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En prétendant pouvoir tout acheter, l’argent corrompt et nous avilit

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  • En prétendant pouvoir tout acheter, l’argent corrompt et nous avilit

    "Total renvoyé en correctionnelle pour corruption en Iran", "Portugal : Socrates inculpé pour corruption"," Espagne : scandales de corruption à tous les étages" Matches truqués et corruption : quelles sanctions possibles ?" "Affaire Tapie-Crédit Lyonnais, vingt ans de procédure, pour rien " . " Le milliardaire russe Sergueï Pougatchev recherché par Interpol pour détournements de fonds et escroquerie à grande échelle". Ce sont quelques uns des titres de la presse de ces dernières 48 heures. Pas un secteur de l'économie et de la société n'est à l'abri. Le coût total de la corruption pour la communauté européenne s'élèverait à 120 milliards par an ( lien ). C'est bien loin du mini-plan de relance de l'économie de Juncker doté au départ de 21 milliards d'euros et qui par on ne sait quel miracle devront se multiplier par 15 au cours des deux prochaines années.

    Mais toutes ces affaires qui déferlent quotidiennement sur nos têtes et qui permettent aux puissants financièrement d'obtenir de nouveaux marchés, des passe-droits, de jouir de privilèges indus, ou d'influencer la justice ne sont que la partie immergée de pratiques qui lentement se sont banalisées et atteignent tous les domaines de notre quotidien, altérant sérieusement les relations humaines et sociales, dégradant la morale et l'éthique et réduisant l'action humaine, bonne ou mauvaise, à une simple marchandise que l'on peut acheter ou en négocier son prix.

    Le livre de Michael J.Sandel " Ce que l'argent ne saurait acheter" (1) aborde cette "mise à l'encan" généralisée de tous nos faits et gestes avec le triomphe incontestable à l'échelle de la planète du Grand Marché. Cet article, avec les exemples cités, fait suite à sa lecture.

    TOUT EST A VENDRE, TOUT SE NEGOCIE, TOUT S'ACHETE.

    De nos jours dans le grand supermarché de la vie humaine, tout est à vendre :
    • une cellule de prison améliorée aux Etats-unis : 82 dollars la nuit,
    • l'accès à la voie prioritaire normalement réservée aux véhicules à plusieurs passages à Minneapolis : 8 dollars,
    • le recours à une mère porteuse indienne : 6250 dollars,
    • le droit d'immigrer aux Etats-unis : 500 000 dollars d'investissement et création de 10 emplois dans une région frappée par le chômage,
    • le droit d'abattre un rhinocéros noir menacé d'extinction en Afrique du Sud : 150 000 dollars,
    • le numéro du téléphone portable de votre médecin aux USA, pour des appels prioritaires : 15000 dollars par an,
    • le droit d'émettre une tonne de carbone dans l'atmosphère européen : 18 euros.
    • etc.. (1) page 31-32

    Ainsi si vous en avez les moyens, vous pouvez négocier le droit d'enfreindre la législation en vigueur, jouir d'un privilège, à un prix qui est censé dépendre des préjudices que votre action ne manque pas de faire sur le bien commun. Il en est ainsi par exemple du droit à polluer ou du droit à tuer une espèce "protégée".
    Si les nantis peuvent s'offrir ses atteintes au droit commun, les précaires peuvent de leur côté arrondir leurs fins de mois difficiles :
    • En louant leur front ou une autre partie de leur corps à un annonceur, 777 dollars pour la compagnie Air New Zealand avec le slogan suivant :" Besoin de changement ? partez en Nouvelle-Zélande " tatoué sur le corps.
    • Servir de cobaye humain à une firme pharmaceutique : 7500 dollars,
    • Patienter toute une nuit dans une file d'attente, devant le Capitole à Washington, pour permettre à un lobbyiste d'assister à une audience parlementaire, c'est 15 à 20 dollars l'heure,
    • lire un livre à Dallas rapporte 2 dollars si vous êtes "classé" mauvais élève de CE1.
    • parier sur la mort prochaine d'un individu en rachetant sa police d'assurance-vie, acquitter les primes annuelles et toucher le capital décès à la mort est un sport national aux Etats-unis dont le chiffre d'affaire avoisine les 30 milliards de dollars.
    • etc...(1) page 33-34

