Les pratiques historiographiques dans l’Algérie post-indépendante et leurs relations aux traditions historiographiques coloniale et nationaliste*
En Algérie les pratiques historiographiques ont été longtemps dominées, après l’indépendance du pays acquise en 1962, par la politique officielle « d’Ecriture et de Réécriture de l’histoire ».
Nous tenterons ici d’étudier les objectifs visés par cette orientation et son impact sur la production des différentes institutions spécialisées et autres supports affrétés à la recherche en histoire. Il serait intéressant aussi d’aborder les relations qu’entretiennent ces pratiques aux traditions historiographiques antérieures à l’indépendance du pays, notamment celles coloniale et nationaliste, tout en restant attentifs aux contre-tendances qui ont pu marquer la société algérienne depuis notamment les changements politiques intervenus dans le pays après les Evénements d’Octobre 1988.
I. Les principaux supports de la pratique historiographique
Nous ne pouvons traiter du fonctionnement de la recherche historiographique sans faire un point quant aux supports institutionnels qui sont les siens. Nous nous intéresserons ici à la politique des archives nationales puis aux universités et centres de recherche et enfin à l’état des lieux concernant les revues spécialisées ou accordant un intérêt particulier à la discipline.
1. La politique des archives nationales
La question des sources et des archives est essentielle à poser pour permettre le travail de l’historien. Leur préservation semble relever d’organismes tels la Bibliothèque Nationale, le Centre de Documentation Algérien, et surtout les Fonds des Archives Nationales. C’est ainsi que ce dernier, institué en juin 1971, s’est vu pourvoir dans les années 1980 d’un Centre National des Archives, édifice impressionnant et fonctionnel construit à Alger (en même temps que le nouveau siège de la Bibliothèque Nationale), et qui bénéficie d’annexes au niveau des 48 wilayate qui structurent administrativement le pays.
Des stages et séminaires périodiques sont organisés pour recycler le personnel chargé de l’archivage au niveau des différentes administrations, tandis qu’une formation spécifique est dispensée dans les instituts de bibliothéconomie des principales universités du pays.
Des relations ont même été établies avec des institutions chargées de la conservation des archives dans les pays étrangers et un « Colloque international sur les Archives concernant l’histoire de l’Algérie et conservées à l’étranger », a même pu se tenir à Alger (du 16 au 19 février 1998). Selon les organisateurs, « l’idéal serait en fait, grâce à ce colloque, de collecter des reproductions de fonds ou collections d’Archives, notamment les reproductions de Traités, Accords et Pactes internationaux signés par l’Algérie, des correspondances émanant des autorités algériennes des époques les plus lointaines, par exemple celle des dignitaires des Royaumes berbères du Moyen-âge musulman, des deys et des beys qui se sont succédés au niveau central et provincial durant la période moderne (XVIe-XIXe siècle), des chefs politiques et militaires de la Résistance algérienne à l’invasion coloniale, des dirigeants du Mouvement national (1919-1954), et de la Guerre de libération nationale, ainsi que des rapports et correspondances des représentations diplomatiques et des chancelleries étrangères accréditées en Algérie depuis le XVe siècle ».
Il s’agirait en quelque sorte de déceler des traces attestant l’existence d’une continuité historique et étatique remontant au moins au Moyen-âge. On peut supposer par ailleurs que, si la période antique n’est pas explicitement signalée, c’est sans doute moins par souci de faire l’impasse sur le passé berbère, punique et romain et plus généralement de la période pré-islamique (puisqu’il est fait référence aux royaumes berbères du Moyen Âge musulman), que par une prise en compte de la rareté des archives non encore traitées par l’historien et datant de l’antiquité. Ceci nous donne cependant un panorama des centres d’intérêts vers lesquels l’Etat veut orienter l’historiographie algérienne, mais nous y reviendrons.
En tout état de cause, ce sont les archives datant de la période coloniale qui semblent constituer l’enjeu le plus important, autant pour des raisons de légitimation de l’Etat national (qui succède directement à l’ère coloniale), que par la quantité impressionnante des documents datant de cette période et retenus par l’Etat français.
2. Les universités et centres de recherche
La recherche historiographique est bien entendu présente au sein de l’institution universitaire. Il existe notamment des instituts d’histoire dans les principales universités du pays ; c’est le cas notamment pour Alger, Oran et Constantine.
