Artiste, militant, activiste ou juriste, chacun d’eux a tenu à s’exprimer sur le 60e anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne. Ils nous parlent de leur vécu et de ce qui les préoccupe. De la situation actuelle de leur domaine d’activité et mieux, ils proposent des solutions afin de sortir de la crise et de concrétiser le projet d’Etat pour lequel nos aïeux se sont battus.
-Abd El Djalil Bendiha. 25 ans, militant progressiste et titulaire d’une licence en littérature française : "Je me considère comme étranger dans son propre pays"
Si j’avais à décrire ces 60 ans écoulés misérablement en une seule expérience, je les qualifierai de «60 ans d’inavouables». Les acquis sont nombreux et riches. Je cite pour exemple : trop d’obscurité, d’insécurité et flagrante corruption durant 52 ans de guerres internes après 7 ans de Révolution. Je suis un citoyen qui se considère, à la limite, comme étranger dans son propre pays. L’état des lieux est sensible et critique. Quoi acquérir quand tout est dévoyé ? Le système corrompu a fait de la société algérienne une société débauchée et sans moralité, tout en favorisant l’obscurantisme et l’islamisme pour bien manipuler les 38 millions de cobayes qui meurent à feu doux. Le taux de clairvoyance que le citoyen peut avoir sera égal au taux de souffrance qu’il subira s’il décide de dire non à l’injustice dans laquelle l’Algérie est noyée. Il y a un modèle de corrompus nés de la Révolution et que tolère l’Algérie depuis sa «pseudo» présumée indépendance.
Ce sont les goumis et les harkis, le même modèle de personnes qu’a connu l’Algérie avant et après l’indépendance. Cette intertextualité explique cette stagnation ayant duré 60 ans, notamment après 1962. La transition démocratique reste la meilleure solution à proposer pour l’Algérie et l’avenir des Algériens. L’Algérien a besoin d’un maximum d’autonomie sur le plan économie et de production locale. Sur un autre plan, nous exprimons un profond besoin de liberté de penser et de culte et nous luttons pour parvenir à l’indépendance de la justice. Nous croyons à la liberté de penser pour les essayistes, les chercheurs, les scientifiques, les philosophes et tous les intellectuels algériens en Algérie ou exilés. La vraie démocratie reste le seul choix pour sauver cette pauvre Algérie tombée depuis 60 ans entre les mains des maffieux.
-Kader Fares Affak. 45 ans, acteur et militant politique : "Pour une Algérie démocratique et sociale"
Le déclenchement de la lutte armée a été le fruit de l’expérience et des accumulations de plusieurs générations qui ont fait émerger un formidable potentiel patriotique. Le 1er Novembre fut un moment de rupture qui a permis de mobiliser ce potentiel pour libérer le pays et contribuer grandement à la liquidation du fait colonial. Ce fut un tournant dans l’histoire universelle. C’est aussi ce même potentiel, ce souffle qui a permis à notre peuple de mener d’autres combats sur tous les fronts, social, économique, politique, culturel et identitaire, pour faire avancer le pays dans la voie du progrès et de la démocratie. Il a aussi dû affronter un terrorisme islamiste coupable de crimes abominables. Encore une fois, notre peuple a payé un très lourd tribut pour sauver le pays. Nous sommes au 1er novembre 2014 et ni l’Algérie démocratique et sociale ni le respect de toutes les libertés fondamentales ne sont encore assurés. Soixante ans que le pouvoir tourne le dos aux idéaux de la lutte de libération nationale.
Il y a urgence à libérer les forces démocratiques. Face aux nouveaux défis posés par une mondialisation accélérée, notre pays manque aujourd’hui d’un projet national, fort et homogène. Nous célébrons cet anniversaire dans un contexte politique, économique et social plein d’incertitudes sur le devenir des acquis de l’indépendance. La fidélité aux valeurs de Novembre est la consécration de la citoyenneté et l’affirmation de l’algérianité dans les valeurs démocratiques universelles. Plus de démocratie, plus de liberté, plus de justice, un intérêt réel pour le travail, le savoir et la connaissance, une lutte sans merci contre le terrorisme islamiste, la corruption, les privilèges. C’est dans cette dynamique et non pas l’inverse qu’on peut consacrer l’état démocratique moderne et social.
