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    Faouzia Charfi est physicienne et professeur à l'Université de Tunis, elle a également été de janvier à mars 2011 secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur dans le gouvernement provisoire issu de la révolution. «La science voilée» est son dernier livre, paru chez Odile Jacob (2013).

    Feu Mohamed Charfi parlait d'un «malentendu historique» entre islam et liberté', peut-on évoquer un malentendu historique entre islam et science ?

    Faouzia Charfi : Je voudrais rappeler que je dédie mon livre à la mémoire de mon mari, Mohamed Charfi. Il était passionné de science, d'astronomie plus précisément et d'histoire des sciences. Il pensait aussi que le présent nous amène à nous interroger sur le déclin de la civilisation musulmane qui a rayonné pendant plusieurs siècles, à revisiter notre histoire et entreprendre une lecture du passé. Ceux qui aujourd'hui se nourrissent de la nostalgie de l'âge d'or des sciences arabes ne connaissent même pas l'importance du travail effectué.

    Certes, ils se réfèrent avec raison à la fameuse Beit Al Hikma ainsi qu'à l'apport dans le domaine des mathématiques, en particulier l'algèbre. Mais ils ignorent la portée des recherches effectuées, la multiplicité des foyers culturels parmi lesquels, Bagdad, Damas, le Caire, Grenade, Cordoue, Samarkand, Boukhara, Chiraz, Ispahan, et la longue période, -au moins six siècles-, au cours de laquelle l'activité scientifique et philosophique s'est distinguée en terre d'islam. Ils ignorent surtout le fait que la science arabe a initié des nouveaux champs d'étude et mis en œuvre une rationalité scientifique. Elle n'a pas été qu'un simple transmetteur de la science et de la philosophie grecque au monde occidental. Mais elle a quitté la scène depuis plusieurs siècles… Le monde musulman n'est pas resté fidèle à ceux qui ont traduit, commenté tant de textes, exploré de nouveaux espaces intellectuels et réalisé des avancées qu'ils devaient non pas à une quelconque violence, mais à leur seule intelligence et à leur raison. La question n'est pas de revenir sur notre passé, le monde a changé et nous devons réhabiliter le savoir. La science a continué à s'épanouir ailleurs, dans les contrées du Nord, et comme le constate Ibn Khaldoun, (Muqaddima) : «Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et sur l'Andalus et que le déclin de la civilisation entraîna celui des sciences, les sciences rationnelles disparurent, à l'exception de quelques vestiges qu'on peut rencontrer encore chez un petit nombre de personnes isolées, soumises à la surveillance des autorités de la Sunna…»

    Depuis la renaissance, l'esprit des Lumières a pu s'imposer petit à petit face à l'obscurantisme de l'Eglise catholique. Pourquoi peine-t-il à s'imposer en terre islamique ? Y a-t-il une spécificité islamique ?

    La construction de la science moderne s'est réalisée peu à peu. Elle a eu à se libérer du dogme, cette libération s'est faite dans la douleur, en Europe occidentale, à partir du 16ème siècle. Des esprits libres se sont exprimés, comme Giordano Bruno, qui a osé parler de l'infini des mondes, et qui incitait à regarder la nature «les yeux ouverts». Il a été brulé vif en 1600 à Rome. Galilée a été condamné par un tribunal religieux en 1633. Ce père de la science moderne avait osé pointer sa lunette astronomique vers le ciel, ce qui l'a conduit à présenter une autre vision du ciel que celle admise par l'Eglise chrétienne. Des montagnes sur la Lune, des satellites autour de la planète Jupiter, une surface solaire comportant des taches… donc un monde comportant des imperfections, des astres qui voguaient autour d'autres astres, un monde en opposition avec le monde de la perfection du modèle aristotélicien soutenu par l'Eglise. Galilée avait ouvert la voie à la démarche scientifique, en réalisant des expériences pour «voir» et comprendre le monde et en utilisant la langue mathématique pour écrire le livre de l'univers. D'autres savants poursuivirent cette voie, comme Kepler, Newton,…et peu à peu, la science prit ses distances par rapport à la religion. Un siècle plus tard, celui de la révolution française, avec Laplace, l'hypothèse de Dieu n'est plus nécessaire pour la stabilité des systèmes cosmiques, les lois qui conservent l'ordre sont aussi capables de le créer.

    Il est important de garder présente cette difficile relation entre la science et la religion. Elle ne concerne pas une religion précise, le procès de Galilée le montre bien. C'est une question liée à l'autonomie de la pensée. Les théories scientifiques sont à l'opposé des dogmes religieux, ce sont toujours des «vérités» successives, elles évoluent au risque d'une révolution, comme celle de Copernic au 16ème siècle, ou la révolution quantique au début du 20ème siècle. Compte tenu de ces grandes révolutions qui se sont faites en dehors du monde musulman, nous devons prendre conscience aujourd'hui que le développement scientifique ne se réalisera pas sans liberté de pensée. Pour rattraper le train de la science, il faut des esprits libres de tout tabou et de toute contrainte.

    Que pensez-vous de la théorie de «l'ijaz», le contenu scientifique miraculeux (dit-on) du Coran ? «miraculosité scientifique» du Coran vulgarisée aujourd'hui par Harun Yahya ou Cheikh Zendani et beaucoup d'autres ?

    Aujourd'hui, de nombreux sites web offrent aux lecteurs incrédules de longs développements sur l' i'jaz ilmiy, les miracles «scientifiques» du Coran. Toute la science existe dans le texte coranique, le big bang, les trous noirs,… Les moyens de communication les plus modernes sont utilisés pour dérouler «les miracles scientifiques» du Coran. Un moyen de se parer de modernisme. Mais les textes sacrés n'ont nul besoin d'obtenir une légitimité par la science et cette dernière n'a nul besoin de faussaires. Il faudrait se référer aux grands scientifiques tels que Abdus Salam, prix Nobel de physique en 1979, pour qui la foi en l'islam n'est pas un frein à des recherches créatives et le travail scientifique n'a pas d'interférence avec une quelconque concordance entre le texte coranique et les découvertes.

    Le concordisme, n'est-il pas responsable de la faiblesse de la science dans le monde arabo-islamique ?

    En fait, le concordisme n'est pas responsable de la faiblesse de la science dans le monde arabe, il en est plutôt la conséquence. Et il faut dénoncer ce double détournement du texte sacré et de la science car ces «faussaires de la science» qui ne donnent qu'une image distordue de la science, arrivent à se faire entendre et à convaincre un public fragilisé par son attente légitime d'un monde meilleur, qui n'a pas la culture nécessaire pour prendre conscience de la tromperie.

    Que faire pour rendre à la science ses lettres de noblesse ?

    Un seul mot, retrouver la raison critique…


    le quotidien d'oran
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