La recherche y est menée par des étudiants préparant des thèses de magister (3e cycle) ou de doctorat, ainsi que par des enseignants-chercheurs intervenant dans des séminaires ou au sein d’équipes de recherche. L’intérêt pour tout ce qui a rapport au passé et à l’historiographie au sens large ne se cantonne cependant pas aux instituts d’histoire, mais touche aussi d’autres formations universitaires : archéologie, sciences politiques, droit et sciences économiques, sociologie, lettres, culture populaire (Tlemcen et Tizi-Ouzou), civilisation islamique (notamment dans le cadre de l’Université des Sciences Islamiques de Constantine), et même en administration (Ecole Nationale d’Administration).
Parmi les centres de recherche qui s’intéressent à la discipline, on peut citer pour Alger, le cas du Centre National des Etudes Historiques (C.N.E.H.) créé en 1971 et rattaché d’abord à la Présidence du Conseil, puis au Ministère de la Culture. Le C.N.E.H. va d’ailleurs en 1984 intégrer en son sein les missions du Centre de Recherches Anthropologiques, Préhistoriques et Ethnographiques (C.R.A.P.E., fondé en 1964, pour remplacer le C.A.R.A.P.E. qui avait été créé en 1955), puis céder la place en 1993 à un Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques (C.N.R.P.A.H.). En 1995, il a par ailleurs été institué un Centre National des Etudes et Recherches sur le Mouvement National et la Révolution du Premier Novembre 1954 (C.N.E.R.M.N.R. 54), dépendant du Ministère des Moudjahidine.
Paradoxalement le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, dont dépendent les universités et de nombreux centres de recherche, n’a sous sa tutelle aucun centre spécifiquement orienté vers la recherche historiographique. Certaines de ses institutions (en plus des universités) accordent cependant un intérêt à l’histoire, et c’est le cas pour le Centre de Recherche en Economie Appliquée et Développement (C.R.E.A.D.), et pour le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (C.R.A.S.C.). L’Office National de la Recherche scientifique (O.N.R.S.), dissous en 1984, à vocation pluridisciplinaire, s’était en son temps ouvert aussi à l’historiographie.
En Algérie les pratiques historiographiques ont été longtemps dominées, après l’indépendance du pays acquise en 1962, par la politique officielle « d’Ecriture et de Réécriture de l’histoire ».
Nous tenterons ici d’étudier les objectifs visés par cette orientation et son impact sur la production des différentes institutions spécialisées et autres supports affrétés à la recherche en histoire. Il serait intéressant aussi d’aborder les relations qu’entretiennent ces pratiques aux traditions historiographiques antérieures à l’indépendance du pays, notamment celles coloniale et nationaliste, tout en restant attentifs aux contre-tendances qui ont pu marquer la société algérienne depuis notamment les changements politiques intervenus dans le pays après les Evénements d’Octobre 1988.
I. Les principaux supports de la pratique historiographique
Nous ne pouvons traiter du fonctionnement de la recherche historiographique sans faire un point quant aux supports institutionnels qui sont les siens. Nous nous intéresserons ici à la politique des archives nationales puis aux universités et centres de recherche et enfin à l’état des lieux concernant les revues spécialisées ou accordant un intérêt particulier à la discipline.
1. La politique des archives nationales
La question des sources et des archives est essentielle à poser pour permettre le travail de l’historien. Leur préservation semble relever d’organismes tels la Bibliothèque Nationale, le Centre de Documentation Algérien, et surtout les Fonds des Archives Nationales. C’est ainsi que ce dernier, institué en juin 1971, s’est vu pourvoir dans les années 1980 d’un Centre National des Archives, édifice impressionnant et fonctionnel construit à Alger (en même temps que le nouveau siège de la Bibliothèque Nationale), et qui bénéficie d’annexes au niveau des 48 wilayate qui structurent administrativement le pays.
Des stages et séminaires périodiques sont organisés pour recycler le personnel chargé de l’archivage au niveau des différentes administrations, tandis qu’une formation spécifique est dispensée dans les instituts de bibliothéconomie des principales universités du pays.
