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La reconquête de la montagne, une vraie victoire contre le terrorisme

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  • La reconquête de la montagne, une vraie victoire contre le terrorisme

    Depuis presque dix ans, par des randonnées, des cours d’escalade, l’aménagement de gîtes ruraux, les habitants de la région de Tikjda retissent les liens cassés dans les années 90 entre eux et la nature. L’assassinat d’Hervé Gourdel porte un coup à leurs efforts comme à celui de toutes les associations qui, bien qu’isolées, mènent un travail de réconciliation.

    «A chaque fois qu’il se passe un drame, tout remonte comme si c’était hier. Et ça me met en colère. Passer à autre chose est impossible parce qu’on n’a pas construit de récit autour de ce qu’on a vécu.» A l’annonce de l’assassinat d’Hervé Gourdel, Habiba Djahnine a été l’une des premières, sur les réseaux sociaux, à faire le lien entre l’horreur de l’actualité et celle des années 1990. «Mais au-delà du traumatisme, je pense à tout les efforts de ceux qui, au jour le jour, tentent de reconquérir l’espace, recréer du lien. J’ai peur que tout cela incite à nouveau les gens à partir ou à se terrer, que cela crée de nouveaux enfermements.» Les sentiers de la montagne du Djurdjura, la documentariste les connaît bien pour avoir filmé pendant plus d’un an le travail de l’association Mimouna.

    «On se sent consterné, c’est un sale coup, reconnaît son président, Hocine Fenri, 44 ans. Mais on ne va pas laisser partir en fumée tout ce qu’on a construit.» En 2006, avec une poignée d’habitants de la région de Bouira, ils décident de reconquérir ces montagnes qu’ils ont toujours arpentées et dans lesquelles vivaient leurs aïeux. «Depuis mon enfance, j’y faisais du ski, de l’escalade, de la rando. Et puis il y a eu la décennie noire, je n’y ai plus remis les pieds pendant dix ans.» Avec l’aide d’une association française, les bénévoles équipent un site emblématique de la région, Mimouna, qui a donné son nom à l’association.

    Mentalistes

    «Ce site d’escalade légendaire existe depuis la colonisation. Il se trouve près de l’ancienne route de Tikjda, à 1000 m d’altitude. On y a ouvert une école d’escalade et formé quinze jeunes qui, à leur tour, ont formé d’autres jeunes.» Sensibiliser les écoliers à la pratique des sports de montagne, participer à des championnats de ski, développer des gîtes ruraux, organiser des randonnées au lac Agoulmine (l’unique lac d’altitude d’Algérie, à 1700 m) En presque dix ans, pas à pas, les touristes algériens et étrangers ont repris les chemins du Djurdjura.

    Cette réconciliation avec la montagne, Yahia Ouali, 65 ans, ancien enseignant et herboriste de l’association, l’a vécue à travers la redécouverte de la flore. «Mon village a été rasé par les Français. J’avais 7 ans, quand mon père et mon frère ont été tués devant moi. Je suis parti et ne suis revenu qu’en 2006, à la retraite. A l’époque, les gens ne montaient que pour inspecter leur bétail et redescendaient aussitôt. Aujourd’hui, ils ont réinvesti les villages.» En presque dix ans, les mentalités ont évolué, reconnaît aussi Nacéra Dutour. Lundi, au 2e étage de la rue Mustapha Ben Boulaïd à Alger, l’infatigable porte-parole du Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA)organise une rencontre pour faire un bilan tristement d’actualité sur neuf années de politique de réconciliation nationale. Le matin, les familles ont manifesté devant la Grande-Poste.

