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Vers la chute du capitalisme ?

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  • Vers la chute du capitalisme ?

    Le capitalisme a été tellement « naturalisé » par nos imaginaires qu'il apparaît immortel. Le recueil publié à La Découverte par plusieurs économistes américains de renom international, notamment Immanuel Wallerstein et Michael Mann, montre pourtant qu'il n'en est rien. Le capitalisme est né et il pourrait mourir, tout au moins sous ses avatars néocapitalistes - pour peu que les humains le veuillent. Sous le titre Le capitalisme a-t-il un avenir ? (Does Capitalism Have A Future ?), ces cinq chercheurs éminents de la sociologie historique dessinent les perspectives traumatiques qui guettent ce qu'ils appellent, avec les mots de Fernand Braudel, un « système-monde » plus déséquilibré, plus inique que jamais. Ils dévoilent dans ce captivant recueil toutes les contradictions qui tiraillent le capitalisme du début du XXIe siècle, du déclin des classes moyennes aux problèmes de légitimation des coûts sociaux et environnementaux. Avec un souci : savoir s'il existe une chance de sortir de la « cage d'acier » dont parlait Max Weber. Nous publions ici un large extrait de l'article introductif d'Immanuel Wallerstein, intitulé « La crise structurelle du capitalisme : pourquoi les capitalistes risquent de ne plus y trouver leur compte ».
    Alexis Lacroix


    >>> EXTRAITS

    Le capitalisme est un système, et tous les systèmes ont une durée de vie, ils ne sont pas éternels. [...] Deux évolutions cruciales ont contribué à [sa] crise structurelle. La première relève des tendances à très long terme de l'économie-monde, qui rendent désormais très difficile le processus d'accumulation sans fin du capital. La seconde est d'ordre conjoncturel et est liée à la fin de la domination de la culture mondiale par un consensus libéral centriste, entraînant dès lors une érosion de la stabilité politique du système-monde. [...]

    Deuxièmement, le fait que les gens sont préoccupés par l'épuisement des ressources non renouvelables - une autre nouveauté politique - est pour une bonne part la conséquence de l'explosion démographique. On commence depuis peu à prendre soudainement conscience d'une série de pénuries réelles ou potentielles : sources d'énergie, eau, forêts, poissons et viande. La question de savoir qui possède quoi, qui consomme quoi, et à quelles fins les ressources sont utilisées, est désormais l'objet de vifs débats. [...] A la diminution des profits des producteurs capitalistes est venu s'ajouter un changement culturel colossal, à savoir la fin de la domination géoculturelle du libéralisme centriste. [...]

    La contre-offensive néolibérale

    Le libéralisme centriste a été détrôné en tant qu'idéologie dominante du système-monde, la seule idéologie légitime de facto. Il n'est plus aujourd'hui qu'une option parmi d'autres. En outre, les mouvements de la «vieille gauche» ont complètement perdu leur capacité d'être les acteurs d'un quelconque changement fondamental. [...]

    La droite mondiale s'est elle aussi émancipée de toute attache avec le libéralisme centriste. Elle a profité de la stagnation de l'économie mondiale et de l'effondrement des mouvements de la « vieille gauche » (et de leurs gouvernements) pour lancer une contre-offensive. C'est ce que nous appelons la mondialisation néolibérale (qui est en fait très conservatrice). [...] Les objectifs de la droite mondiale étaient de réduire les principaux coûts de production, de démanteler l'Etat-providence sous toutes ses formes et de freiner le déclin de la puissance américaine au sein du système-monde. Cet essor de la réaction a semblé culminer en 1989. La fin du contrôle soviétique sur les satellites d'Europe centrale et orientale et le démantèlement de l'Union soviétique elle-même en 1991 ont entraîné une soudaine vague de triomphalisme au sein de la droite internationale. [...]

    Le début du déclin américain

    La première décennie du XXIe siècle a également donné lieu à un déplacement géographique de l'appropriation du capital. L'essor des pays dits « émergents », notamment les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), représente une forme de lente réorganisation de la hiérarchie du système-monde moderne dont on connaît des précédents. Elle suppose toutefois qu'il y ait une place dans le système pour de nouvelles industries dominantes, ce que rend improbable la diminution générale des profits. En revanche, l'essor des Brics a augmenté le nombre d'individus impliqués dans le partage de la plus-value mondiale, phénomène qui constitue un obstacle supplémentaire aux possibilités d'accumulation sans fin du capital et intensifie la crise structurelle du système-monde plutôt qu'il n'y remédie. [...] La conséquence financière la plus probable de la crise économique sera le déclin définitif du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale. Il ne sera pas remplacé dans cette fonction par une autre monnaie unique, mais par un système à devises multiples qui entraînera une fluctuation constante des taux de change, laquelle aura un effet négatif additionnel sur les possibilités de financement de nouvelles activités productives. Parallèlement et simultanément, le déclin de l'hégémonie des Etats-Unis a été rendu irréversible par le fiasco politico-militaire du programme néoconservateur de machisme militaire unilatéral impulsé entre 2001 et 2006 par l'administration du président George W. Bush. C'est de ce contexte qu'a émergé un monde désormais vraiment multipolaire, avec huit à dix centres de pouvoir régionaux suffisamment forts pour être capables de négocier de façon relativement autonome avec leurs rivaux.

    Mais cette multiplication des centres de pouvoir a des effets négatifs, entraînant de fréquents réalignements géopolitiques en fonction des bénéfices à court terme perçus par les uns et les autres. [...] Les effets sociopsychologiques de cette incertitude se manifestent en termes de confusion, de colère, de rébellion contre les élites et surtout de peur aiguë. Cette vague d'anxiété encourage la recherche d'alternatives politiques inédites. Les médias décrivent ce phénomène comme du populisme, mais il s'agit en fait de quelque chose de beaucoup plus complexe que ce que suggère ce mot. D'aucuns estiment que cette atmosphère de peur attise une vindicte irrationnelle contre une série de boucs émissaires. [...]

    Pour résumer, le système-monde moderne dans lequel nous vivons ne peut plus se perpétuer parce qu'il s'est trop écarté de l'équilibre et ne permet plus aux capitalistes d'accumuler indéfiniment du capital. Par ailleurs, les classes subalternes ne croient plus qu'elles sont du bon côté de l'histoire et que l'avenir leur appartient. Nous vivons donc une crise structurelle qui se caractérise par une lutte autour des alternatives systémiques. Bien que l'issue en soit imprévisible, nous percevons bien que l'un des deux camps en présence l'emportera au cours des prochaines décennies et qu'un nouveau système-monde relativement stable (ou un ensemble de systèmes-mondes) s'installera. Ce qui est en notre pouvoir, c'est d'essayer d'analyser les options historiques, d'exercer un choix moral quant au résultat le plus désirable et d'évaluer les tactiques politiques optimales pour y parvenir. [...] Nous avons au mieux 50 % de chances d'instaurer le type de système-monde qui nous paraît le plus désirable. Mais 50 %, ce n'est pas rien.

    Le capitalisme a-t-il un avenir ? d'Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian et Craig Calhoun, traduit de l'anglais par Marc Saint-Upéry. La Découverte, 200 p.,

    marianne
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