-Yacine Zaid. 43 ans, syndicaliste et président du bureau de Laghouat de la LADDH : "Il faut réinventer l’action syndicale"
Mon expérience syndicale ne date pas d’aussi loin et j’avoue que j’ai été novice lorsque j’ai rejoint le monde syndical en 2006. Je n’étais qu’un simple travailleur dans une multinationale et j’avais la rage contre le traitement esclavagisme de ses patrons mégalomanes qui nous maltraitaient dans notre propre pays. Pour m’initier, j’ai appris les lois comme celle de 90-14 relative aux modalités d’exercice du droit syndical, mais je me suis vite aperçu que la réalité et toute autre, car rien ne protége le syndicaliste. Ma suspension a mis à nu mon syndicat, l’UGTA, qui m’a lâché. Les lois comme les instances et les institutions, elles ne servent qu’à meubler, au niveau international, la vitrine démocratique. Il ne s’agit plus d’acquis sociaux, mais de survie de toute la nation qui est en train de s’anéantir au su et au vu de tout le monde.
Au lieu de se rassembler autour de ce qui nous unit, nous continuons à nous séparer pour des futilités, parfois même, par égocentrisme. Après tant d’années de lutte, nous avons compris que ce que donne le pouvoir de la main gauche, il le récupère de la main droite. Nous nous sommes contenté d’une tétine vide, la raison pour laquelle, j’appelle aujourd’hui au rassemblement pour pouvoir nous constituer en force de proposition. Je pense que la société algérienne est en train de s’effondre. La société civile est anéantie car ceux qui avaient la culture de la lutte pacifique ont été paralysés. Le militantisme se limite, aujourd’hui, au virtuel. Les dernières poches de résistance face à ce mastodonte commencent à s’éclipser. C’est le début de la fin pour certains, la raison pour laquelle je demande à ce que l’on renouvelle l’espoir en réinventant l’action syndicale. Seule l’union des syndicats pourrait, aujourd’hui, faire face et ouvrir une brèche à ce nouvel espoir. Je rends hommage à tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté. Une pensée particulière à tous les braves syndicalistes qui ont pris le chemin avant nous et qui nous ont permis de faire ce petit chemin que nous sommes en train de tracer ensemble.
-Idir Tazerout. 34 ans, Journaliste : "La liberté de la presse dépend de celle de la société"
Une réalité complexe et contradictoire. Du temps de la presse «d’Etat», il y avait des plumes rebelles et d’autres. Les premières tentaient de créer des espaces de liberté, investies dans le reportage, parfois dans l’enquête. Les secondes régentaient les consciences en squattant le commentaire et commettaient des mises au point assassines. Au lendemain d’Octobre 88, la presse a été à l’avant-garde de la société, elle a commencé à écrire en grand ses lettres de noblesse. Malheureusement, malgré l’ouverture politique et la création de nombreux titres privés, le terrorisme islamiste allait faire de la presse sa cible privilégiée. Plusieurs journaux sont visés par des attentats et plus d’une centaine de journalistes éradiqués par la furie théocratique.
Au sortir de cet enfer, on n’accède pas à de «bonnes conditions d’exercice de la profession», les titres sont profusion sans se valoir. Il en existe qui n’ont pour vocation que de rafler la manne de la publicité publique. Quelques titres respectables évoluent dans une forêt de mauvaises herbes. Malgré toutes les embûches, de très nombreuses jeunes vocations éclosent. De jeunes plumes cherchent leur voie dans un contexte à bien des égards identique à celui de la première génération de la presse «d’Etat». L’accès aux sources d’information est très difficile. Les titres sont soumis à une double pression, celle des imprimeries et celle de la régie publicitaire d’Etat. S’ajoute à cela la précarité du statut de journaliste, et les liens d’allégeance qu’entretient une partie de la corporation avec les lieux de pouvoir. Cela donne la mesure de «l’écartèlement» de l’image de la presse.
