Bonjour je voulais partager ce document historique avec vous !
il s'agit d'une lettre entre deux amoureux
la reine de qartage et le rois de la numidie
SOPHONISBE et Massinissen ( Massinissa ) ,, please n'accusez pas MASSINISSA d'un traitre
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SOPHONISBE
A
Massinisse*
SEIGNEUR,
Je vois bien par la procédure de Lélius que la Fortune n'est pas encore lasse de me persécuter: qu'après avoir en une même journée perdu ma couronne, mon mari et ma liberté, et que par le caprice de cette inconstante, j'ai en ce même jour retrouvé ma liberté, un illustre mari et une couronne; je vois bien, dis-je, qu'après de si étranges événements, elle s'apprête encore à me faire perdre toutes ces choses. Lélius en me regardant, a sans doute jugé que j'étais assez bien faite pour honorer le triomphe de Scipion**, et pour suivre son char. J'ai vu dans ses yeux l'image qu'il portait en l'âme, et le dessein qu'il avait dans le cœur: mais il n'a peut-être pas découvert celui que j'ai dans le mien. Il ne sait pas que le désir de la liberté est de beaucoup plus puissant en moi que celui de la vie, et que pour conserver la première, je suis capable de perdre l'autre avec joie. Oui, je m'aperçois bien, mon cher Massinisse*, que vous allez avoir de forts ennemis à combattre: l'austérité de l'humeur de Scipion, se joignant à l'austérité romaine, le portera sans doute à vous faire une aigre réprimande: il trouvera étrange que le propre jour de la victoire, et le propre jour que vous avez repris la couronne qui vous appartenait, vous ayez songé à des noces, et choisi pour femme, non seulement celle de votre ennemi, mais une captive, une Carthaginoise, fille d'Asdrubal et ennemie de Rome. Souvenez-vous toutefois, Seigneur, que vous ne devez pas me regarder en cette occasion, ni comme femme de Siphax, ni comme captive, ni comme Carthaginoise, ni comme fille d'Asdrubal, ni comme ennemie de Rome, bien que je fasse gloire de l'être, mais comme femme de l'illustre Massinisse. Souvenez-vous aussi que je n'ai consenti à recevoir cet honneur qu'après que vous m'avez eu promis que je ne tomberais point au pouvoir des Romains: vous m'avez engagé votre parole, songez donc à n'y manquer pas. Je ne demande point que vous vous exposiez à perdre l'amitié du Sénat pour me conserver, puisque votre malheur a fait que vous en avez besoin; mais je veux seulement, que suivant ce que vous m'avez juré, vous m'empêchiez de tomber vive sous le pouvoir de Scipion. Je ne doute point que Siphax en l'état qu'il est, ne die à son vainqueur que c'est moi qui suis cause de son infortune, que c'est moi qui l'ai chargé de fers, que c'est moi qui l'ai fait ami de Carthage, et ennemi de Rome. Oui, généreux Massinisse, j'avoue toutes ces choses; et si je pouvais vous dérober aux Romains, je m'estimerais heureuse, et croirais que ma mort serait véritablement digne de la fille d'Asdrubal. Pardonnez-moi, mon cher Massinisse, si je vous parle avec tant de hardiesse; mais comme c'est peut-être la dernière fois que je vous verrai jamais, je serai bien aise de vous dire quels ont toujours été mes sentiments afin que, par la connaissance que vous aurez de l'aversion que j'ai toujours eue pour la servitude, vous vous portiez plus aisément à songer à ma liberté. Aussitôt que j'eus ouvert les yeux à la lumière, la première chose que j'appris fut qu'il y avait un peuple, qui sans aucun droit que celui que le fort impose au faible, voulait se rendre maître de tous les autres; et tant que mon enfance dura, je n'entendis parler que des triomphes des Romains, des rois qu'ils avaient enchaînés, des illustres captifs qu'ils avaient faits, de la misère de ces malheureux et de toutes les choses qui se font en ces funestes spectacles où l'orgueil des Romains fait consister le plus noble fruit de leurs victoires. Ces images s'imprimèrent si avant dans ma fantaisie que rien ne les en a jamais pu chasser. Depuis cela, devenant plus raisonnable avec l'âge, j'ai encore eu plus d'aversion pour cette Aigle Romaine qui ne vit que des rapines qu'elle