Combattants palestiniens jusqu'à la mort
LE MONDE | 08.11.06 | 15h58 • Mis à jour le 08.11.06 | 15h58
ENVOYÉ SPÉCIAL
Pas facile de rencontrer Salem Thabet. C'est un homme recherché. Ce Palestinien figure en cinquième position sur la liste des combattants qu'Israël cherche à éliminer. Donc, il se cache, depuis trois ans. Le 23 août, sa maison à Jabaliya a été détruite par un missile. Il ne dort jamais au même endroit et reste le moins longtemps possible dans un même lieu. Salem Thabet est en fuite permanente. Pour le voir, il faut suivre un véritable jeu de piste, pour trouver en face de soi un homme de 32 ans, grand sourire, barbe et moustache fournies, yeux malicieux et vêtements à l'occidentale. Cet homme-là est un terroriste pour Israël, un résistant pour les Palestiniens. Membre des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, la branche armée du Fatah, il s'est engagé à 17 ans dans les Aigles du Fatah, lors de la première Intifada.
Arrêté, il a passé quatre ans dans les prisons israéliennes et a repris la lutte dès sa sortie. "Comment rester indifférent devant les souffrances endurées par mon peuple, face aux agressions, aux humiliations, aux tueries perpétuelles ?, demande-t-il. Nous subissons une punition collective. Ils ne poursuivent pas que les militants, mais aussi leurs familles, leurs amis, leurs voisins." Salem Thabet a été recruté par l'Autorité palestinienne. Il a cru au processus de paix d'Oslo, aux négociations de Camp David, en juillet 2000. Désormais, il n'y croit plus. Il est persuadé que "les Israéliens ne veulent pas la paix". Alors, lorsque la deuxième Intifada a commencé en septembre 2000, il a repris les armes et commencé à planifier des attentats car "les Israéliens veulent la guerre". "C'est pour cela qu'Ariel Sharon s'est rendu sur l'esplanade des Mosquées en septembre 2000 pour déclencher les réactions des Palestiniens. C'est pour cela que les Israéliens l'ont élu en février 2001", assure-t-il.
Salem Thabet est à l'origine d'un attentat à Ashdod qui a coûté la vie à 11 Israéliens. Puis d'un autre, au passage d'Erez, entre la bande de Gaza et Israël, qui a fait 4 morts. Il se définit comme un organisateur, l'artisan des attaques contre les colonies quand elles étaient installées dans la bande de Gaza. Selon lui, les Israéliens l'accusent d'être responsable de 36 morts et de 70 blessés. "Si c'était à refaire, je recommencerais, lance-t-il. La résistance est le seul moyen de forcer les Israéliens à faire la paix." Et pour cela, il est prêt à organiser des attentats-suicide et, à lancer des bombes.
"Les villes israéliennes ne sont pas loin et on peut les vider de leurs habitants. On n'a pas utilisé tous nos moyens et si les juifs réoccupent Gaza, on les attend, assure Salem Thabet. On va perdre des hommes mais eux aussi. Ils vont souffrir, car ils ne connaissent pas le combat de rue et ils ne peuvent pas gagner cette bataille." Pendant ce temps, défilent sur un écran d'ordinateur des images d'attentats, d'explosions, de roquettes. Le visage de certains des acteurs est cerclé de rouge. Ce sont les morts au combat.
Au même moment, résonnent des bruits d'hélicoptères. Salem Thabet enlève précipitamment sa batterie et la carte pin de son mobile, pour ne pas se faire repérer par les systèmes d'écoutes israéliens. Il sait qu'il sera tué tôt ou tard. "Je sers mon peuple et si la mort vient, je ne regretterai rien. Je vais rencontrer Dieu. Je l'attends depuis trente-deux ans." Il a deux garçons et une fille, qui sont "des cadeaux pour la résistance". "Après moi, ils vont continuer le combat, puis ce sera mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants, affirme-t-il. Ma conviction est qu'Israël va, un jour, quitter la Palestine." Il a réussi à quitter Gaza pour se faire soigner en Algérie. On lui a proposé de s'installer en Belgique. Il a refusé, Gaza, c'est sa terre, sa vie, son combat. Et ce sera sa tombe.