Bâillonnée par des moyens et méthodes obliques, elle apparaît comme libre en livrant des dossiers ficelés en dehors d’elle, munitions d’épisodes récurrents des luttes de pouvoir. Donc, il n’y a de liberté que les petits espaces que gagne la presse par ce qu’elle a de plus sein. La presse est à la fois un outil au service de la société et un témoin de l’état de celle-ci. La presse libre peut exister dans une société libérée. Dans le même temps, la presse est un acteur de cette libération. Il faudrait lever le monopole d’Etat sur la publicité publique afin que celle-ci soit distribuée sur des critères objectifs et professionnels. Les éditeurs doivent renforcer la formation des journalistes souvent mal préparés, améliorer les salaires et les conditions de travail. Il faudrait aussi la création de nouveaux syndicats pour défendre les droits des journalistes
-Abd El Djalil Bendiha. 25 ans, militant progressiste et titulaire d’une licence en littérature française : "Je me considère comme étranger dans son propre pays"
Si j’avais à décrire ces 60 ans écoulés misérablement en une seule expérience, je les qualifierai de «60 ans d’inavouables». Les acquis sont nombreux et riches. Je cite pour exemple : trop d’obscurité, d’insécurité et flagrante corruption durant 52 ans de guerres internes après 7 ans de Révolution. Je suis un citoyen qui se considère, à la limite, comme étranger dans son propre pays. L’état des lieux est sensible et critique. Quoi acquérir quand tout est dévoyé ? Le système corrompu a fait de la société algérienne une société débauchée et sans moralité, tout en favorisant l’obscurantisme et l’islamisme pour bien manipuler les 38 millions de cobayes qui meurent à feu doux. Le taux de clairvoyance que le citoyen peut avoir sera égal au taux de souffrance qu’il subira s’il décide de dire non à l’injustice dans laquelle l’Algérie est noyée. Il y a un modèle de corrompus nés de la Révolution et que tolère l’Algérie depuis sa «pseudo» présumée indépendance.
Ce sont les goumis et les harkis, le même modèle de personnes qu’a connu l’Algérie avant et après l’indépendance. Cette intertextualité explique cette stagnation ayant duré 60 ans, notamment après 1962. La transition démocratique reste la meilleure solution à proposer pour l’Algérie et l’avenir des Algériens. L’Algérien a besoin d’un maximum d’autonomie sur le plan économie et de production locale. Sur un autre plan, nous exprimons un profond besoin de liberté de penser et de culte et nous luttons pour parvenir à l’indépendance de la justice. Nous croyons à la liberté de penser pour les essayistes, les chercheurs, les scientifiques, les philosophes et tous les intellectuels algériens en Algérie ou exilés. La vraie démocratie reste le seul choix pour sauver cette pauvre Algérie tombée depuis 60 ans entre les mains des maffieux.
-Kader Fares Affak. 45 ans, acteur et militant politique : "Pour une Algérie démocratique et sociale"
Le déclenchement de la lutte armée a été le fruit de l’expérience et des accumulations de plusieurs générations qui ont fait émerger un formidable potentiel patriotique. Le 1er Novembre fut un moment de rupture qui a permis de mobiliser ce potentiel pour libérer le pays et contribuer grandement à la liquidation du fait colonial. Ce fut un tournant dans l’histoire universelle. C’est aussi ce même potentiel, ce souffle qui a permis à notre peuple de mener d’autres combats sur tous les fronts, social, économique, politique, culturel et identitaire, pour faire avancer le pays dans la voie du progrès et de la démocratie. Il a aussi dû affronter un terrorisme islamiste coupable de crimes abominables. Encore une fois, notre peuple a payé un très lourd tribut pour sauver le pays. Nous sommes au 1er novembre 2014 et ni l’Algérie démocratique et sociale ni le respect de toutes les libertés fondamentales ne sont encore assurés. Soixante ans que le pouvoir tourne le dos aux idéaux de la lutte de libération nationale.
Il y a urgence à libérer les forces démocratiques. Face aux nouveaux défis posés par une mondialisation accélérée, notre pays manque aujourd’hui d’un projet national, fort et homogène. Nous célébrons cet anniversaire dans un contexte politique, économique et social plein d’incertitudes sur le devenir des acquis de l’indépendance. La fidélité aux valeurs de Novembre est la consécration de la citoyenneté et l’affirmation de l’algérianité dans les valeurs démocratiques universelles. Plus de démocratie, plus de liberté, plus de justice, un intérêt réel pour le travail, le savoir et la connaissance, une lutte sans merci contre le terrorisme islamiste, la corruption, les privilèges. C’est dans cette dynamique et non pas l’inverse qu’on peut consacrer l’état démocratique moderne et social.