    Pour certains économistes utilitaristes, les riches comme les pauvres trouveraient leur compte dans ce grand bazar de l'humanité, cette grande braderie de l'espèce humaine. Comme l'économie basée sur le commerce des objets et biens matériels stagne, la marchandisation des comportements humains ne ferait que doper l'économie et booster ainsi le PIB par habitant des nations. En ces temps de crise qui trouverait à redire à qui par ce moyen crée de la richesse tout en étant censé faire notre bonheur individuel ?. Mais alors que les laudateurs du marché nous expliquent que celui-ci ne doit en aucun cas altérer les biens échangés qu'en est-il de ces comportements humains lorsque ceux-ci sont réduits à quelques unités monétaires ?
    Dernière modification par Gandhi, 28 novembre 2014, 10h54.
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

  • #2
    suite et fin

    COMMENT LE MARCHE EVINCE L'INTERET GENERAL ET L'ETHIQUE

    Peut-on vendre le droit de faire du tord aux autres ? Acheter un faux témoignage se fait toujours aux dépens de la victime. L'achat d'un accès prioritaire à un spectacle gratuit se fait aussi aux dépens de l'infortuné qui doit faire la queue pour avoir accès aux places disponibles. Acquérir le droit à polluer ou à tuer une espèce rare pour quelques dollars revient à déprécier l'action publique et les devoirs civiques en matière de protection de l'environnement et des espèces. Ce commerce pernicieux tout en renforçant les inégalités dues au pouvoir de l'argent, nuit aussi à l'intérêt général en autorisant d'une part des comportements néfastes mais aussi en démotivant ceux qui n'ont pas le pouvoir de se dispenser d'une obligation comme celle par exemple de ne pas polluer ou de ne pas circuler individuellement dans un véhicule automobile.

    L'argent peut-il permettre de corriger certains comportements ou être un encouragement à engager une action civique ? Certains, dans le domaine de l'éducation en particulier, le pensent. Une expérience imaginée par deux économistes a permis de déterminer si l'instauration de stimulants financiers influait ou non les motivations de lycéens engagés dans un porte à porte lors de la journée du don. Répartis en trois groupes , et après avoir motivé le premier en insistant sur l'importance de la mission, avec le même discours, ils ont promis au second une récompense de 1 % de la valeur des dons et au troisième un bonus de 10%. Le groupe qui a collecté le plus de dons a été le premier. Le troisième, mieux rémunéré a fait une meilleure collecte que le second. L'incitation financière, seulement lorsqu'elle existe, a réduit une activité d'intérêt général en un travail rémunéré où le gain d'une commission, l'a emporté sur l'accomplissement d'un devoir civique.Dans ce cas pour être efficace il a fallu que la commission soit suffisamment élevée pour motiver les troupes qui ont perdu tout le sens éthique de leur action ce qui explique à contrario pourquoi le groupe le plus mal rémunéré, a manifesté aussi peu d'enthousiasme dans sa mission.

    Un autre exemple de la corruption des comportements par l'argent et le traitement des retards des parents à venir chercher leurs enfants à l'école ou à la crèche ce qui empêche de libérer le personnel et oblige la collectivité à payer des heures supplémentaires. L'amende parait a priori plus efficace qu'un discours culpabilisateur. Mais dans beaucoup de situations où les parents ont un pouvoir d'achat suffisant, le montant de la contravention est confondu avec le prix d'un service rendu et au lieu d'être vécue comme une sanction morale, l'amende est réduite à un vulgaire échange marchand qui peu à peu imposera le retard comme une norme faisant fit des conditions de travail des employés.