    Emotionnelles

    «Tout s’est bien passé, confie-t-elle, rassurée. Mais j’avais un peu peur que des gens arrivent pour nous lancer des insultes comme celles que l’on entendait quand nous avons commencé notre combat.» Nacéra n’a pas oublié ces années où elle se faisait traitée, elle et les autres, de «mère d’égorgeur». «Au fil du temps, on a commencé à gagner la confiance des gens, leur regard sur nous a changé. Mais un drame comme celui de l’assassinat de l’otage français ou, avant, le 11 septembre, cela nous fait reculer.» Madjid Benchikh, professeur de droit émérite à la faculté de Cergy-Pontoise, ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, nuance : «Ces réactions émotionnelles sont légitimes mais je ne crois pas qu’une activité terroriste telle que cet assassinat permette de dire que toutes les luttes menées n’ont servi à rien. Il faut interpeller les autorités pour évaluer leur politique en matière de lutte contre le terrorisme.»

    Selon lui, «l’échec des politiques centrales touche le système politique dans sa globalité, donc les libertés démocratiques, la crédibilité des institutions –de manière encore plus crue depuis le 4e mandat–, les politiques relatives aux victimes du terrorisme et de la répression, y compris les disparitions forcées. Le combat pour la vérité et la justice est le même que celui pour les libertés démocratiques en général. Pour mener des politiques de réconciliation, on a besoin de l’accord des populations, mais le pouvoir, de par sa nature, en est incapable.»
    Moins optimiste, Mouloud Boumghar, professeur en droit public, spécialiste de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, rejoint Habiba Djahnine. «Je crains que tous ceux qui, par petites touches, refont une société, sans que le régime ne les écoute ni ne les aide, déjà plombés par les pesanteurs du terrain, ne soient encore plus accablés si on commence à lier l’Algérie à l’Irak ou à l’Afghanistan.»

    Bourreau

    D’autant que pour Habiba Djahnine, le pouvoir «entretient aussi la haine entre les gens». «Je ne suis pas opposée à la réconciliation, mais elle a réglé les choses d’en haut, par décret. Les criminels ont été amnistiés sans être jugés. Or, pour qu’il y ait processus de repentance, la victime doit être reconnue et le bourreau jugé. En Algérie, ceux qui ont été pardonnés sont dans la société. Mais eux-mêmes n’ont jamais demandé pardon.» Pire, dans un même village, une victime du terrorisme peut voir un ancien bourreau s’enrichir et construire une villa.

    Pendant que les associations qui essaient de construire du récit sont marginalisées, voire réprimées. «Quand on voit des Madani Mezrag (aujourd’hui reconnu comme une personnalité politique au point d’être consultée pour la révision de la Constitution, ndlr) ou d’autres, revenus riches à milliards des maquis, devenir des modèles de réussite pour les jeunes, des Abdelhak Layada, devenir des médiateurs incontournables de leurs quartiers, il ne faut pas s’étonner d’entendre les jeunes dire : ‘‘Si j’avais su, j’aurais pris le maquis, au moins, j’aurais eu un appartement’’», se désole Nacéra Dutour. Pour Mouloud Boumghar, c’est aussi «le résultat d’une politique délibérée. Les gens ont l’impression que les autorités ne réagissent qu’à l’odeur du pneu brûlé. Qu’il faut être violent pour être écouté.»

    Sideration

    Alors dans ce contexte, à la sortie de la sidération, dont parle l’historienne Malika Rahal (voir encadré), chargée de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent, Mouloud oppose le discours dominant, fataliste. «Il y a des graines, oui. Des jeunes qui sont à la fois inscrits dans le passé et tournés vers l’avenir avec des projets, mais ils sont minoritaires. La majorité des gens vivent encore dans la peur, dans la fragilité. Et cette sidération est également entretenue par le pouvoir. On n’arrive pas à s’imaginer capables de prendre notre destin en main.»

    Le fait que la société civile et la classe politique ne veuillent pas sortir dans la rue de peur que cela tourne à la violence est pour lui la preuve que les Algériens n’ont pas encore rompu avec l’isolement. A Tikjda, Hocine, le président de l’association Mimouna, ne compte pas céder à la tentation du retour en arrière. «Je sens que je me suis réapproprié la montagne. Et personne ne me la reprendra.» Pour dire non au terrorisme, le 10 octobre, les amoureux de la région et des sports de montagne se donnent rendez-vous pour escalader les plus hauts sommets du Djurdjura.

    Mélanie Matarese- El Watan
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