Les géants de la Silicon Valley imaginent des territoires off-shore pour y instaurer une société à leur image : riche, technologique et libertarienne. Au péril de la démocratie ?
De notre envoyée spéciale, Dominique Nora
Ils ont déstabilisé des industries entières, amassé des milliards, maîtrisé vos données et s’immiscent de manière de plus en plus intime dans votre vie quotidienne… Mais les seigneurs de la Silicon Valley voient encore plus loin : ils imaginent à présent de créer des "pays" à eux, des communautés offshore, où la technologie règne en maître. Leur projet fétiche ? Une myriade de cités marines, ne dépendant d’aucun gouvernement souverain. Dans ces villes flottantes modulaires, on ne paierait pas d’impôts, on réglerait ses factures en bitcoins, on ne consommerait que de l’énergie verte, on apprendrait en ligne, on serait livré par drone et soigné à coups de thérapie génomique…
Délirant ? Non : face à la faillite des économies occidentales, les fondateurs et dirigeants de Google, Facebook, Amazon ou Apple et leurs financiers californiens pensent qu’ils feraient mieux que les politiques. Persuadés d’être les nouveaux maîtres du monde, les oligarques de la technologie jugent les gouvernements de la planète incapables de suivre le rythme de leurs innovations "de rupture". Ils rêvent de s’émanciper des lois qui s’appliquent au commun des mortels. Et expriment, parfois, des velléités *sécessionnistes. Au péril de la démocratie?
Les Etats-Unis, "Microsoft des nations"
Le 19 octobre dernier, à Cupertino, dans la Silicon Valley, le fondateur de l’entreprise de génomique Counsyl, Balaji Srinivasan, s’est fait applaudir par une salle comble d’apprentis entrepreneurs en qualifiant les Etats-Unis de "Microsoft des nations". Comprenez : un géant désuet et obsolescent, destiné à être balayé par l’histoire. Quand une entreprise de technologie est dépassée, a-t-il insisté au cours de sa conférence intitulée "Silicon Valley’s Ultimate Exit", vous n’essayez pas de la réformer de l’intérieur, vous la quittez pour créer votre propre start-up ! Pourquoi ne pas faire la même chose avec le pays ?
Srinivasan exprime juste avec brutalité ce que les champions de l’économie numérique pensent souvent sans le crier sur les toits.
Il y a beaucoup, beaucoup de choses importantes et excitantes que nous pourrions faire, mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales, disait Larry Page, le cofondateur de Google, en mai dernier lors de sa conférence de développeurs. […] En tant que spécialistes de la technologie, on devrait disposer d’endroits sûrs où l’on pourrait essayer des choses nouvelles et juger de leurs effets sur la société et les gens, sans avoir à les déployer dans le monde normal."
Les seigneurs du numérique n’ont certes pas formé un parti. Mais ils sont nombreux à se réclamer, comme le créateur de l’encyclopédie internet Wikipédia, Jimmy Wales, d’une culture "libertarienne". Une école de pensée qui abhorre l’Etat et les impôts et sacralise la liberté individuelle, "droit naturel" qu’elle tient pour LA valeur fondamentale des relations sociales, des échanges économiques et du système politique. Historiquement marginale, cette mouvance gagne en influence aux Etats-Unis, avec des adeptes aussi bien dans le Tea Party qu’au sein des partis républicain et démocrate. Selon un sondage Gallup du 14 janvier 2014, 23% des Américains (contre 18% en 2000) sont en phase avec les valeurs des libertariens. A Washington, leur héros, Ron Paul, député républicain du Texas et ex-candidat à l’élection présidentielle, veut abolir la banque centrale américaine – la Federal Reserve – et prône le retour à l’étalon-or.
La Californie divisée en six nouveaux Etats
Les plus modérés restent dans le cadre du jeu politique conventionnel, comme Tim Draper, avec sa campagne "Six Californias". Partenaire de la prestigieuse société de capital-risque Draper Fisher Jurvetson (qui a financé des succès comme Hotmail, Skype ou Tesla Motors), Draper juge le Golden State "de plus en plus ingouvernable et sous-représenté à Washington". Il veut donc soumettre au suffrage populaire, en novembre prochain, une initiative pour éclater ce colosse en six nouveaux Etats à part entière, dont la Silicon Valley. Sa motivation ?
