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La monnaie n’est plus au service de l’économie réelle

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  • La monnaie n’est plus au service de l’économie réelle

    La quantité de monnaie n’est plus déterminée par les besoins de l’économie réelle mais par la nécessité pour le prix de certains actifs de ne pas baisser

    Tout le monde se sert de la monnaie pour mesurer la valeur des choses ou des services produits ou vendus, mais personne ne sait vraiment pourquoi la monnaie a de la valeur. C’est là l’un des paradoxes extraordinaires de notre monde et j’ai longuement écrit dans le passé à ce sujet… (Voir les articles consacrés à la monnaie sur le site de l’Institut des Libertés). Compte tenu de l’action actuelle des banques centrales, il me semble que je dois mettre à jour les idées que j’avais sur la monnaie qui sont peut-être devenues inopérantes.

    Il s’agit donc là d’une réflexion de nature conceptuelle visant à réactualiser mes schémas de pensée. En effet, tous ceux qui s’intéressent à l’économie ont une espèce de modèle intuitif autour duquel s’organisent leurs réflexions et à partir duquel ils arrivent à leurs conclusions. C’était bien entendu mon cas.

    Il me faut donc commencer par une description de mon ancien modèle.

    La monnaie au centre du système

    Pour l’observateur des marchés financiers que j’étais et que je reste, la monnaie était toujours au centre du système. Deux entités étaient à l’origine de sa création (je simplifie à dessein).

    La banque centrale qui seule avait le pouvoir de créer de la monnaie « ex nihilo ».
    Les banques commerciales qui dans notre système actuel créaient du « crédit », c’est-à-dire qui permettaient un développement de la « liquidité » se traduisant en contrepartie par une augmentation de l’endettement.
    Une fois la monnaie ou le crédit créés, ils se diffusaient dans l’économie « réelle » avec les effets habituels sur l’activité, le chômage, les taux d’intérêts, les taux de change etc. Quand cette monnaie atteignait les frontières du système, elle avait alors de l’influence sur le prix des actifs, actions, obligations, immobiliers, marché de l’art…

    Le prix de ces actifs variait en fonction de l’excédent ou de l’insuffisance de monnaie. Trop de monnaie, les prix des actifs montaient ; pas assez, ils baissaient. Et c’est cette notion qui était derrière la vieille plaisanterie boursière : « Investir est très facile. Il suffit de savoir s’il y a plus d’idiots que d’argent ou plus d’argent que d’idiots. » Et donc les actifs servaient de réserve de liquidité, ils étaient en quelque sorte des « éponges à liquidité ». Trop de liquidités, et nous avions un marché haussier, pas assez et nous avions un marché baissier. Les variations du cours des actifs étaient ce qui permettait au système de retourner à l’équilibre au travers de chaque cycle. Mon travail consistait à évaluer dans quelle situation nous étions à chaque moment et à investir ou désinvestir en conséquence.

    Le prix des actifs au centre du système

    Ce monde n’existe plus et donc la quasi totalité des travaux que j’ai pu faire depuis quarante ans est périmée, ce qui est un peu déconcertant.

    Pourquoi ? En voici la raison. Dans les cycles précédents, nous avons eu une expansion extraordinaire de l’endettement en général et du système bancaire en particulier, ce qui a déclenché et accompagné une hausse tout à fait extraordinaire du prix de tous les actifs. Et du coup, le système économique est devenu très fragile en raison d’un excès de l’endettement, ce qui le rend incapable de supporter une baisse sensible des prix de ces mêmes actifs. L’endettement n’avait en effet pas entrainé une hausse du stock de capital productif (machines outils, usines etc.) mais une hausse de la valeur du stock de capital improductif (immobilier, transferts sociaux) et donc la capacité à servir la dette et à la rembourser s’est écroulée.

    Je m’explique. Que le lecteur imagine qu’il ait acheté l’indice de la bourse de Paris en s’endettant massivement. Si l’indice CAC venait à baisser, il aurait immédiatement des « appels sur marge » et se retrouverait ruiné assez rapidement. Eh bien, l’ensemble de nos systèmes économique et bancaire est dans cette situation et ne pourrait pas supporter une baisse des prix des actifs improductifs. Si le prix des actifs se mettait à plonger fortement, des appels sur marge gigantesques auraient lieu et le système s’effondrerait selon un schéma décrit de façon prodigieuse par Irving Fischer en 1934 dans un article publié dans Econometrica, « The Debt Deflation Theory of Great Deppressions » (à lire absolument pour ceux qui parlent l’anglais).

    Et donc les banques centrales ont décidé d’agir. Elles ont décidé de mettre au centre du système le prix des actifs et d’empêcher ceux-ci de baisser. Et pour ce faire, les banques centrales achètent directement ces actifs dans les marchés et impriment autant d’argent qu’il est nécessaire pour arriver à ce résultat. La quantité de monnaie dans le système n’est plus déterminée par les besoins de l’économie réelle mais par la nécessité pour le prix de certains actifs de ne pas baisser.