-Yacine Zaid. 43 ans, syndicaliste et président du bureau de Laghouat de la LADDH : "Il faut réinventer l’action syndicale"
Mon expérience syndicale ne date pas d’aussi loin et j’avoue que j’ai été novice lorsque j’ai rejoint le monde syndical en 2006. Je n’étais qu’un simple travailleur dans une multinationale et j’avais la rage contre le traitement esclavagisme de ses patrons mégalomanes qui nous maltraitaient dans notre propre pays. Pour m’initier, j’ai appris les lois comme celle de 90-14 relative aux modalités d’exercice du droit syndical, mais je me suis vite aperçu que la réalité et toute autre, car rien ne protége le syndicaliste. Ma suspension a mis à nu mon syndicat, l’UGTA, qui m’a lâché. Les lois comme les instances et les institutions, elles ne servent qu’à meubler, au niveau international, la vitrine démocratique. Il ne s’agit plus d’acquis sociaux, mais de survie de toute la nation qui est en train de s’anéantir au su et au vu de tout le monde.
Au lieu de se rassembler autour de ce qui nous unit, nous continuons à nous séparer pour des futilités, parfois même, par égocentrisme. Après tant d’années de lutte, nous avons compris que ce que donne le pouvoir de la main gauche, il le récupère de la main droite. Nous nous sommes contenté d’une tétine vide, la raison pour laquelle, j’appelle aujourd’hui au rassemblement pour pouvoir nous constituer en force de proposition. Je pense que la société algérienne est en train de s’effondre. La société civile est anéantie car ceux qui avaient la culture de la lutte pacifique ont été paralysés. Le militantisme se limite, aujourd’hui, au virtuel. Les dernières poches de résistance face à ce mastodonte commencent à s’éclipser. C’est le début de la fin pour certains, la raison pour laquelle je demande à ce que l’on renouvelle l’espoir en réinventant l’action syndicale. Seule l’union des syndicats pourrait, aujourd’hui, faire face et ouvrir une brèche à ce nouvel espoir. Je rends hommage à tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté. Une pensée particulière à tous les braves syndicalistes qui ont pris le chemin avant nous et qui nous ont permis de faire ce petit chemin que nous sommes en train de tracer ensemble.
-Idir Tazerout. 34 ans, Journaliste : "La liberté de la presse dépend de celle de la société"
Une réalité complexe et contradictoire. Du temps de la presse «d’Etat», il y avait des plumes rebelles et d’autres. Les premières tentaient de créer des espaces de liberté, investies dans le reportage, parfois dans l’enquête. Les secondes régentaient les consciences en squattant le commentaire et commettaient des mises au point assassines. Au lendemain d’Octobre 88, la presse a été à l’avant-garde de la société, elle a commencé à écrire en grand ses lettres de noblesse. Malheureusement, malgré l’ouverture politique et la création de nombreux titres privés, le terrorisme islamiste allait faire de la presse sa cible privilégiée. Plusieurs journaux sont visés par des attentats et plus d’une centaine de journalistes éradiqués par la furie théocratique.
Au sortir de cet enfer, on n’accède pas à de «bonnes conditions d’exercice de la profession», les titres sont profusion sans se valoir. Il en existe qui n’ont pour vocation que de rafler la manne de la publicité publique. Quelques titres respectables évoluent dans une forêt de mauvaises herbes. Malgré toutes les embûches, de très nombreuses jeunes vocations éclosent. De jeunes plumes cherchent leur voie dans un contexte à bien des égards identique à celui de la première génération de la presse «d’Etat». L’accès aux sources d’information est très difficile. Les titres sont soumis à une double pression, celle des imprimeries et celle de la régie publicitaire d’Etat. S’ajoute à cela la précarité du statut de journaliste, et les liens d’allégeance qu’entretient une partie de la corporation avec les lieux de pouvoir. Cela donne la mesure de «l’écartèlement» de l’image de la presse.
Bâillonnée par des moyens et méthodes obliques, elle apparaît comme libre en livrant des dossiers ficelés en dehors d’elle, munitions d’épisodes récurrents des luttes de pouvoir. Donc, il n’y a de liberté que les petits espaces que gagne la presse par ce qu’elle a de plus sein. La presse est à la fois un outil au service de la société et un témoin de l’état de celle-ci. La presse libre peut exister dans une société libérée. Dans le même temps, la presse est un acteur de cette libération. Il faudrait lever le monopole d’Etat sur la publicité publique afin que celle-ci soit distribuée sur des critères objectifs et professionnels. Les éditeurs doivent renforcer la formation des journalistes souvent mal préparés, améliorer les salaires et les conditions de travail. Il faudrait aussi la création de nouveaux syndicats pour défendre les droits des journalistes
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