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« Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ». C’est par ces mots que le président socialiste François Hollande annonce son soutien au gouvernement israélien trois jours après le début de l’attaque militaire contre Gaza qui a déjà fait alors 64 morts...
Beaucoup ont été à juste titre scandalisés, d’autres également nombreux ont été naïvement surpris. Une simple lecture de l’histoire du socialisme français suffit pourtant à saisir que la continuité idéologique du parti socialiste est sans faille sur cette question : le soutien au sionisme aujourd’hui plonge ses racines dans le colonialisme qui a marqué toute l’histoire du socialisme français. Pour illustrer ce propos, analysons l’approche du colonialisme des trois principales figures théoriques du socialisme français (2).
Sur les fonts baptismaux jaurésiens
Le parti socialiste a choisi l’année 2005 pour fêter son centenaire c’est-à-dire qu’il prend comme point de départ de son histoire le congrès de fondation de la SFIO de 1905. Ce faisant, il occulte la partie antérieure de l’histoire du socialisme français. La Section Française de l’Internationale Ouvrière est en effet créée par la fusion du Parti Socialiste Français dirigé par Jean Jaurès et du Parti Socialiste de France dirigé par Jules Guesde. Les deux leaders s’opposent pendant de longues années sur la question coloniale.
En prenant 1905 comme date de référence, c’est Jaurès, le partisan d’une colonisation « éclairée », qui est plébiscité et Guesde, l’anticolonialiste (3), qui est rejeté.
A la différence de Jaurès, Jules Guesde condamne en effet la colonisation comme système global de domination : « la colonisation c’est le vol, c’est le pillage, c’est le meurtre, ce sont les crimes commis contre de paisibles populations, pour les profits d’une poignée de capitalistes, avides de gains (4). »
Jaurès pour sa part ne dénonce pas la colonisation comme système. « Ces peuples sont des enfants » même s’ils sont « loin d’être sots », dit-il en 1884, à propos de peuples colonisés auxquels il convient d’apporter « quelques notions très simples de langue et d’histoire française, de commerce, de christianisme » pour que réussisse « l’œuvre difficile de conquête morale et d’assimilation (5) ».
Dix ans plus tard, lors du conflit franco-anglais de Fachoda en 1898, Jaurès défend « le droit certain de la France à s’ouvrir un débouché, de l’Afrique centrale vers le Nil (6) ».
De même, en 1903, il défend la thèse selon laquelle « l’occupation morale du Maroc par la France sera un prolongement de la généreuse politique arabe qu’il faut développer en Algérie (7) ».
Trois ans avant sa mort en 1911, il continue à défendre l’idée d’un accord sur le projet colonial articulé à un désaccord sur la méthode : « La civilisation européenne se répand et doit se répandre sur le continent noir. Je n’ai jamais contesté pour ma part la nécessité, l’idéal, la beauté de cette pénétration. Nous n’avons différé et nous ne différons, au Maroc ou ailleurs, que sur les méthodes, mais je ne jette pas un regard de dédain sur l’œuvre commencée. Je ne l’enveloppe pas d’un anathème sans nuance (8). »
Les thèses de Jaurès l’emportent définitivement au sein de la SFIO à partir de 1908. Les socialistes ne bougeront plus de cette position : la défense d’une colonisation « humanisée ». La même thèse coloniale reste un leitmotiv dans ce qu’ils appellent le « conflit israélo-palestinien ».
Le colonialisme culturaliste de Léon Blum
Léon Blum ne rompt pas avec l’idée de mission civilisatrice que défend Jaurès. En pleine guerre du Rif, alors que les troupes françaises sont en action contre le peuple marocain, il réaffirme à la chambre des députés la nécessité de « l’expansion de la pensée, de la civilisation française » et « le droit et même le devoir de ce qu’on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture (9) ».
Comme Jules Ferry en 1885 (10), Léon Blum professe l’inégalité entre les peuples. Il ne s’agit certes pas pour lui d’une inégalité biologique mais d’une inégalité culturelle et de civilisation. La colonisation devient dans cette logique une œuvre d’émancipation en permettant le déclenchement de la très longue période de rattrapage du retard culturel et civilisationnel.
Dans l’approche blumiste, il n’existe aucune universalité du droit.