    Nous avions depuis toujours un système qui allait de la monnaie à l’économie réelle et de là au prix des actifs. Nous sommes passés à un nouveau système ou le cheminement logique va du prix des actifs à la quantité de monnaie, l’économie réelle n’étant même plus prise en considération dans la production de monnaie. Le lecteur comprendra pourquoi je suis perplexe… Ce qui ne va pas m’empêcher d’essayer de répondre à quelques-unes des questions que ce même lecteur doit se poser.

    Première question : Cela va-t-il marcher ?

    Honnêtement, j’en doute. Le capitalisme est un système darwinien, ce que Schumpeter a fort bien traduit par sa formule de la destruction créatrice. Tout l’effort des banques centrales consiste à empêcher la destruction de ceux qui ont fait des erreurs énormes, qu’il s’agisse de gouvernements ou de sociétés financières. Ce qui logiquement veut dire que comme la destruction n’a pas lieu, la création ne peut avoir lieu et donc que la croissance économique va s’arrêter graduellement, ce qui rendra impossible le remboursement des dettes et vouera à l’échec la tentative des banques centrales de gagner du temps, en attendant je ne sais quel miracle… C’est le schéma qui sévit au Japon depuis trente ans.

    Deuxième question : Quand les marchés vont-ils se rendre compte que la nouvelle politique des banques centrales est vouée à l’échec ?

    Je n’en ai pas la moindre idée et je soutiens que c’est le cas de la quasi totalité des observateurs. La question du « quand », en fait, est une mauvaise question puisque le futur est inconnaissable et que les banques centrales ont des moyens qui peuvent apparaître comme illimités.

    Par exemple, depuis son origine, je dis que l’euro est une monnaie qui ne peut pas marcher et qu’il allait mettre l’Europe que j’aimais en faillite. La plupart des gens depuis 2000 me demande quand la crise marquant la fin de l’euro va avoir lieu, ce à quoi je leur ai répondu la plupart du temps « je ne sais pas ». En revanche, je sais ce que vous ne devez pas avoir dans vos portefeuilles tant que l’euro existe…

    Troisième question : Pourquoi cette politique devra-t-elle s’arrêter un jour ?

    À cela, la réponse est assez simple. Parce qu’une révolte des populations l’imposera. Il faut en effet bien comprendre que la politique actuelle des banques centrales ne cherche qu’à protéger les puissants et ceux qui sont bien en cours. Il s’agit d’une des plus invraisemblables applications dans l’Histoire du « capitalisme de connivence » que j’ai souvent dénoncé. Une ploutocratie a pris le pouvoir dans nos démocraties et l’exerce pour préserver ses rentes. Dans ce système, les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. Cela amène toujours a une révolte des damnés de la terre comme on l’a fort bien vu au moment de la chute du mur de Berlin. Les peuples, un jour, vont donc reprendre le contrôle de leurs destinées et virer les élites incompétentes et corrompues qui les ont amenés dans la situation actuelle.

    Quatrième question : Comment me protéger ?

    Ce que je dis est assez simple : la crise qui s’annonce devra amener à un changement des élites. Historiquement, ces changements d’élites peuvent se passer de façon démocratique ou de façon révolutionnaire, ce que l’on a fort bien vu dans les années 30 en Europe.

    De façon générale, quand cela se produit, il vaut donc mieux être investi dans des pays qui ont de longues traditions démocratiques, c’est-à-dire en Europe du Nord ou dans les pays de droit anglais plutôt qu’en Russie.

    On peut aussi essayer d’identifier les pays ou les zones géographiques qui ont compris le danger et essaient de prendre de la distance avec la catastrophe qui paraît s’annoncer. C’est dans cet esprit que je recommande depuis un certain temps d’investir en Asie parce que la Chine est en train de revenir à des prix de marché pour ses taux d’intérêts et ses taux de change tout en développant les outils d’une solidarité régionale, ce qui devrait atténuer le choc. En revanche, puisque le cœur du problème est aujourd’hui dans l’Europe de la monnaie commune, il parait sage de mettre le plus de distance entre soi et le vieux continent

    Conclusion

    Quand le mur de Berlin est tombé, certains ont cru à « la fin de l’Histoire ». Or, une partie non négligeable des élites, comme l’avaient fort bien vu J.-F. Revel et avant lui Schumpeter, partout et toujours haïssent la liberté et la démocratie. Pour eux la chute de la dictature communiste était une défaite personnelle.

    Le déni psychiatrique aidant, tous ceux qui croient à la technocratie et détestent la démocratie et le marché libre se sont alors regroupés immédiatement sous la direction de puissants génies tels Delors et Trichet pour essayer de recréer ce qui venait d’échouer . C’est à leur échec que nous sommes en train d’assister et tout cela va prendre du temps et faire bien des victimes collatérales innocentes. Je crains que cela soit inévitable.

    contrepoints
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