En 2009, la question se posera , quelle sera la politique étrangère après Bush? Michael Lind qui est un ancien néo-cons qui a rompus avec les Républicains en dénonçant la montée en puissance de la droite chrétienne apporte son analyse.
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Le 20 janvier 2009 – à moins qu’un décès, une démission ou une procédure d’impeachment ne modifie le calendrier –, George W. Bush cédera son fauteuil à son successeur, le quarante-quatrième président des Etats-Unis. Lequel héritera, qu’il soit républicain ou démocrate, d’un certain nombre de problèmes extrêmement délicats à résoudre. Les Etats-Unis seront en effet dans un état de grande faiblesse, dû pour l’essentiel aux blessures qu’ils se sont infligées eux-mêmes. A savoir l’invasion inutile de l’Irak, les insultes gratuites dont le gouvernement Bush a abreuvé ses alliés, l’unilatéralisme arrogant de sa diplomatie et son mépris affiché pour les lois internationales. Mais il faut souligner qu’au cours des dix prochaines années le pouvoir et l’influence du pays seront surtout entravés par des phénomènes de longue durée sur lesquels aucun gouvernement ne peut espérer peser. L’essor de la Chine, le déplacement du centre de l’économie mondiale vers l’Asie, la montée de la politique pétrolière néomercantiliste et la propagation de l’islam – sous sa forme extrémiste ou modérée – modifient l’ordre mondial d’une manière que ni les Etats-Unis ni aucun de leurs alliés ne peuvent contrôler.
Lorsque le prochain président sera investi, les Etats-Unis seront presque certainement encore présents en Irak. A l’instar de Nixon entre 1969 et 1973, il lui faudra probablement limiter les pertes américaines dans cette guerre ratée, tout en préservant au maximum la crédibilité militaire des Etats-Unis. Gageons que la droite américaine ne manquera pas d’accuser le nouveau président, même s’il est républicain, d’être plus faible que Bush, dont l’œuvre sera rétrospectivement idéalisée par les néoconservateurs dans les médias. La nécessité de parer à toute attaque politique et de montrer au reste du monde la puissance des Etats-Unis poussera très probablement le prochain président à ne quitter l’Irak qu’après une démonstration de force contre ses ennemis, que ce soit dans ce pays ou ailleurs. Le retrait final des troupes américaines d’Irak risque de ne pas être aussi complet que celui du Sud-Vietnam en 1975. A la différence de ce qu’ils ont fait en Corée du Sud, les Etats-Unis n’occuperont probablement pas de bases pendant des décennies. Mais ils vont certainement continuer à soutenir militairement, sous une forme ou sous une autre, le gouvernement irakien s’il se retrouve en difficulté ou leurs favoris dans le cas d’une guerre civile.
La situation au Moyen-Orient ne sera pas très différente de celle qui prévaut aujourd’hui. Si Bush décidait d’attaquer l’Iran pour neutraliser sa capacité nucléaire, nous entrerions dans une ère imprévisible. Mais il est peu probable qu’il choisisse de mener une guerre sur trois fronts, dans une zone allant de la Méditerranée au Pakistan et contre trois adversaires qui ont peu en commun : les nationalistes sunnites en Irak, les talibans en Afghanistan et les chiites en Iran. Une guerre par procuration dans des Etats affaiblis comme l’Irak et le Liban est plus probable qu’un conflit direct entre l’Iran et les Etats-Unis.
Si les Etats-Unis n’attaquent pas l’Iran et si la théocratie iranienne n’est pas remplacée par un autre type de régime, le prochain président sera forcé de traiter avec un Iran nucléaire. Même si on dit que les dirigeants iraniens sont “fous”, le fait qu’on ait pu dissuader des Etats nucléaires aussi instables que la Chine de Mao et le Pakistan de Musharraf d’utiliser l’arme atomique laisse penser qu’on peut en faire autant avec l’Iran. Mais, si l’Iran brisait le monopole israélien sur l’arme atomique au Moyen-Orient, cela aggraverait le risque d’une prolifération nucléaire. Le fils et successeur probable de Hosni Moubarak, Gamal Moubarak, a laissé entendre que l’Egypte aurait peut-être besoin de son propre programme d’énergie nucléaire, et l’Arabie Saoudite ainsi que la Turquie, voire l’Irak, pourraient suivre le mouvement. De même, la méfiance suscitée par le nouveau statut nucléaire de la Corée du Nord pourrait inciter le Japon, voire la Corée du Sud, à se doter de moyens de dissuasion. Et, si de nouveaux Etats nucléaires apparaissent au sud et à l’est de l’Europe, l’Allemagne pourrait être également tentée de développer sa propre force de frappe* atomique.
