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"Staline avançait sans stratégie

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    Lauréate du Pulitzer pour "Goulag", l'historienne et journaliste américaine Anne Applebaum décrypte dans "Rideau de fer" les arcanes du système communiste en Europe de l'Est. Entretien.


    L'Obs « Rideau de fer », c'est la suite de «Goulag. Une histoire»?

    Anne Applebaum Ce livre s'inscrit dans la continuité de mon travail sur le communisme, l'ex-URSS et l'Europe de l'Est J'ai utilisé la même méthode que pour «Goulag», en recherchant des archives inédites et en rencontrant de nombreux témoins. J'ai travaillé pendant six ans.

    Ma volonté était de montrer véritablement le système communiste dans sa réalité, dans son épaisseur quotidienne, comment cela fonctionnait et les gens qu'il impliquait. Je ne me suis pas limitée au langage infléchi par la propagande, au jargon, à l'idéologie distillée dans les esprits, j'ai voulu comprendre le totalitarisme réel et les gens dans ces différents pays mis sous la coupe de Staline.

    Pourquoi, sur les huit pays occupés par l'Armée rouge en 1945, avoir choisi l'Allemagne, la Hongrie et la Pologne?

    Parce que ce sont trois observatoires différents et complémentaires par leurs histoires respectives même s'ils ont une mémoire communiste commune. L'Allemagne a participé au nazisme, la Pologne s'y est opposée, et la Hongrie fut entre les deux. Les trois ont subi le même système, mais leur expérience de la guerre est différente, tout comme leur façon de vivre avec le communisme. Je fais des incursions en Tchécoslovaquie, mais tout reste connecté puisque tout remonte à Moscou.

    Le rideau de fer s'est-il déchiré en 1953, après la mort de Staline?

    Non. Il a duré jusqu'en 1989. C'est à l'intérieur des différents pays que les choses ont évolué. Cela a profondément modelé les sociétés. A la mort de Staline, les Russes ont senti que les peuples espéraient un changement, mais il était indispensable pour eux d'en garder le contrôle. Ils ont mis en place des ersatz d'élections, des façades démocratiques avec des partis nationaux qui étaient tout sauf libres en changeant à chaque fois de tactique jusqu'à l'abandon du pouvoir avec la chute du mur de Berlin.

    Staline avait-il un plan ?

    Non. Il avançait sans stratégie puisqu'il en adoptait à chaque fois des différentes. Dans tous les pays il n'a miné que les institutions qu'il jugeait nécessaire de détruire pour conserver le pouvoir. C'est d'ailleurs important pour comprendre Poutine aujourd'hui.

    Vous assimilez Poutine à Staline ?

    Ce qui se passe en Ukraine aujourd'hui est un extraordinaire moment de déjà-vu. Du KGB au FSB [services secrets russes actuels, NDLR],c'est une histoire qui se répète. Ce n'est pas la même idéologie, mais les méthodes sont proches. Il n'y a pas de stratégie globale, mais des vues sur l'Europe. Poutine est l'héritier de ces techniques-là. D'ailleurs il dit: «Je suis un tchékiste.»

    La présence de l'Union européenne constitue-t-elle un rempart contre ces vues expansionnistes?

    Depuis vingt-cinq ans, c'est une garantie de paix. L'existence de la «Nouvelle-Russie» (Novorossia), le pays inconnu avec un drapeau auquel se sont référées les troupes russes en franchissant les frontières ukrainiennes, va être difficile à défendre si l'Union européenne s'y oppose.


    Peut-on comparer nazisme et communisme ?

    Bien sûr, on le doit, ne serait-ce que pour montrer les différences. Staline a une théorie du pouvoir. Le totalitarisme qu'il met en place passe par le sport, la culture, les médias, et il installe des affidés communistes formés à Moscou dans tous ces secteurs. Il considère qu'il est possible de changer les mentalités, d'influer sur l'esprit humain.