fait, et qui ne vole sur la tête des rois que pour leur enlever leurs couronnes. On me dira peut-être que les Romains donnent autant de royaumes qu'ils en usurpent, et qu'ils font autant de rois qu'ils en attachent à leur char; mais mon cher Massinisse, si vous voulez bien considérer les choses, vous trouverez qu'ils ne donnent des sceptres que pour avoir de plus illustres esclaves, et que s'ils mettent des couronnes sur la tête de leurs vassaux, ce n'est que pour avoir le plaisir de les voir mettre à leurs pieds, lorsque par leurs ordres ils vont leur en rendre hommage. La vanité est l'âme de cette nation: c'est la seule chose qui la fait agir. Ce n'est que pour cela qu'elle fait des conquêtes, qu'elle usurpe des royaumes, qu'elle désole toute la terre, et que non contente d'être maîtresse absolue de cette grande partie de l'univers qui est de son continent, elle passe les mers pour venir troubler notre repos. Car si le seul désir d'agrandir ses limites, et d'accroître ses richesses, la portait à faire la guerre, elle se contenterait de renverser des trônes, et de faire mourir ceux qui les possédaient légitimement; mais comme le seul orgueil la fait agir, il faut qu'un simple bourgeois de Rome, pour sa gloire, et pour le divertissement du peuple, traîne des rois enchaînés après son char de triomphe. O Dieux! est-il possible qu'il se trouve des vainqueurs assez inhumains pour cela! Et est-il possible qu'il se trouve des rois vaincus assez lâches pour endurer une si cruelle chose? Oui sans doute, et trop d'exemples de cette sorte ont fait connaître que tous les princes ne sont pas généreux. Cependant il est certain que des fers et des couronnes, des sceptres et des chaînes, sont des choses que l'on ne devrait jamais voir ensemble: un char traîné par des éléphants ne devrait point être suivi par des rois, et des rois attachés comme des criminels, à qui on ne laisse les marques de la royauté que pour marquer leur honte et la gloire de leur vainqueur. Mais quelle gloire peut avoir celui qui triomphe de cette sorte? car si ceux qu'il a vaincus sont des lâches (comme il y a grande apparence puisqu'ils vivent), ce n'est pas un juste sujet de vanité que de les avoir surmontés. Que si ces infortunés ont témoigné du cœur en leur défaite, il y a beaucoup d'inhumanité à celui qui traite de cette sorte des princes qui n'ont fait autre chose que de défendre leur couronne, leurs pays, leurs femmes, leurs enfants, leurs sujets et leurs Dieux domestiques. Que si pour la gloire de leurs vainqueurs, et pour le plaisir du peuple, ils voulaient des triomphes, il leur eût été plus glorieux de faire porter les armes des ennemis qu'ils avaient tués de leur main, que de se faire suivre par des rois qu'ils n'ont pas combattus. Des chars tout remplis d'armes rompues, de boucliers, de dards, de javelines, et d'enseignes prises sur leurs adversaires, feraient un spectacle moins funeste et plus agréable aux yeux du peuple. Mais Dieux ! est-il possible que des rois soient destinés à une chose si infâme? que ce même peuple, à qui on donne pour divertissement des combats de gladiateurs, et de bêtes sauvages, soit encore la cause de cette funeste cérémonie, et qu'il tire ses plaisirs de la honte et de l'infortune des rois? qu'il faille que ceux qui trouvent de la volupté à voir [s']entre-tuer, par une brutalité horrible, quatre mille hommes en un même jour, et qui trouvent leur félicité à voir [s']entre-dévorer des tigres et des lions; est-il possible (dis-je) que ce soit pour ce même peuple que l'on traîne des rois accablés de fers ? Pour moi, mon cher Massinisse, je trouve quelque chose de si étrange à cette sorte de triomphe que je doute s'il est plus honteux aux vaincus qu'aux victorieux, et en mon particulier, je sais bien que je ne ferais ni l'un ni l'autre. Jugez donc, mon cher Massinisse, si une personne qui ne voudrait pas entrer à Rome dans un char de triomphe suivi de cent rois enchaînés, pourrait se résoudre à suivre avec des fers, celui de l'orgueilleux Scipion.
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