Dans tous les cas, l’océan Atlantique risque fort de s’élargir après le départ de Bush. Ceux qui espèrent le rétablissement de liens transatlantiques cordiaux seront certainement déçus. En matière de politique étrangère, le vieil establishment atlantiste du nord-est des Etats-Unis est mort et enterré. Il a été pour une grande part supplanté par des officiers de carrière, en majorité des nationalistes conservateurs modérés originaires du Sud, et une pléthore de civils représentant des groupes de pression idéologiques, ethniques et économiques. Le centre de gravité de la politique américaine va continuer à se déplacer vers le Sud et l’Ouest. Si les démocrates se retrouvent au pouvoir, ce sera en s’appuyant sur les immigrés hispaniques du sud des Etats-Unis, peu susceptibles de soutenir un nouvel atlantisme.
Certains espèrent que l’une des conséquences de la débâcle irakienne sera un nouvel engagement américain en faveur d’un règlement durable de la question palestinienne. L’inverse est plus probable. Si les Etats-Unis s’extirpent d’Irak et d’Afghanistan et restent en dehors des autres pays arabes, l’intérêt – déjà faible – pour les responsables politiques américains de tenter d’équilibrer leur soutien à Israël par des gestes en direction de l’opinion publique arabe et musulmane sera encore moindre. La montée en puissance aux Etats-Unis de la droite arabophobe et islamophobe, que provoquerait immanquablement un retrait peu glorieux d’Irak, accroîtrait les tensions entre les Etats-Unis et l’Europe. Dans la deuxième décennie du XXIe siècle, les Européens risquent de se voir traiter d’“Euro-Arabes” favorables à l’apaisement [“Eurabian” appeasers], par les républicains conservateurs comme par certains démocrates libéraux.
En ce qui concerne la politique intérieure américaine, les bénéficiaires à long terme de la guerre en Irak pourraient être les républicains qui l’ont livrée et perdue, plutôt que les démocrates, qui s’y sont pour la plupart opposés. Ce qui est moins paradoxal qu’il n’y paraît. Les pays qui gagnent des guerres sont plus souples en matière de sécurité et plus ouverts aux partis de gauche – comme le montrent les deux mandats de Clinton après la fin de la guerre froide ou le rejet de Churchill par les Britanniques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les pays vaincus ont en revanche tendance à rechercher des hommes forts à droite, comme la France pendant la guerre d’Algérie et les Etats-Unis lors de celle du Vietnam. L’histoire des Etats-Unis montre que s’opposer à une guerre, même si elle est impopulaire ou se termine en fiasco, peut être fatal à un parti politique. La droite a déjà ressorti l’argument du “coup de poignard dans le dos” pour imputer l’échec en Irak aux journalistes de gauche et à la minorité démocrate au Congrès. C’est bien entendu absurde, mais la tentative tout aussi absurde de rendre les journalistes et le mouvement antiguerre responsables de la débâcle vietnamienne a été un succès politique dans les années 1970 et 1980.
Républicains et démocrates ne divergent que sur les détails
La glorification rétrospective de la guerre en Irak pourrait s’accompagner d’une politique militaire beaucoup plus prudente. La doctrine de Powell – selon laquelle les Etats-Unis ne doivent envoyer leurs troupes qu’en dernier ressort, seulement lorsqu’une action militaire s’impose (mais en faisant alors un usage écrasant de la force) – pourrait refaire surface. Un “syndrome irakien” apparaîtra sans doute, qui se traduira par le refus des Américains de s’engager dans d’autres opérations militaires de grande envergure.
Le prochain président, et peut-être aussi son successeur, prendra certainement exemple sur Ronald Reagan et alliera une grande fermeté dans le discours à une extrême prudence dans l’action. Reagan était qualifié de va-t-en-guerre parce qu’il qualifiait l’Union soviétique d’“empire du mal”. Mais, dans la pratique, il évitait les engagements militaires coûteux et préférait livrer ses guerres par procuration, en utilisant des troupes étrangères armées, financées et entraînées par les Etats-Unis, comme les contras qui ont combattu les alliés de l’Union soviétique au Nicaragua et les moudjahidin qui ont affronté les Russes en Afghanistan. Comme l’ont montré ces exemples, le recours à des auxiliaires qui ne partagent peut-être pas les valeurs américaines peut susciter des dilemmes moraux et politiques. Il en va d’ailleurs parfois de même des bombardements conçus pour épargner les vies des soldats américains. Face aux risques de lourdes pertes humaines américaines, les successeurs de Bush préféreront certainement envoyer des conseillers de la CIA ou des missiles plutôt que des marines.