La Californie taxe beaucoup ses citoyens pour une performance médiocre, nous explique-t-il. Parmi les 50 Etats américains, la Californie est celui qui dépense le plus pour l’éducation, alors qu’elle ne se classe que 46e pour ses résultats. Elle compte parmi les Etats qui consacrent le plus d’argent aux prisons, alors qu’elle affiche parmi les pires statistiques en matière de récidive."
Tim Draper veut donc remplacer l’administration bureaucratique de Sacramento, la capitale de l’Etat, par six nouveaux gouvernements plus en phase avec les intérêts économiques des grandes régions. Pour faire de la Silicon Valley le paradis des cyber-yuppies ? "Non, rétorque-t-il. Cette idée est aussi très populaire dans les zones les plus pauvres de Californie, qui estiment ne pas bénéficier des fruits de la redistribution." Selon lui, "six nouveaux Etats pourraient innover, échanger les meilleures pratiques, et se faire concurrence pour séduire les comtés limitrophes".
Des "micro-nations" offshore
Performance, concurrence : ce sont les mots-clés d’initiatives plus audacieuses encore, qui préconisent de sortir carrément du cadre politique. Patri Friedman, petit-fils du célèbre économiste libéral Milton Friedman, a ainsi créé en 2008 le Seasteading Institute, qui milite pour couvrir la planète de "villes-nations flottantes" échappant à la souveraineté des Etats.
Ces micro-nations permettront à une génération de pionniers de tester de nouvelles idées de gouvernement, nous explique le directeur exécutif de l’Institut, Randolph Hencken. Celles qui réussissent le mieux pourraient alors inspirer des changements aux gouvernements autour de la planète."
Techno-utopie ? Pas si sûr… Deux anciens cadres de l’Institut, Dario Mutabdzija et Max Marty, ont créé la société BlueSeed pour contourner la loi américaine sur l’immigration. Ils projettent de fonder un village incubateur de start-up, avec une communauté de geeks vivant et travaillant sur un navire géant ancré à la limite des eaux territoriales américaines, à 22 kilomètres au large de Half Moon Bay, au sud de San Francisco. "Cet emplacement permettrait aux entrepreneurs du monde entier de créer et de développer leur société près de la Silicon Valley, sans avoir besoin de visas de travail américains", lit-on sur leur site web
Les résidents de ce bâtiment battant pavillon des îles Marshall ou des Bahamas pourraient rallier le continent par ferry, munis d’un simple visa business, plus facile à décrocher. La PME, qui a déjà levé plus de 9 millions de dollars, négocie le leasing d’un navire et pourrait se lancer dès l’été 2014, si elle parvient à récolter 18 millions supplémentaires.
Paradis des geeks
De son côté, le Seasteading Institute, qui a déjà levé 1,5 million de dollars auprès du multimilliardaire libertarien Peter Thiel, pousse son projet de "Ville flottante". L’Institut a mandaté le bureau d’études néerlandais DeltaSync pour imaginer un concept sûr, financièrement abordable, confortable et modulaire. Son étude de faisabilité de 85 pages, publiée en décembre 2013, préconise des unités architecturales en béton renforcé, pouvant s’agglomérer ou se détacher à la guise de leurs occupants. Ces micro-communautés, paradis des geeks, où le prix du foncier avoisinerait 4.000 euros/m2, développeraient leur économie autour des technologies de l’information, mais aussi du tourisme médical, de l’aquaculture et des énergies alternatives.
Avant d’envisager d’établir leurs communautés en haute mer – ce qui est compliqué et coûteux –, Patri Friedman et ses partenaires songent à établir la première ville flottante dans les eaux plus calmes du golfe de Fonseca, en Amérique centrale. Selon la presse américaine, ils négocient avec le Honduras, dont le gouvernement compte des sympathisants du mouvement libertarien. "On a encore beaucoup de travail, mais je suis optimiste : si tout va bien, la première communauté flottante pourrait être inaugurée à la fin de la décennie", annonce Randolph Hencken.