    Nos sociétés basées sur l'argent, en monétisant tous les échanges, libèrent de toute obligation, autre que celle de payer la somme due, celui qui achète un bien ou un service. Le client s'approprie le bien, il est libre de son usage ou de mon mésusage voire de sa destruction. Personne ne peut lui en tenir grief puisqu'il en est devenu l'unique propriétaire. L'acte d'achat est quasiment instantané, le lien entre le vendeur et l'acheteur est aussitôt rompu, une fois le paiement effectué. Il en de même dans l'achat d'un droit ou d'un privilège, elle libère celui qui par son argent enfreint la loi de toute culpabilité et de toute obligation envers la communauté.
    Noël approche et le rituel des cadeaux va se transformer en un indécent commerce. Ce moment où l'on témoigne affection et amitié qui requiert d'y consacrer du temps et de l'attention s'est transformé au fil du temps. Il y eut les présents confectionnés par un être humain pour un être aimé, choisis en fonction de la personnalité de chacun d'eux. Chacun des deux s'y reconnaissant, il était unique, on ne pouvait que l'accueillir avec bonheur et on se devait d'en prendre soin car il était rempli de signifiants pour les deux protagonistes. Peu à peu le don de présents confectionnés s'est transformé en l'achat d' objets standardisés fabriqués on ne sait où dans des conditions que l'on ne veut pas connaître, dont le choix est guidé par les seuls effets d'un marketing mondialisé. En offrant, cet objet acquis grâce à la magie d'une carte bancaire, l'acheteur se libère de toute autre obligation. En s'appropriant ce type de présent on sait aussi que l'on est dispensé de tout égard envers celui qui donne et en conséquence, on est libre du destin à donner à cet objet dénué de toute signification. Dès le lendemain des fêtes on peut le revendre sur internet, le refiler à son meilleur ami, voire le mettre à la poubelle. Comme si cela ne suffisait pas, comme les économistes se foutent de la dimension expressive des présents, ils nous poussent à substituer les cadeaux par de l'argent ou des bons d'achats à donner directement. Ainsi votre ami(e) pourra se faire plaisir en vous libérant de toute obligation. De cette façon on a atteint le degré zéro du lien social, amical ou familial. incapable d'exprimer ses sentiments et de traduire notre affection en un présent, pour se libérer de l'obligation on "mandate" l'autre à "se faire son cadeau" en notre nom, sans plus se préoccuper du destin final de cette argent. " Le vrai problème, c'est que, chaque fois que d'autres font des emplettes pour nous, qu'ils nous achètent des vêtements, des disques, ou n'importe quoi, ils ont très peu de chances de choisir aussi bien que nous l'aurions fait si nous l'avions choisi nous-mêmes- si bien intentionnés que soient leur choix, on peut s'attendre à ce qu'il tombent à coté de la plaque. Par rapport à la quantité de satisfaction que de telles dépenses auraient pu nous procurer, leurs choix détruisent de la valeur " (1) Ce sont les propos de Joel Waldfogel, économiste de l'Université de Pennsylvanie grand pourfendeur de l'inefficacité économique des offres de cadeaux, sacrifiant l'affection et la richesse de la relation humaine sur l'autel des chiffres et de l'efficacité en tout et partout.

    Milton Friedman, prix Nobel de l'Ecole de Chicago, chantre incontesté de l'ultralibéralisme résume à la perfection ce pouvoir selon lui magique de l'argent : " Les prix qui émergent des transactions volontaires sur un marché libre sont capables de coordonner l'activité de millions de personnes, dont chacune ne connait que son propre intérêt, de telle sorte que la situation de tous s'en trouve amélioré. (...) Le système des prix remplit cette tâche en l'absence de toute direction centrale, et sans qu'il soit nécessaire que les gens se parlent ni qu'ils s'aiment"
    Le libéralisme, qui a envahit tous les domaines de la pensée et de l'action individuelle, a rendu toute obligation superflue, si ce n'est celle de donner un prix à toute chose. Peu à peu la civilité commune a aussi disparu ; "la guerre de tous contre tous" est devenue le mode de fonctionnement majeur de nos sociétés avec l'apparition de comportements individuels provocateurs d'un côté, procéduriers de l'autre, où les conflits se règlent toujours devant les tribunaux sans que l'on ait l'obligation d'un face à face et où l'argent impose trop souvent un rapport de force déterminant. ( voir J.C. Michéa " La double pensée - Retour sur la pensée libérale" ).
    Alors que nous reste-il ? Comment protéger le bien commun, les services publiques de l'éducation, de la santé, de la sécurité et de la justice, fondés sur des valeurs et des droits universels et inaliénables de cette vague funeste de la marchandisation du monde ?

    Par Karol

    AgoraVox

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    (1) Michael J. Sandel. " Ce que l'argent ne saurait acheter" Préface de Jean-Pierre Dupuy
    M.J. Sandel est un philosophe américain, professeur de philosophie politique à l'Université Harvard. Voir l'émission de France Culture " La Suite dans les idées"
    (2) René Girard " Le bouc émissaire" Grasset 1982
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

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    • #3
      C'est drôle, je regardais justement hier une vidéo de l'historienne Marion Sigaut qui abonde dans le même sens. En fait, elle va plus loin encore en réinterprétant l'histoire à la lumière de cette thèse. Pour elle, ce qu'on appelle "la Révolution française" de 1789 n'était pas une révolte du peuple comme le discours officiel le martèle, mais bel et bien une prise de pouvoir organisée par une élite qui voulait instaurer l'économie de marché en lieu et place du bien commun qui avait cours jusqu'alors...


      كلّ إناءٍ بما فيه يَنضَح

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