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Le 20 janvier 2009 – à moins qu’un décès, une démission ou une procédure d’impeachment ne modifie le calendrier –, George W. Bush cédera son fauteuil à son successeur, le quarante-quatrième président des Etats-Unis. Lequel héritera, qu’il soit républicain ou démocrate, d’un certain nombre de problèmes extrêmement délicats à résoudre. Les Etats-Unis seront en effet dans un état de grande faiblesse, dû pour l’essentiel aux blessures qu’ils se sont infligées eux-mêmes. A savoir l’invasion inutile de l’Irak, les insultes gratuites dont le gouvernement Bush a abreuvé ses alliés, l’unilatéralisme arrogant de sa diplomatie et son mépris affiché pour les lois internationales. Mais il faut souligner qu’au cours des dix prochaines années le pouvoir et l’influence du pays seront surtout entravés par des phénomènes de longue durée sur lesquels aucun gouvernement ne peut espérer peser. L’essor de la Chine, le déplacement du centre de l’économie mondiale vers l’Asie, la montée de la politique pétrolière néomercantiliste et la propagation de l’islam – sous sa forme extrémiste ou modérée – modifient l’ordre mondial d’une manière que ni les Etats-Unis ni aucun de leurs alliés ne peuvent contrôler.
Lorsque le prochain président sera investi, les Etats-Unis seront presque certainement encore présents en Irak. A l’instar de Nixon entre 1969 et 1973, il lui faudra probablement limiter les pertes américaines dans cette guerre ratée, tout en préservant au maximum la crédibilité militaire des Etats-Unis. Gageons que la droite américaine ne manquera pas d’accuser le nouveau président, même s’il est républicain, d’être plus faible que Bush, dont l’œuvre sera rétrospectivement idéalisée par les néoconservateurs dans les médias. La nécessité de parer à toute attaque politique et de montrer au reste du monde la puissance des Etats-Unis poussera très probablement le prochain président à ne quitter l’Irak qu’après une démonstration de force contre ses ennemis, que ce soit dans ce pays ou ailleurs. Le retrait final des troupes américaines d’Irak risque de ne pas être aussi complet que celui du Sud-Vietnam en 1975. A la différence de ce qu’ils ont fait en Corée du Sud, les Etats-Unis n’occuperont probablement pas de bases pendant des décennies. Mais ils vont certainement continuer à soutenir militairement, sous une forme ou sous une autre, le gouvernement irakien s’il se retrouve en difficulté ou leurs favoris dans le cas d’une guerre civile.
La situation au Moyen-Orient ne sera pas très différente de celle qui prévaut aujourd’hui. Si Bush décidait d’attaquer l’Iran pour neutraliser sa capacité nucléaire, nous entrerions dans une ère imprévisible. Mais il est peu probable qu’il choisisse de mener une guerre sur trois fronts, dans une zone allant de la Méditerranée au Pakistan et contre trois adversaires qui ont peu en commun : les nationalistes sunnites en Irak, les talibans en Afghanistan et les chiites en Iran. Une guerre par procuration dans des Etats affaiblis comme l’Irak et le Liban est plus probable qu’un conflit direct entre l’Iran et les Etats-Unis.
Si les Etats-Unis n’attaquent pas l’Iran et si la théocratie iranienne n’est pas remplacée par un autre type de régime, le prochain président sera forcé de traiter avec un Iran nucléaire. Même si on dit que les dirigeants iraniens sont “fous”, le fait qu’on ait pu dissuader des Etats nucléaires aussi instables que la Chine de Mao et le Pakistan de Musharraf d’utiliser l’arme atomique laisse penser qu’on peut en faire autant avec l’Iran. Mais, si l’Iran brisait le monopole israélien sur l’arme atomique au Moyen-Orient, cela aggraverait le risque d’une prolifération nucléaire. Le fils et successeur probable de Hosni Moubarak, Gamal Moubarak, a laissé entendre que l’Egypte aurait peut-être besoin de son propre programme d’énergie nucléaire, et l’Arabie Saoudite ainsi que la Turquie, voire l’Irak, pourraient suivre le mouvement. De même, la méfiance suscitée par le nouveau statut nucléaire de la Corée du Nord pourrait inciter le Japon, voire la Corée du Sud, à se doter de moyens de dissuasion. Et, si de nouveaux Etats nucléaires apparaissent au sud et à l’est de l’Europe, l’Allemagne pourrait être également tentée de développer sa propre force de frappe* atomique.