Les droits des indigènes doivent pour lui dépendre de leur degré de civilisation. Ce qui n’est pas sans rappeler certains discours contemporains sur l’intégration des Français issus de l’immigration, sur l’incompatibilité supposée de l’Islam avec la civilisation française et sa laïcité, sur l’intégration impossible des Roms en raison de leur culture, etc.
La notion « d’indigène évolué » est logiquement le centre de l’approche de Blum. Au pouvoir lors du Front Populaire, il initie en 1937 un projet de loi dit « Blum-Viollette » accordant à 21 000 indigènes sur six millions la citoyenneté française. Devant la pression des colons, il n’est même pas discuté au parlement.
Mais la contrepartie de la sollicitude envers les « indigènes évolués » est la « fermeté » vis-à-vis de ceux qui refusent la « civilisation française » et qui s’évertuent à réclamer l’indépendance. Alors qu’elle a participé aux combats contre les ligues fascistes, l’Etoile Nord-Africaine, organisation nationaliste algérienne, est dissoute en janvier 1937 (11) et son leader Messali Hadj est emprisonné.
En mars, c’est au tour du comité d’action marocaine d’être dissous. Dans les mois qui suivent, c’est la répression sanglante contre les révoltes populaires au Maroc et en Tunisie (12).
Ici aussi, la distinction binaire entre des « bons » et des « mauvais » n’est pas sans rappeler les propos actuels des socialistes sur le « Hamas » comme étant la cause de ce qu’ils appellent « l’interruption du processus de paix ».
Le colonialisme stratégique de Guy Mollet
La SFIO revient au pouvoir en 1956 avec la présidence de Guy Mollet. Il reste dans l’histoire celui qui demande les pouvoirs spéciaux en Algérie et les obtient par 455 voix, c’est-à-dire la quasi-unanimité, y compris les voix des députés communistes. Ces pouvoirs déclenchent ce qu’André Philip a dénommé le « crime de pacification (13) » c’est-à-dire la légalisation de la répression, de la torture et d’une guerre à grande échelle contre les civils au prétexte de lutter contre les « terroristes ».
Alain Savary, qui considère Guy Mollet comme un « camarade en République », explique comme suit le raisonnement du président du conseil : « (Il) était avant tout obsédé par une idée très en honneur dans le parti (…) qu’il fallait commencer par libérer les individus avant de libérer le pays. Des hommes et des femmes ont été marqués par cet argument : ne pas libérer le pays trop tôt de crainte de les livrer aux féodaux. (14) »
En 1956, nous en sommes encore à la vieille thèse de la mission civilisatrice. Le colonisé, l’indigène, l’arabe, le musulman, etc., est perçu comme porteur de féodalité et de barbarie et il revient au colonisateur de l’éduquer et d’évaluer sa capacité à vivre libre.
Mais, à cette première causalité culturaliste commune à Jaurès et Blum, s’en ajoute désormais une seconde de nature stratégique. Dans le monde de l’après seconde guerre mondiale, Guy Mollet est hanté par la peur de la perte de l’empire colonial auquel il rattache la « grandeur française ».
Cet empire est fragilisé par le nouveau rapport de forces issu de la seconde guerre mondiale, par la victoire vietnamienne à Dien Bien Phu, par Bandung mais aussi par les velléités des Etats-Unis d’imposer leurs intérêts dans les possessions coloniales de leurs alliés.
L’anticommunisme s’articulera à l’argument culturaliste pour justifier une défense « socialiste » de l’empire : les indigènes immatures pour l’indépendance sont de surcroît manipulables par les communistes de Moscou.
C’est la même image de l’indépendantiste comme ne pouvant être que « fanatique » qui conduit à considérer que « Nasser est le nouvel Hitler, Israël sa Tchécoslovaquie (15) ».
Ici aussi, comment ne pas penser aux discours socialistes sur « Israël, seule démocratie de la région », « sur l’obscurantisme du Hamas » ou encore sur « le danger iranien en Palestine ».
Nous ne pouvons pas clore ce chapitre sans rappeler ce que disait à l’époque François Mitterrand, autre figure idéologique du parti socialiste français. Alors ministre de l’intérieur, il déclara coup sur coup :
« En Algérie, la seule négociation, c’est la guerre » (5 novembre) ;
« L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne » (7 novembre) (16).
« Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ». C’est par ces mots que le président socialiste François Hollande annonce son soutien au gouvernement israélien trois jours après le début de l’attaque militaire contre Gaza qui a déjà fait alors 64 morts...
Beaucoup ont été à juste titre scandalisés, d’autres également nombreux ont été naïvement surpris. Une simple lecture de l’histoire du socialisme français suffit pourtant à saisir que la continuité idéologique du parti socialiste est sans faille sur cette question : le soutien au sionisme aujourd’hui plonge ses racines dans le colonialisme qui a marqué toute l’histoire du socialisme français. Pour illustrer ce propos, analysons l’approche du colonialisme des trois principales figures théoriques du socialisme français (2).
Sur les fonts baptismaux jaurésiens
Le parti socialiste a choisi l’année 2005 pour fêter son centenaire c’est-à-dire qu’il prend comme point de départ de son histoire le congrès de fondation de la SFIO de 1905. Ce faisant, il occulte la partie antérieure de l’histoire du socialisme français. La Section Française de l’Internationale Ouvrière est en effet créée par la fusion du Parti Socialiste Français dirigé par Jean Jaurès et du Parti Socialiste de France dirigé par Jules Guesde. Les deux leaders s’opposent pendant de longues années sur la question coloniale.
En prenant 1905 comme date de référence, c’est Jaurès, le partisan d’une colonisation « éclairée », qui est plébiscité et Guesde, l’anticolonialiste (3), qui est rejeté.
A la différence de Jaurès, Jules Guesde condamne en effet la colonisation comme système global de domination : « la colonisation c’est le vol, c’est le pillage, c’est le meurtre, ce sont les crimes commis contre de paisibles populations, pour les profits d’une poignée de capitalistes, avides de gains (4). »
Jaurès pour sa part ne dénonce pas la colonisation comme système. « Ces peuples sont des enfants » même s’ils sont « loin d’être sots », dit-il en 1884, à propos de peuples colonisés auxquels il convient d’apporter « quelques notions très simples de langue et d’histoire française, de commerce, de christianisme » pour que réussisse « l’œuvre difficile de conquête morale et d’assimilation (5) ».
Dix ans plus tard, lors du conflit franco-anglais de Fachoda en 1898, Jaurès défend « le droit certain de la France à s’ouvrir un débouché, de l’Afrique centrale vers le Nil (6) ».
De même, en 1903, il défend la thèse selon laquelle « l’occupation morale du Maroc par la France sera un prolongement de la généreuse politique arabe qu’il faut développer en Algérie (7) ».
Trois ans avant sa mort en 1911, il continue à défendre l’idée d’un accord sur le projet colonial articulé à un désaccord sur la méthode : « La civilisation européenne se répand et doit se répandre sur le continent noir. Je n’ai jamais contesté pour ma part la nécessité, l’idéal, la beauté de cette pénétration. Nous n’avons différé et nous ne différons, au Maroc ou ailleurs, que sur les méthodes, mais je ne jette pas un regard de dédain sur l’œuvre commencée. Je ne l’enveloppe pas d’un anathème sans nuance (8). »
Les thèses de Jaurès l’emportent définitivement au sein de la SFIO à partir de 1908. Les socialistes ne bougeront plus de cette position : la défense d’une colonisation « humanisée ». La même thèse coloniale reste un leitmotiv dans ce qu’ils appellent le « conflit israélo-palestinien ».
Le colonialisme culturaliste de Léon Blum
Léon Blum ne rompt pas avec l’idée de mission civilisatrice que défend Jaurès. En pleine guerre du Rif, alors que les troupes françaises sont en action contre le peuple marocain, il réaffirme à la chambre des députés la nécessité de « l’expansion de la pensée, de la civilisation française » et « le droit et même le devoir de ce qu’on appelle les races supérieures, revendiquant quelquefois pour elles un privilège quelque peu indu, d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture (9) ».
Comme Jules Ferry en 1885 (10), Léon Blum professe l’inégalité entre les peuples. Il ne s’agit certes pas pour lui d’une inégalité biologique mais d’une inégalité culturelle et de civilisation. La colonisation devient dans cette logique une œuvre d’émancipation en permettant le déclenchement de la très longue période de rattrapage du retard culturel et civilisationnel.
Dans l’approche blumiste, il n’existe aucune universalité du droit.