La liberté… contre la démocratie
En attendant, le Seasteading Institute a recruté des dizaines d’ambassadeurs bénévoles pour prêcher sa cause sur la planète. Et il s’est lancé dans une évaluation des candidats potentiels : "1.200 citoyens de 57 pays – à 45% non américains – nous ont déjà dit qu’ils étaient volontaires", affirme son directeur exécutif. Il faut dire que les vidéos promotionnelles de son site web sont alléchantes : de vrais bijoux marketing, qui racontent une fable à laquelle tout le monde a envie de croire.
A écouter Friedman et ses amis, en effet, seul le système politique sclérosé et ses vieilles lois terrestres empêchent de résoudre les grands problèmes de notre civilisation. Selon eux, repartir d’une "feuille blanche", comme les pères fondateurs, permettrait de "libérer le génie inhérent à la race humaine". Des "esprits éclairés formeraient des centaines de cités-laboratoires, pour expérimenter", ils inventeraient de nouvelles formes de gouvernance et développeraient les technologies permettant de "nourrir les gens qui ont faim, enrichir les pauvres, guérir les malades, restaurer les océans, nettoyer l’atmosphère, se débarrasser des énergies fossiles."
Problème : il y a un gouffre béant entre les objectifs humanitaires et environnementaux affichés par le Seasteading Institute… et l’idéologie hypercapitaliste que ses promoteurs et financiers libertariens appellent de leurs vœux ! Patri Friedman ne cesse de critiquer la démocratie comme "inadaptée" à la création d’un Etat libertarien. Quant à son principal mécène, Peter Thiel, il assène en avril 2009, sur le site du think tank Cato Institute : "La liberté n’est pas compatible avec la démocratie." Et se dit convaincu que nous sommes dans une "course à mort entre la technologie et la politique".
Thiel, dont la famille a émigré d’Allemagne quand il avait un an, déplore le ralentissement technologique américain, dont il fait une analyse très personnelle. "Les hommes ont atterri sur la Lune en juillet 1969, et Woodstock a commencé trois semaines plus tard. Rétrospectivement, on peut voir que c’est le moment où les hippies ont pris le contrôle du pays et où la vraie guerre culturelle sur le progrès a été perdue", écrivait-il en 2011 dans le "National Review". Pour lui, le sort de la planète pourrait donc "dépendre des efforts d’une seule personne [lui-même ?], qui construise et propage la machinerie de liberté susceptible de rendre le monde sûr pour le capitalisme". Diable…
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De notre envoyée spéciale, Dominique Nora
Ils ont déstabilisé des industries entières, amassé des milliards, maîtrisé vos données et s’immiscent de manière de plus en plus intime dans votre vie quotidienne… Mais les seigneurs de la Silicon Valley voient encore plus loin : ils imaginent à présent de créer des "pays" à eux, des communautés offshore, où la technologie règne en maître. Leur projet fétiche ? Une myriade de cités marines, ne dépendant d’aucun gouvernement souverain. Dans ces villes flottantes modulaires, on ne paierait pas d’impôts, on réglerait ses factures en bitcoins, on ne consommerait que de l’énergie verte, on apprendrait en ligne, on serait livré par drone et soigné à coups de thérapie génomique…
Délirant ? Non : face à la faillite des économies occidentales, les fondateurs et dirigeants de Google, Facebook, Amazon ou Apple et leurs financiers californiens pensent qu’ils feraient mieux que les politiques. Persuadés d’être les nouveaux maîtres du monde, les oligarques de la technologie jugent les gouvernements de la planète incapables de suivre le rythme de leurs innovations "de rupture". Ils rêvent de s’émanciper des lois qui s’appliquent au commun des mortels. Et expriment, parfois, des velléités *sécessionnistes. Au péril de la démocratie?
Les Etats-Unis, "Microsoft des nations"
Le 19 octobre dernier, à Cupertino, dans la Silicon Valley, le fondateur de l’entreprise de génomique Counsyl, Balaji Srinivasan, s’est fait applaudir par une salle comble d’apprentis entrepreneurs en qualifiant les Etats-Unis de "Microsoft des nations". Comprenez : un géant désuet et obsolescent, destiné à être balayé par l’histoire. Quand une entreprise de technologie est dépassée, a-t-il insisté au cours de sa conférence intitulée "Silicon Valley’s Ultimate Exit", vous n’essayez pas de la réformer de l’intérieur, vous la quittez pour créer votre propre start-up ! Pourquoi ne pas faire la même chose avec le pays ?