Il faut partir, les hélicoptères se rapprochent. Un coup de téléphone sur le réseau sans fil Al-Aqsa qui n'est pas contrôlé par Israël donne le signal du départ. Salem Thabet s'enfonce dans la nuit. La radio Al-Horya avertit la population, dès qu'un mouvement se produit de l'autre côté de la frontière, l'alerte est donnée par les comités de vigilance qui veillent jour et nuit. Dans les rues plongées dans le noir, des silhouettes d'hommes armés apparaissent de temps à autre. Images de guerre.
La rencontre avec Mohammed Abou Nosira, responsable dans la région de Khan Younès des comités de la résistance populaire, est plus bucolique. Elle a lieu dans un jardin, à la périphérie de la ville, au milieu des poules et des oies. Ce planificateur a échappé de peu à la mort, le 24 septembre 2004, lorsqu'un drone a lâché un missile sur sa voiture. Son compagnon de Rafah, Ali Chaaer, a été tué. Lui, grièvement blessé, en a réchappé par miracle. En juillet, c'est son frère Icham qui a péri dans un assassinat ciblé. Il sait que son tour viendra, mais le combat passe avant. "Je suis prêt à accueillir mon destin. C'est Dieu qui décide." En attendant, cet homme de 41 ans, qui a passé quatorze ans de sa vie en prison, poursuit sa mission : la création d'un Etat palestinien. En 1984, il avait lancé une grenade en plein Tel-Aviv. Il refuse de dire combien il y a eu de morts. "Il faut que leurs enfants souffrent comme souffrent les nôtres", déclare-t-il.
Relâché en 1998, cet ancien membre des milices armées du Fatah s'est engagé dans les comités de la résistance populaire au début de la deuxième Intifada, car "il en avait marre des partis, de la corruption du Fatah". Il s'est brouillé avec Yasser Arafat, auquel il a publiquement reproché de ne pas s'occuper suffisamment du sort des prisonniers palestiniens. Connu sous le nom d'Abou Radwan, lui qui avait continué d'organiser la résistance en prison a poursuivi cette tâche à l'extérieur. Il est l'un des artisans de l'enlèvement du caporal Gilad Shalit, kidnappé le 25 juin. Il ne s'en cache pas, au contraire, et affirme que les ravisseurs sont prêts à le garder des années si les Israéliens ne relâchent pas au moins 1 000 prisonniers et, parmi eux, des leaders politiques.
... a suivre
LE MONDE | 08.11.06 | 15h58 • Mis à jour le 08.11.06 | 15h58
ENVOYÉ SPÉCIAL
Pas facile de rencontrer Salem Thabet. C'est un homme recherché. Ce Palestinien figure en cinquième position sur la liste des combattants qu'Israël cherche à éliminer. Donc, il se cache, depuis trois ans. Le 23 août, sa maison à Jabaliya a été détruite par un missile. Il ne dort jamais au même endroit et reste le moins longtemps possible dans un même lieu. Salem Thabet est en fuite permanente. Pour le voir, il faut suivre un véritable jeu de piste, pour trouver en face de soi un homme de 32 ans, grand sourire, barbe et moustache fournies, yeux malicieux et vêtements à l'occidentale. Cet homme-là est un terroriste pour Israël, un résistant pour les Palestiniens. Membre des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, la branche armée du Fatah, il s'est engagé à 17 ans dans les Aigles du Fatah, lors de la première Intifada.
Arrêté, il a passé quatre ans dans les prisons israéliennes et a repris la lutte dès sa sortie. "Comment rester indifférent devant les souffrances endurées par mon peuple, face aux agressions, aux humiliations, aux tueries perpétuelles ?, demande-t-il. Nous subissons une punition collective. Ils ne poursuivent pas que les militants, mais aussi leurs familles, leurs amis, leurs voisins." Salem Thabet a été recruté par l'Autorité palestinienne. Il a cru au processus de paix d'Oslo, aux négociations de Camp David, en juillet 2000. Désormais, il n'y croit plus. Il est persuadé que "les Israéliens ne veulent pas la paix". Alors, lorsque la deuxième Intifada a commencé en septembre 2000, il a repris les armes et commencé à planifier des attentats car "les Israéliens veulent la guerre". "C'est pour cela qu'Ariel Sharon s'est rendu sur l'esplanade des Mosquées en septembre 2000 pour déclencher les réactions des Palestiniens. C'est pour cela que les Israéliens l'ont élu en février 2001", assure-t-il.