Dans tous les cas, l’océan Atlantique risque fort de s’élargir après le départ de Bush. Ceux qui espèrent le rétablissement de liens transatlantiques cordiaux seront certainement déçus. En matière de politique étrangère, le vieil establishment atlantiste du nord-est des Etats-Unis est mort et enterré. Il a été pour une grande part supplanté par des officiers de carrière, en majorité des nationalistes conservateurs modérés originaires du Sud, et une pléthore de civils représentant des groupes de pression idéologiques, ethniques et économiques. Le centre de gravité de la politique américaine va continuer à se déplacer vers le Sud et l’Ouest. Si les démocrates se retrouvent au pouvoir, ce sera en s’appuyant sur les immigrés hispaniques du sud des Etats-Unis, peu susceptibles de soutenir un nouvel atlantisme.
Certains espèrent que l’une des conséquences de la débâcle irakienne sera un nouvel engagement américain en faveur d’un règlement durable de la question palestinienne. L’inverse est plus probable. Si les Etats-Unis s’extirpent d’Irak et d’Afghanistan et restent en dehors des autres pays arabes, l’intérêt – déjà faible – pour les responsables politiques américains de tenter d’équilibrer leur soutien à Israël par des gestes en direction de l’opinion publique arabe et musulmane sera encore moindre. La montée en puissance aux Etats-Unis de la droite arabophobe et islamophobe, que provoquerait immanquablement un retrait peu glorieux d’Irak, accroîtrait les tensions entre les Etats-Unis et l’Europe. Dans la deuxième décennie du XXIe siècle, les Européens risquent de se voir traiter d’“Euro-Arabes” favorables à l’apaisement [“Eurabian” appeasers], par les républicains conservateurs comme par certains démocrates libéraux.
En ce qui concerne la politique intérieure américaine, les bénéficiaires à long terme de la guerre en Irak pourraient être les républicains qui l’ont livrée et perdue, plutôt que les démocrates, qui s’y sont pour la plupart opposés. Ce qui est moins paradoxal qu’il n’y paraît. Les pays qui gagnent des guerres sont plus souples en matière de sécurité et plus ouverts aux partis de gauche – comme le montrent les deux mandats de Clinton après la fin de la guerre froide ou le rejet de Churchill par les Britanniques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les pays vaincus ont en revanche tendance à rechercher des hommes forts à droite, comme la France pendant la guerre d’Algérie et les Etats-Unis lors de celle du Vietnam. L’histoire des Etats-Unis montre que s’opposer à une guerre, même si elle est impopulaire ou se termine en fiasco, peut être fatal à un parti politique. La droite a déjà ressorti l’argument du “coup de poignard dans le dos” pour imputer l’échec en Irak aux journalistes de gauche et à la minorité démocrate au Congrès. C’est bien entendu absurde, mais la tentative tout aussi absurde de rendre les journalistes et le mouvement antiguerre responsables de la débâcle vietnamienne a été un succès politique dans les années 1970 et 1980.
Républicains et démocrates ne divergent que sur les détails
La glorification rétrospective de la guerre en Irak pourrait s’accompagner d’une politique militaire beaucoup plus prudente. La doctrine de Powell – selon laquelle les Etats-Unis ne doivent envoyer leurs troupes qu’en dernier ressort, seulement lorsqu’une action militaire s’impose (mais en faisant alors un usage écrasant de la force) – pourrait refaire surface. Un “syndrome irakien” apparaîtra sans doute, qui se traduira par le refus des Américains de s’engager dans d’autres opérations militaires de grande envergure.
Le prochain président, et peut-être aussi son successeur, prendra certainement exemple sur Ronald Reagan et alliera une grande fermeté dans le discours à une extrême prudence dans l’action. Reagan était qualifié de va-t-en-guerre parce qu’il qualifiait l’Union soviétique d’“empire du mal”. Mais, dans la pratique, il évitait les engagements militaires coûteux et préférait livrer ses guerres par procuration, en utilisant des troupes étrangères armées, financées et entraînées par les Etats-Unis, comme les contras qui ont combattu les alliés de l’Union soviétique au Nicaragua et les moudjahidin qui ont affronté les Russes en Afghanistan. Comme l’ont montré ces exemples, le recours à des auxiliaires qui ne partagent peut-être pas les valeurs américaines peut susciter des dilemmes moraux et politiques. Il en va d’ailleurs parfois de même des bombardements conçus pour épargner les vies des soldats américains. Face aux risques de lourdes pertes humaines américaines, les successeurs de Bush préféreront certainement envoyer des conseillers de la CIA ou des missiles plutôt que des marines.
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