Srinivasan exprime juste avec brutalité ce que les champions de l’économie numérique pensent souvent sans le crier sur les toits.
Il y a beaucoup, beaucoup de choses importantes et excitantes que nous pourrions faire, mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales, disait Larry Page, le cofondateur de Google, en mai dernier lors de sa conférence de développeurs. […] En tant que spécialistes de la technologie, on devrait disposer d’endroits sûrs où l’on pourrait essayer des choses nouvelles et juger de leurs effets sur la société et les gens, sans avoir à les déployer dans le monde normal."
Les seigneurs du numérique n’ont certes pas formé un parti. Mais ils sont nombreux à se réclamer, comme le créateur de l’encyclopédie internet Wikipédia, Jimmy Wales, d’une culture "libertarienne". Une école de pensée qui abhorre l’Etat et les impôts et sacralise la liberté individuelle, "droit naturel" qu’elle tient pour LA valeur fondamentale des relations sociales, des échanges économiques et du système politique. Historiquement marginale, cette mouvance gagne en influence aux Etats-Unis, avec des adeptes aussi bien dans le Tea Party qu’au sein des partis républicain et démocrate. Selon un sondage Gallup du 14 janvier 2014, 23% des Américains (contre 18% en 2000) sont en phase avec les valeurs des libertariens. A Washington, leur héros, Ron Paul, député républicain du Texas et ex-candidat à l’élection présidentielle, veut abolir la banque centrale américaine – la Federal Reserve – et prône le retour à l’étalon-or.
La Californie divisée en six nouveaux Etats
Les plus modérés restent dans le cadre du jeu politique conventionnel, comme Tim Draper, avec sa campagne "Six Californias". Partenaire de la prestigieuse société de capital-risque Draper Fisher Jurvetson (qui a financé des succès comme Hotmail, Skype ou Tesla Motors), Draper juge le Golden State "de plus en plus ingouvernable et sous-représenté à Washington". Il veut donc soumettre au suffrage populaire, en novembre prochain, une initiative pour éclater ce colosse en six nouveaux Etats à part entière, dont la Silicon Valley. Sa motivation ?
La Californie taxe beaucoup ses citoyens pour une performance médiocre, nous explique-t-il. Parmi les 50 Etats américains, la Californie est celui qui dépense le plus pour l’éducation, alors qu’elle ne se classe que 46e pour ses résultats. Elle compte parmi les Etats qui consacrent le plus d’argent aux prisons, alors qu’elle affiche parmi les pires statistiques en matière de récidive."
Tim Draper veut donc remplacer l’administration bureaucratique de Sacramento, la capitale de l’Etat, par six nouveaux gouvernements plus en phase avec les intérêts économiques des grandes régions. Pour faire de la Silicon Valley le paradis des cyber-yuppies ? "Non, rétorque-t-il. Cette idée est aussi très populaire dans les zones les plus pauvres de Californie, qui estiment ne pas bénéficier des fruits de la redistribution." Selon lui, "six nouveaux Etats pourraient innover, échanger les meilleures pratiques, et se faire concurrence pour séduire les comtés limitrophes".
Des "micro-nations" offshore
Performance, concurrence : ce sont les mots-clés d’initiatives plus audacieuses encore, qui préconisent de sortir carrément du cadre politique. Patri Friedman, petit-fils du célèbre économiste libéral Milton Friedman, a ainsi créé en 2008 le Seasteading Institute, qui milite pour couvrir la planète de "villes-nations flottantes" échappant à la souveraineté des Etats.
Ces micro-nations permettront à une génération de pionniers de tester de nouvelles idées de gouvernement, nous explique le directeur exécutif de l’Institut, Randolph Hencken. Celles qui réussissent le mieux pourraient alors inspirer des changements aux gouvernements autour de la planète."
Techno-utopie ? Pas si sûr… Deux anciens cadres de l’Institut, Dario Mutabdzija et Max Marty, ont créé la société BlueSeed pour contourner la loi américaine sur l’immigration. Ils projettent de fonder un village incubateur de start-up, avec une communauté de geeks vivant et travaillant sur un navire géant ancré à la limite des eaux territoriales américaines, à 22 kilomètres au large de Half Moon Bay, au sud de San Francisco. "Cet emplacement permettrait aux entrepreneurs du monde entier de créer et de développer leur société près de la Silicon Valley, sans avoir besoin de visas de travail américains", lit-on sur leur site web
Les résidents de ce bâtiment battant pavillon des îles Marshall ou des Bahamas pourraient rallier le continent par ferry, munis d’un simple visa business, plus facile à décrocher. La PME, qui a déjà levé plus de 9 millions de dollars, négocie le leasing d’un navire et pourrait se lancer dès l’été 2014, si elle parvient à récolter 18 millions supplémentaires.