Salem Thabet est à l'origine d'un attentat à Ashdod qui a coûté la vie à 11 Israéliens. Puis d'un autre, au passage d'Erez, entre la bande de Gaza et Israël, qui a fait 4 morts. Il se définit comme un organisateur, l'artisan des attaques contre les colonies quand elles étaient installées dans la bande de Gaza. Selon lui, les Israéliens l'accusent d'être responsable de 36 morts et de 70 blessés. "Si c'était à refaire, je recommencerais, lance-t-il. La résistance est le seul moyen de forcer les Israéliens à faire la paix." Et pour cela, il est prêt à organiser des attentats-suicide et, à lancer des bombes.
"Les villes israéliennes ne sont pas loin et on peut les vider de leurs habitants. On n'a pas utilisé tous nos moyens et si les juifs réoccupent Gaza, on les attend, assure Salem Thabet. On va perdre des hommes mais eux aussi. Ils vont souffrir, car ils ne connaissent pas le combat de rue et ils ne peuvent pas gagner cette bataille." Pendant ce temps, défilent sur un écran d'ordinateur des images d'attentats, d'explosions, de roquettes. Le visage de certains des acteurs est cerclé de rouge. Ce sont les morts au combat.
Au même moment, résonnent des bruits d'hélicoptères. Salem Thabet enlève précipitamment sa batterie et la carte pin de son mobile, pour ne pas se faire repérer par les systèmes d'écoutes israéliens. Il sait qu'il sera tué tôt ou tard. "Je sers mon peuple et si la mort vient, je ne regretterai rien. Je vais rencontrer Dieu. Je l'attends depuis trente-deux ans." Il a deux garçons et une fille, qui sont "des cadeaux pour la résistance". "Après moi, ils vont continuer le combat, puis ce sera mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants, affirme-t-il. Ma conviction est qu'Israël va, un jour, quitter la Palestine." Il a réussi à quitter Gaza pour se faire soigner en Algérie. On lui a proposé de s'installer en Belgique. Il a refusé, Gaza, c'est sa terre, sa vie, son combat. Et ce sera sa tombe.
Il faut partir, les hélicoptères se rapprochent. Un coup de téléphone sur le réseau sans fil Al-Aqsa qui n'est pas contrôlé par Israël donne le signal du départ. Salem Thabet s'enfonce dans la nuit. La radio Al-Horya avertit la population, dès qu'un mouvement se produit de l'autre côté de la frontière, l'alerte est donnée par les comités de vigilance qui veillent jour et nuit. Dans les rues plongées dans le noir, des silhouettes d'hommes armés apparaissent de temps à autre. Images de guerre.
La rencontre avec Mohammed Abou Nosira, responsable dans la région de Khan Younès des comités de la résistance populaire, est plus bucolique. Elle a lieu dans un jardin, à la périphérie de la ville, au milieu des poules et des oies. Ce planificateur a échappé de peu à la mort, le 24 septembre 2004, lorsqu'un drone a lâché un missile sur sa voiture. Son compagnon de Rafah, Ali Chaaer, a été tué. Lui, grièvement blessé, en a réchappé par miracle. En juillet, c'est son frère Icham qui a péri dans un assassinat ciblé. Il sait que son tour viendra, mais le combat passe avant. "Je suis prêt à accueillir mon destin. C'est Dieu qui décide." En attendant, cet homme de 41 ans, qui a passé quatorze ans de sa vie en prison, poursuit sa mission : la création d'un Etat palestinien. En 1984, il avait lancé une grenade en plein Tel-Aviv. Il refuse de dire combien il y a eu de morts. "Il faut que leurs enfants souffrent comme souffrent les nôtres", déclare-t-il.
Relâché en 1998, cet ancien membre des milices armées du Fatah s'est engagé dans les comités de la résistance populaire au début de la deuxième Intifada, car "il en avait marre des partis, de la corruption du Fatah". Il s'est brouillé avec Yasser Arafat, auquel il a publiquement reproché de ne pas s'occuper suffisamment du sort des prisonniers palestiniens. Connu sous le nom d'Abou Radwan, lui qui avait continué d'organiser la résistance en prison a poursuivi cette tâche à l'extérieur. Il est l'un des artisans de l'enlèvement du caporal Gilad Shalit, kidnappé le 25 juin. Il ne s'en cache pas, au contraire, et affirme que les ravisseurs sont prêts à le garder des années si les Israéliens ne relâchent pas au moins 1 000 prisonniers et, parmi eux, des leaders politiques.
... a suivre
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