sur les anciens instruments astronomiques et donc sur notre propre Histoire. Pour la simple raison qu’ils ont déjà appris ces matières dans certaines écoles primaires, au lycée (quelques heures par an), visité des musées qui exposent des objets de cette époque, consulté des livres dans quelque bibliothèque spécialisée ou suivi des émissions scientifiques de télévision qui traitent ces questions. Une mise à niveau s’impose donc, si nous voulons être à la hauteur du talent de notre illustre savant, Abû Bakr ibn Yûsuf, et si nous voulons faire bonne figure quand il nous représentera au musée du Louvre !
        Peut-être allons-nous introduire dans notre enseignement secondaire quelques heures par an dédiées à l’astronomie arabe, comme cela se fait ailleurs ? Peut-être que l’on introduira cette discipline en fin du primaire, comme certain pays européen, sous une forme simple et pratique intitulée ’’Découvertes en pays d’Islam’’ ? Peut-être même allons-nous développer cette discipline dans l’enseignement supérieur et encourager ainsi la recherche dans ce domaine pour avoir nos propres thèses sur notre propre histoire scientifique ? Peut-être aussi allons-nous donner le nom d’Abû Bakr ibn Yûsuf à quelque faculté des sciences, à quelque Observatoire ? Peut-être que son exemple suscitera des vocations et aidera à l’émergence de nouveaux talents scientifiques marocains ? Peut-être aussi allons-nous mettre en valeur son astrolabe au musée archéologique de Rabat, comme c’est le cas dans les autres musées européens, avec les explications et les brochures qui éclairent les visiteurs, les étudiants et les chercheurs ? Peut-être enfin que quelque artiste marocain va nous faire un monument en son honneur, tenant son astrolabe, triste et amer d’avoir été ignoré chez lui pendant huit siècles ?
        Abû Bakr ibn Yûsuf, savant astronome marocain, nous a légué des astrolabes qui donnent non seulement les heures du jour mais aussi les siècles de l’Histoire.
        Quel que soit l’accueil que l’on voudra bien lui faire chez lui au Maroc, il continuera à accompagner ses astrolabes à travers les musées du monde et s’assurera chaque fois que l’on a bien précisé sur l’écriteau placé à côté de ses astrolabes : ‘’Astrolabe marocain. Fait à Marrakech qu’Allah la rende prospère, par Abû Bakr ibn Yûsuf astronome Marocain’’.

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