    Hitler veut agrandir son espace vital et éliminer les inadaptés. Il ne souhaite pas la transformation de la société. Staline utilise le langage de l'utopie, pas Hitler. L'internationalisme se veut ce langage commun. Il opère sur plusieurs niveaux pour faire croire que le monde pourrait être meilleur. Il veut parachever le communisme au travers du langage. J'explique pourquoi les gens ont accepté de collaborer, à contre-coeur ou pas.

    J'ai fait la comparaison entre le nazisme et le communisme dans «Goulag». Evidemment les systèmes sont dissemblables. Les nazis veulent conquérir un territoire, les communistes, contrôler les cerveaux. En Pologne et en Ukraine, les communistes ont pourtant agi comme les nazis. Ce n'est pas vrai pour d'autres parties de ce que j'appelle l'Europe orientale. Mais là c'est flagrant.

    La famine en Ukraine durant la Grande Terreur, c'est le même plan que les nazis. En fi n de compte, c'est la Seconde Guerre mondiale qui a sauvé le stalinisme et Staline en le plaçant du côté des vainqueurs.

    Berlin en 1953, Budapest en 1956, Prague en 1968, Gdansk en 1981. Il y a eu des révoltes contre Moscou derrière ce rideau de fer...

    Oui, mais réprimées violemment, avec des chars. Après 1956, il n'y avait plus de vrais communistes en Pologne. Les sociétés ont tenté de résister à leur manière, chacune selon sa spécificité. D'ailleurs la plupart des partis communistes d'Europe de l'Ouest ont vu beaucoup de leurs militants partir. Ce fut le cas en France.

    Y a-t-il une nostalgie du communisme dans ces pays ?

    En Pologne et en Hongrie, vous ne trouverez personne pour défendre ce système. En Allemagne, en revanche, il existe une nostalgie de l'Etat protecteur, d'une RDA où se manifestait une forme de solidarité entre les citoyens.

    Malgré le système policier ?

    Evidemment. Mais vous trouvez dans l'ex-RDA des personnes qui défendent la Stasi. La police secrète, et notamment le NKVD, c'est fondamental pour la prise de contrôle sur les gens. C'est la colonne vertébrale du système.

    C'est elle qui suscite cette violence ?

    Oui, mais pas la violence générale comme dans le nazisme. La violence mise en place parStaline visait avant tout l'élite, ceux qui pouvaient devenir des dirigeants, même s'il y eut bien sûr une terreur de masse. Il faut éviter le manichéisme où il y aurait les bons d'un côté et les méchants de l'autre. Cela ne sert à rien. Ce n'est pas comme cela que l'on comprendra comment les citoyens ont été manipulés et les institutions ruinées.

    C'est facile de dire aujourd'hui que ces gens étaient mauvais. Mais ils pensaient que le communisme était là pour toujours et certains ont vraiment cru à cette doctrine. C'est pourquoi tant de monde a participé pendant tant d'années à ce système. Aux Etats-Unis il y avait une histoire un peu conventionnelle du communisme à côté d'une histoire dite révisionniste qui considérait que Moscou ne contrôlait pas tous ces pays, que les polices locales avaient un rôle déterminant et qu'on ne pouvait donc parler de totalitarisme. Depuis l'ouverture des archives, les choses sont clarifiées.

    Roosevelt aurait-il pu éviter cette souffrance à l'Europe ?

    En 1945, il était trop tard. Rien ne pouvait arrêter Staline. La conférence de Yalta en est la démonstration. Roosevelt a considéré qu'il ne pouvait faire machine arrière. Ce fut au prix de la guerre froide.

    Que reste-t-il de ce rideau de fer dans les esprits aujourd'hui ?

    En Pologne, après tant d'années d'un système économique absurde, le pays a repris confiance et il n'est pas en récession. D'une manière générale, je dirais que tous ces pays asservis par Staline puis rendus passifs par des années de dictature ont gardé une grande méfiance pour les grands systèmes et une paranoïa envers la politique. La théorie du complot s'y porte bien. Il y a eu tellement de mensonges et de crimes pendant plus de quarante ans. Pour reconstruire une nation, les citoyens ont besoin de comprendre comment elle a été détruite.

    l'OBS
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