Les droits des indigènes doivent pour lui dépendre de leur degré de civilisation. Ce qui n’est pas sans rappeler certains discours contemporains sur l’intégration des Français issus de l’immigration, sur l’incompatibilité supposée de l’Islam avec la civilisation française et sa laïcité, sur l’intégration impossible des Roms en raison de leur culture, etc.
La notion « d’indigène évolué » est logiquement le centre de l’approche de Blum. Au pouvoir lors du Front Populaire, il initie en 1937 un projet de loi dit « Blum-Viollette » accordant à 21 000 indigènes sur six millions la citoyenneté française. Devant la pression des colons, il n’est même pas discuté au parlement.
Mais la contrepartie de la sollicitude envers les « indigènes évolués » est la « fermeté » vis-à-vis de ceux qui refusent la « civilisation française » et qui s’évertuent à réclamer l’indépendance. Alors qu’elle a participé aux combats contre les ligues fascistes, l’Etoile Nord-Africaine, organisation nationaliste algérienne, est dissoute en janvier 1937 (11) et son leader Messali Hadj est emprisonné.
En mars, c’est au tour du comité d’action marocaine d’être dissous. Dans les mois qui suivent, c’est la répression sanglante contre les révoltes populaires au Maroc et en Tunisie (12).
Ici aussi, la distinction binaire entre des « bons » et des « mauvais » n’est pas sans rappeler les propos actuels des socialistes sur le « Hamas » comme étant la cause de ce qu’ils appellent « l’interruption du processus de paix ».
Le colonialisme stratégique de Guy Mollet
La SFIO revient au pouvoir en 1956 avec la présidence de Guy Mollet. Il reste dans l’histoire celui qui demande les pouvoirs spéciaux en Algérie et les obtient par 455 voix, c’est-à-dire la quasi-unanimité, y compris les voix des députés communistes. Ces pouvoirs déclenchent ce qu’André Philip a dénommé le « crime de pacification (13) » c’est-à-dire la légalisation de la répression, de la torture et d’une guerre à grande échelle contre les civils au prétexte de lutter contre les « terroristes ».
Alain Savary, qui considère Guy Mollet comme un « camarade en République », explique comme suit le raisonnement du président du conseil : « (Il) était avant tout obsédé par une idée très en honneur dans le parti (…) qu’il fallait commencer par libérer les individus avant de libérer le pays. Des hommes et des femmes ont été marqués par cet argument : ne pas libérer le pays trop tôt de crainte de les livrer aux féodaux. (14) »
En 1956, nous en sommes encore à la vieille thèse de la mission civilisatrice. Le colonisé, l’indigène, l’arabe, le musulman, etc., est perçu comme porteur de féodalité et de barbarie et il revient au colonisateur de l’éduquer et d’évaluer sa capacité à vivre libre.
Mais, à cette première causalité culturaliste commune à Jaurès et Blum, s’en ajoute désormais une seconde de nature stratégique. Dans le monde de l’après seconde guerre mondiale, Guy Mollet est hanté par la peur de la perte de l’empire colonial auquel il rattache la « grandeur française ».
Cet empire est fragilisé par le nouveau rapport de forces issu de la seconde guerre mondiale, par la victoire vietnamienne à Dien Bien Phu, par Bandung mais aussi par les velléités des Etats-Unis d’imposer leurs intérêts dans les possessions coloniales de leurs alliés.
L’anticommunisme s’articulera à l’argument culturaliste pour justifier une défense « socialiste » de l’empire : les indigènes immatures pour l’indépendance sont de surcroît manipulables par les communistes de Moscou.
C’est la même image de l’indépendantiste comme ne pouvant être que « fanatique » qui conduit à considérer que « Nasser est le nouvel Hitler, Israël sa Tchécoslovaquie (15) ».
Ici aussi, comment ne pas penser aux discours socialistes sur « Israël, seule démocratie de la région », « sur l’obscurantisme du Hamas » ou encore sur « le danger iranien en Palestine ».
Nous ne pouvons pas clore ce chapitre sans rappeler ce que disait à l’époque François Mitterrand, autre figure idéologique du parti socialiste français. Alors ministre de l’intérieur, il déclara coup sur coup :
« En Algérie, la seule négociation, c’est la guerre » (5 novembre) ;
« L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne » (7 novembre) (16).
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