Des relations ont même été établies avec des institutions chargées de la conservation des archives dans les pays étrangers et un « Colloque international sur les Archives concernant l’histoire de l’Algérie et conservées à l’étranger », a même pu se tenir à Alger (du 16 au 19 février 1998). Selon les organisateurs, « l’idéal serait en fait, grâce à ce colloque, de collecter des reproductions de fonds ou collections d’Archives, notamment les reproductions de Traités, Accords et Pactes internationaux signés par l’Algérie, des correspondances émanant des autorités algériennes des époques les plus lointaines, par exemple celle des dignitaires des Royaumes berbères du Moyen-âge musulman, des deys et des beys qui se sont succédés au niveau central et provincial durant la période moderne (XVIe-XIXe siècle), des chefs politiques et militaires de la Résistance algérienne à l’invasion coloniale, des dirigeants du Mouvement national (1919-1954), et de la Guerre de libération nationale, ainsi que des rapports et correspondances des représentations diplomatiques et des chancelleries étrangères accréditées en Algérie depuis le XVe siècle ».
Il s’agirait en quelque sorte de déceler des traces attestant l’existence d’une continuité historique et étatique remontant au moins au Moyen-âge. On peut supposer par ailleurs que, si la période antique n’est pas explicitement signalée, c’est sans doute moins par souci de faire l’impasse sur le passé berbère, punique et romain et plus généralement de la période pré-islamique (puisqu’il est fait référence aux royaumes berbères du Moyen Âge musulman), que par une prise en compte de la rareté des archives non encore traitées par l’historien et datant de l’antiquité. Ceci nous donne cependant un panorama des centres d’intérêts vers lesquels l’Etat veut orienter l’historiographie algérienne, mais nous y reviendrons.
En tout état de cause, ce sont les archives datant de la période coloniale qui semblent constituer l’enjeu le plus important, autant pour des raisons de légitimation de l’Etat national (qui succède directement à l’ère coloniale), que par la quantité impressionnante des documents datant de cette période et retenus par l’Etat français.
2. Les universités et centres de recherche
La recherche historiographique est bien entendu présente au sein de l’institution universitaire. Il existe notamment des instituts d’histoire dans les principales universités du pays ; c’est le cas notamment pour Alger, Oran et Constantine.
La recherche y est menée par des étudiants préparant des thèses de magister (3e cycle) ou de doctorat, ainsi que par des enseignants-chercheurs intervenant dans des séminaires ou au sein d’équipes de recherche. L’intérêt pour tout ce qui a rapport au passé et à l’historiographie au sens large ne se cantonne cependant pas aux instituts d’histoire, mais touche aussi d’autres formations universitaires : archéologie, sciences politiques, droit et sciences économiques, sociologie, lettres, culture populaire (Tlemcen et Tizi-Ouzou), civilisation islamique (notamment dans le cadre de l’Université des Sciences Islamiques de Constantine), et même en administration (Ecole Nationale d’Administration).
Parmi les centres de recherche qui s’intéressent à la discipline, on peut citer pour Alger, le cas du Centre National des Etudes Historiques (C.N.E.H.) créé en 1971 et rattaché d’abord à la Présidence du Conseil, puis au Ministère de la Culture. Le C.N.E.H. va d’ailleurs en 1984 intégrer en son sein les missions du Centre de Recherches Anthropologiques, Préhistoriques et Ethnographiques (C.R.A.P.E., fondé en 1964, pour remplacer le C.A.R.A.P.E. qui avait été créé en 1955), puis céder la place en 1993 à un Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques (C.N.R.P.A.H.). En 1995, il a par ailleurs été institué un Centre National des Etudes et Recherches sur le Mouvement National et la Révolution du Premier Novembre 1954 (C.N.E.R.M.N.R. 54), dépendant du Ministère des Moudjahidine.
Paradoxalement le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, dont dépendent les universités et de nombreux centres de recherche, n’a sous sa tutelle aucun centre spécifiquement orienté vers la recherche historiographique. Certaines de ses institutions (en plus des universités) accordent cependant un intérêt à l’histoire, et c’est le cas pour le Centre de Recherche en Economie Appliquée et Développement (C.R.E.A.D.), et pour le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (C.R.A.S.C.). L’Office National de la Recherche scientifique (O.N.R.S.), dissous en 1984, à vocation pluridisciplinaire, s’était en son temps ouvert aussi à l’historiographie.
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