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Immigration et délinquance : Démanteler l’usine à préjugés

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  • Immigration et délinquance : Démanteler l’usine à préjugés

    Dans cette enquête rigoureuse, Christophe Nick et John Paul Lepers montre, chiffres à l’appui, qu’il n’existe aucun lien entre délinquance et immigration (mardi 25 novembre, à partir 22 h 40 sur France 2)

    Toujours prompt à fourbir ses armes contre le prêt-à-penser, le réalisateur et producteur (Yami2) Christophe Nick dégaine, sous le titre Immigration et délinquance, une enquête qui dérange, un documentaire en deux parties (2 × 80 minutes), réalisé par Gilles Cayatte et diffusé dans la case « Infrarouge », qui devrait faire parler de lui. Sauf à vouloir, par une prudence toute jésuitique, l’évoquer à mots feutrés. Ou détourner le regard d’une démonstration claire et éminemment rigoureuse qui met à mal nombre d’idées reçues. A commencer par celle, diffusée par Eric Zemmour ou Claude Guéant, qui lie la criminalité à l’immigration, voire établit cette dernière comme la cause principale de la délinquance.

    Il est vrai que voir démonter point par point, statistiques à l’appui, cette équation et les mécanismes de ce préjugé qui alimente le sentiment d’insécurité et les discriminations oblige le spectateur à s’extraire d’un certain confort de pensée. Une paresse intellectuelle à laquelle ne se résolvent ni Christophe Nick, qui, pendant deux ans, a entrepris un travail de bénédictin pour compiler, croiser et calculer une masse de donnés, ni John Paul Lepers, qui mène ici l’enquête sur le terrain sous la forme d’un road movie, d’autant mieux venu qu’il permet d’alléger une démonstration extrêmement chiffrée et de l’incarner au travers de rencontres et de témoignages. Une démarche dans laquelle il n’hésite pas à s’impliquer lui-même.
    Exemples et contre-exemples

    En effet, dès l’abord, le journaliste, qui réside en banlieue, confesse supporter de moins en moins les dégradations, les actes d’incivilité et l’agressivité des jeunes. Surtout, victime d’une tentative de vol de scooter par « un groupe de jeunes Noirs et Maghrébins qui l’a frappé », il s’est surpris à faire sien le discours de certains politiques pour qui immigration est synonyme de délinquance. Ou presque. Car avant d’épouser cette thèse, John Paul Lepers a voulu la confronter à la réalité des chiffres. Pour ce faire, il a croisé ceux du recensement de 2007 établis par l’Insee et ceux du ministère de l’intérieur sur la criminalité datant de 2009.

    Si Christophe Nick nous fait grâce ici de ses calculs de corrélation, il ne cache pas en revanche certains des tâtonnements méthodologiques, notamment sur le choix des villes cibles. Comme, du reste, les doutes et interrogations de John Paul Lepers. Si Aubervilliers, avec ses 40 % d’immigrés et 127 délits pour mille habitants – soit deux fois plus que la moyenne nationale, de 56,39 ‰ –, confirme le préjugé, en revanche Beausoleil (Alpes-Maritimes) et Oyonnax (Ain) le contredisent largement.

    Passé le petit jeu des exemples et contre-exemples, l’enquête prend véritablement son intérêt quand le journaliste change d’approche pour se lancer dans l’étude comparative de deux villes – Caen et Montbéliard (Doubs) –, en tous points semblables par leur taille, leur structure d’agglomération, leur situation économique et leur taux de délinquance élevé (73 ‰), qui se concentre de manière similaire au centre-ville. Seule différence – de taille –, le nombre d’immigrés : 5 % à Caen, contre 30 % à Montbéliard. Ayant mis rapidement en évidence, une fois encore, l’inanité du lien immigration-délinquance, John Paul Lepers détaille alors les infractions commises dans les deux villes pour tenter de cerner l’existence d’un particularisme « ethnique » des crimes et délits commis.
    Des nomenclatures discutables

    Il est aidé dans sa tâche par le sociologue Laurent Mucchielli, qui, à partir de la nomenclature discutable des crimes et délits établie par la police, tord le cou aux clichés qui nourrissent les fantasmes et font le lit des discours sécuritaires. Qu’il s’agisse du nombre d’homicides, en constante régression, soutient M. Mucchielli, des crimes sexuels et des tournantes, qui ne sont pas l’apanage des « quartiers », ou encore de l’usage des drogues. A cet égard, les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) en disent long sur les statistiques de la police et les méthodes pour augmenter leur taux d’élucidation, qui voient le premier département français en termes d’immigration, la Seine-Saint-Denis, se placer en tête des arrestations pour usage de cannabis, mais au 42e rang pour la consommation. Très loin derrière l’Ardèche, quatrième, et 53e en matière de d’arrestation…

    Si certains spectateurs conservent des doutes devant les arguments déployés par Christophe Nick et John Paul Lepers pour combattre la doxa sécuritaire, on ne saurait trop leur conseiller de garder les yeux grands ouverts, malgré l’heure tardive de diffusion, devant le second volet du documentaire, intitulé La Fabrique du préjugé.

    En effet, renouant avec la psychologie sociale dont il usa naguère dans le très polémique Jeu de la mort (2005), le réalisateur et producteur entreprend avec force didactisme de décortiquer les mécanismes, les jeux de pouvoir et de discrimination.

    Conduite par John Paul Lepers et Georges Schadron, professeur de psychologie sociale à l’université de Nice, cette « leçon magistrale », illustrée par des expériences menées notamment, dans des classes de primaire et riche d’enseignements quant à la précocité des stéréotypes (voleur = étranger), se révèle particulièrement instructive sur les ressorts de la stigmatisation amplifiée par certains médias et les effets pervers qu’elle engendre en matière d’éducation et d’emploi. Dès lors, « comment étudier, travailler, quand le groupe dominant vous ramène au stéréotype du groupe dominé ? », s’interroge John Paul Lepers. Comment également éviter des drames tels que celui de Clichy-sous-Bois en 2005 qui se solda par la mort de deux adolescents poursuivis par la police ? Comment lutter contre la fabrique pernicieuse du préjugé ?

    Plus que des éléments de réponse, Christophe Nick livre, à travers ces deux films d’utilité publique, des armes pour s’en défendre. Reste à chacun à s’en saisir.

    « Immigration et délinquance, l’enquête qui dérange » et « La Fabrique du préjugé », de Christophe Nick, Gilles Cayatte et John Paul Lepers (France, 2014, 2 × 80 min), mardi 25 novembre, à partir 22 h 40 sur France 2.

    Christine Rousseau
    Journaliste au Monde

    Dernière modification par zek, 25 novembre 2014, 23h35.
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