Paradis des geeks
De son côté, le Seasteading Institute, qui a déjà levé 1,5 million de dollars auprès du multimilliardaire libertarien Peter Thiel, pousse son projet de "Ville flottante". L’Institut a mandaté le bureau d’études néerlandais DeltaSync pour imaginer un concept sûr, financièrement abordable, confortable et modulaire. Son étude de faisabilité de 85 pages, publiée en décembre 2013, préconise des unités architecturales en béton renforcé, pouvant s’agglomérer ou se détacher à la guise de leurs occupants. Ces micro-communautés, paradis des geeks, où le prix du foncier avoisinerait 4.000 euros/m2, développeraient leur économie autour des technologies de l’information, mais aussi du tourisme médical, de l’aquaculture et des énergies alternatives.
Avant d’envisager d’établir leurs communautés en haute mer – ce qui est compliqué et coûteux –, Patri Friedman et ses partenaires songent à établir la première ville flottante dans les eaux plus calmes du golfe de Fonseca, en Amérique centrale. Selon la presse américaine, ils négocient avec le Honduras, dont le gouvernement compte des sympathisants du mouvement libertarien. "On a encore beaucoup de travail, mais je suis optimiste : si tout va bien, la première communauté flottante pourrait être inaugurée à la fin de la décennie", annonce Randolph Hencken.
La liberté… contre la démocratie
En attendant, le Seasteading Institute a recruté des dizaines d’ambassadeurs bénévoles pour prêcher sa cause sur la planète. Et il s’est lancé dans une évaluation des candidats potentiels : "1.200 citoyens de 57 pays – à 45% non américains – nous ont déjà dit qu’ils étaient volontaires", affirme son directeur exécutif. Il faut dire que les vidéos promotionnelles de son site web sont alléchantes : de vrais bijoux marketing, qui racontent une fable à laquelle tout le monde a envie de croire.
A écouter Friedman et ses amis, en effet, seul le système politique sclérosé et ses vieilles lois terrestres empêchent de résoudre les grands problèmes de notre civilisation. Selon eux, repartir d’une "feuille blanche", comme les pères fondateurs, permettrait de "libérer le génie inhérent à la race humaine". Des "esprits éclairés formeraient des centaines de cités-laboratoires, pour expérimenter", ils inventeraient de nouvelles formes de gouvernance et développeraient les technologies permettant de "nourrir les gens qui ont faim, enrichir les pauvres, guérir les malades, restaurer les océans, nettoyer l’atmosphère, se débarrasser des énergies fossiles."
Problème : il y a un gouffre béant entre les objectifs humanitaires et environnementaux affichés par le Seasteading Institute… et l’idéologie hypercapitaliste que ses promoteurs et financiers libertariens appellent de leurs vœux ! Patri Friedman ne cesse de critiquer la démocratie comme "inadaptée" à la création d’un Etat libertarien. Quant à son principal mécène, Peter Thiel, il assène en avril 2009, sur le site du think tank Cato Institute : "La liberté n’est pas compatible avec la démocratie." Et se dit convaincu que nous sommes dans une "course à mort entre la technologie et la politique".
Thiel, dont la famille a émigré d’Allemagne quand il avait un an, déplore le ralentissement technologique américain, dont il fait une analyse très personnelle. "Les hommes ont atterri sur la Lune en juillet 1969, et Woodstock a commencé trois semaines plus tard. Rétrospectivement, on peut voir que c’est le moment où les hippies ont pris le contrôle du pays et où la vraie guerre culturelle sur le progrès a été perdue", écrivait-il en 2011 dans le "National Review". Pour lui, le sort de la planète pourrait donc "dépendre des efforts d’une seule personne [lui-même ?], qui construise et propage la machinerie de liberté susceptible de rendre le monde sûr pour le capitalisme". Diable…
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