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Égypte : minarets sous contrôle

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  • Égypte : minarets sous contrôle

    La main de l'État sur les affaires religieuses n'a jamais été aussi visible. Plus d'un an après l'éviction du président islamiste Mohamed Morsi, le 3 juillet 2013, le nouveau pouvoir craint de voir les mosquées lui échapper et de servir de principale base de rassemblement pour les Frères musulmans, la deuxième force politique du pays.

    Un verrouillage en bonne et due forme
    Pour se prémunir de toute politisation des minarets, notamment le jour du prêche du vendredi, la khotba, le gouvernement a décidé de verrouiller drastiquement le champ religieux. Des cheikhs jugés sensibles ont été remerciés et remplacés par des prêcheurs fonctionnaires ; de petites mosquées ont été fermées faute de personnel. Cependant, cela semble plus dur à appliquer dans les campagnes et les zones reculées. "Le contrôle sécuritaire s'est intensifié ces derniers mois pour éviter toute infiltration des Frères musulmans sur les minbars [chaire en bois depuis laquelle est prononcé le prêche du vendredi, NDLR]", témoigne un cheikh écarté après le renversement de Mohamed Morsi. L'homme, vêtu d'une galabeya et d'un bonnet musulman gris perle, accepte de témoigner sous le couvert de l'anonymat. Mais à une condition : la discussion aura lieu dans sa voiture, garée sur le bas-côté d'une route. Son regard dévie, à droite, à gauche, puis s'arrête soudain sur son rétroviseur. Derrière chaque passant se cache un potentiel bavard. Ce cheikh à la retraite a passé une dizaine d'années dans les geôles égyptiennes à la fin des années 1980. Hosni Moubarak entamait alors un second mandat présidentiel marqué, entre autres, par la lutte contre le fondamentalisme religieux. "Le problème avec cette politique répressive, c'est qu'il n'y a pas de discussions possibles", poursuit l'ex-prêcheur, en caressant nerveusement sa barbe grisonnante. "On vous apprend du jour au lendemain que votre permis de prêcher a été refusé pour des raisons sécuritaires."

    Une tradition renforcée depuis le départ de Morsi
    Juin 2014, le président par intérim de l'époque, Adly Mansour, promulgue une loi réglementant les sermons et les études religieuses dans les mosquées du pays. Le texte précise notamment que seules les personnes munies d'une autorisation officielle peuvent délivrer des prêches. Parmi ces fonctionnaires, on compte de nombreux anciens élèves de la grande mosquée d'al-Azhar, la plus importante institution religieuse sunnite du pays. Une charte publiée en arabe par le ministère des Awqaf - en charge du culte - leur donne la marche à suivre. "Celui qui a la permission de prêcher n'a pas le droit d'exploiter les discours, les leçons, ou les réunions à des fins partisanes, sectaires, ou personnelles. (...) Il est également interdit d'utiliser son pouvoir pour influencer la foule à soutenir un parti, une communauté ou une personne. Le prêcheur préfère l'intérêt national à ses intérêts privés." Un message clair destiné aux sympathisants de la confrérie islamiste.

    Comme le souligne Amr Ezzat, en charge des sujets religieux au sein de l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), le contrôle des minarets a toujours été un enjeu politique de taille. Dans une étude récente, il rappelle que cette ambition traverse tous les régimes égyptiens depuis Gamal Abdel Nasser. Il note toutefois un changement de style avec l'arrivée d'Abdel Fatah al-Sissi. Le contrôle s'est amplifié et s'exerce sans compromis. "Sous Moubarak, les autorités autorisaient les prêches de salafistes si ces derniers s'engageaient à ne pas parler de politique. La sécurité nationale en charge de superviser l'activité religieuse avait réussi à trouver un certain équilibre."

    Le risque de cette politique : qu'elle soit contre-productive
    D'après le rapport, la politique répressive menée par l'actuel pouvoir pourrait s'avérer à long terme contre-productive et servir les courants islamistes. Face aux prêcheurs d'État auxquels le ministère des Awqaf soumet les grandes lignes des sermons, les voix islamistes apparaîtront naturellement plus "subversives et dynamiques".

    Si la volonté de superviser les mosquées n'est pas nouvelle, de nombreux observateurs remarquent une surenchère de l'instrumentalisation du religieux à des fins politiques. Les raisons sont multiples. Le nouvel homme fort du pays, l'ancien maréchal Abdel Fatah al-Sissi, a rapidement investi le terrain de l'islam dont les Frères musulmans se disaient les seuls représentants légitimes. À peine élu à la présidence de la République, il s'est rendu en Arabie saoudite, certes pour remercier le généreux allié saoudien - mais également pour prouver qu'il est un bon musulman. Lors de la campagne présidentielle, Abdel Fatah al-Sissi s'est plusieurs fois posé en représentant du "vrai islam", qu'il oppose à celui des Frères. "Sissi s'inscrit dans la lignée des présidents autoritaires arabes de la région, analyse Stéphane Lacroix, maître de conférences à Sciences Po Paris et spécialiste de l'islam politique. Vu d'Occident, ils apparaissent comme des dirigeants laïques, même si, à l'intérieur ils continuent d'instrumentaliser la religion".

    Le retour en force de l'appareil sécuritaire dépasse les mosquées. Les libertés se rétractent dans les universités, les syndicats, la rue. Tout activisme, pouvant remettre en cause le pouvoir en place, est prohibé. Passible d'emprisonnement. À l'aube de la rentrée universitaire, les doyens craignent une reprise des manifestations qui avaient opposé à plusieurs reprises les étudiants et les forces de l'ordre l'an passé. "Le nouveau régime met tous les acteurs à contribution afin d'éterniser l'état de grâce, le temps qu'il se renforce, poursuit Stéphane Lacroix. Sa brutalité et le refus de toute dissidence sont le corollaire de cette période de constitution de régime où les dynamiques de corps prévalent."


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