Une réflexion sur la Tunisie au futur après la surprise du premier tour de la présidentielle.
Le rêve d’un compromis historique en Tunisie, supposant un gouvernement d’union réunissant les deux camps opposés sur la scène politique semble évanoui après la volte-face du parti islamiste qui, sous une pression irrésistible, extérieure comme intérieure, a désavoué la stratégie patiemment tissée par le chef théorique du parti, M. Rached Ghannouchi, apportant ainsi un soutien inespéré au président provisoire, M. Marzouki.
Aussi, le parti islamiste, à l’approche du second tour qui aura lieu d’ici la fin de l’année est écartelé entre la stratégie du fil d’Ariane de son chef, se voulant modéré, et celle de ses caciques intégristes s’adonnant à leur toile de Pénélope, cet ouvrage d’islam politique auquel on travaille sans cesse et qu’on ne réussit jamais, faute de vision lucide.
L’issue du second tour de la présidentielle dépendra de la prévalence de l’une ou l’autre des deux stratégies. La première suppose un strict mot d’ordre d’abstention, privant M. Marzouki des voix nécessaires pour se maintenir à Carthage. En effet, son maintien en place nécessiterait la reconduction du vote massif islamiste en sa faveur. C’est la seconde stratégie.
Un tel jeu, classique en politique, est pourtant malsain par son machiavélisme à un moment où la Tunisie a le plus besoin de stabilité. Celle-ci passerait davantage par l’arrivée de M. Caïd Essebsi à Carthage car le maintien à la tête de l’État de l’actuel président, au bilan catastrophique, entraînerait les plus graves dissensions entre les deux têtes de l’exécutif.
Sans nous abaisser aux turpitudes des uns et des autres des deux camps, nous voudrions esquisser ici l’image de la Tunisie qu’il serait possible d’avoir demain si la raison triomphait de la démagogie.
Avant tout, nous affirmons que l’honneur est toujours dans la fidélité : politiquement, aux valeurs démocratiques, ou religieusement, à la foi authentique. Cette fidélité, nous la devons à l’autre qui est en nous, et qui n’est que l’autre soi-même. C’est le goût de l’altérité, celui de l’ailleurs chez un meilleur que soi, l’autre soi-même, sans lequel on n’est rien et sans lequel nulle valeur n’est une valeur vraie.
Celle-ci est d’abord humaniste. Or la nature humaine, restant imparfaite, a toujours besoin d’évoluer, de s’améliorer, de faire sa révolution sur soi et la poursuivre tout le temps, comme une hygiène quiotidienne. La révolution n’est-elle pas surtout un retour à ce qui est essentiel, primordial, archaïque ?
Pour l’islam « pol-éthique »
C’est en cela que l’islam, débarrassé de ses intégrismes, de sa conception caricaturale essentialiste, peut et doit être cet archaïsme-là au sens étymologique d’élément premier, fondateur. Encore faut-il le sortir de la morale immorale qui le marque actuellement, en termes modérés chez nous, paroxystiquement ailleurs, pour lui restituer sa morale vraiment morale, donc éthique.
L’islam politique est ainsi un islam « pol-éthique », un i-slam en symbiose parfaite avec l’époque postmoderne qui est la nôtre, forcément un islam postmoderne.
Dans l’anomie actuelle des terres d’islam, à l’image de celle du monde entier en plus dramatique, il y a paradoxalement matière à voir de l’espoir. L’état de dérèglement généralisé qu’est l’anomie est riche d’effervescences et de potentialités. Il est ce quelque chose de structurant sans lequel rien ne change, car rien ne dure sur terre.
Un présentéisme moral
Aussi nous faut-il nous adonner à ce qu’on appelle le présentéisme, nous débarrasser de la thématique dépassée du futur, de l’avenir radieux, déclinaison laïque du thème religieux du salut. L’infini est dans le présent si on sait le prendre tel qu’il est.
C’est ce qu’enseigne l’école sociologique de l’imaginaire, incontournable pour comprendre notre monde. Elle insiste sur l’idée centrale du climat (umwelt), ce tout invisible qui soude les membres d’une communauté.
Or le climat dans notre communauté arabe islamique est à la mystique, dévergondée certes par certains, mais non moins triomphante à la faveur du retour du mythe dans les sociétés postmodernes. Et la mystique constitue la genèse du social, ne l’oublions pas. Tout commence par la mystique pour se terminer par la politique !
Le sacré immanent
On a ainsi pu parler du sacré immanent, un sacré qui, plus que jamais, peut sortir de sa gangue ésotérique en islam pour une épiphanie d’état exotérique grâce à l’islam « poléthique ».
Il suffira que l’on découvre, dans notre foi éminemment humaniste et œcuménique, l’impératif de l’altérité qui lui est consubstantielle, cette nécessaire sortie de soi, de l’entre soi – si caractéristique de la société occidentale en déclin par excès de matérialisme – que le soufisme a incarné assez tôt dans la civilisation de l’islam.
Un tel islam politique éthique (poléthique) est une invitation à réveiller notre conscience somnolente, arabe musulmane, mais pas seulement. C’est une telle somnolence de la conscience humaine qui a produit et reproduit les horreurs les plus diverses et les malheurs de notre monde, tel Daech, ultime manifestation dont la responsabilité nous incombe à tous.
Pour un humanisme intégral
Quid de la Tunisie de demain ? Une fois que la scène politique y aura été purgée de ses excroissances politicardes et ectoplasmes intégristes, il sera possible d’y mener une réflexion salutaire sur le théâtre du monde (thatrum mundi), d’y appeler enfin à un humanisme intégral.
Cela suppose que l’on sublime tous nos égoïsmes pour oser quêter et concrétiser l’ordre amoureux (ordo amoris) appelé à se substituer à l’ordre haineux qui domine les cœurs et marque la civilisation actuelle où la matérialité a tué toute spiritualité, et donc toute humanité. D’où cette propension chez d’aucuns à chercher l’état angélique. Or, en voulant étouffer la part d’animalité qui fait partie intégrante de l’essence humaine, on verse immanquablement dans la pure bestialité.
Il est urgent d’acclimater à notre être le possible (souvent vu en fallacieux im-possible), d’en finir avec ces fausses élites anémiques, cause et effet de nos sociétés anomiques. Ce qui suppose, après la prise de conscience de ce qu’un fin connaisseur de notre pays, Jean Duvignaud, qualifiait de « structure dérisoire du monde », d’oser faire usage de l’utopie, ce qui peut sembler relever de l’illusion (illusio). Or cette dernière signifie étymologiquement « être dans le jeu ».
Le rêve d’un compromis historique en Tunisie, supposant un gouvernement d’union réunissant les deux camps opposés sur la scène politique semble évanoui après la volte-face du parti islamiste qui, sous une pression irrésistible, extérieure comme intérieure, a désavoué la stratégie patiemment tissée par le chef théorique du parti, M. Rached Ghannouchi, apportant ainsi un soutien inespéré au président provisoire, M. Marzouki.
Aussi, le parti islamiste, à l’approche du second tour qui aura lieu d’ici la fin de l’année est écartelé entre la stratégie du fil d’Ariane de son chef, se voulant modéré, et celle de ses caciques intégristes s’adonnant à leur toile de Pénélope, cet ouvrage d’islam politique auquel on travaille sans cesse et qu’on ne réussit jamais, faute de vision lucide.
L’issue du second tour de la présidentielle dépendra de la prévalence de l’une ou l’autre des deux stratégies. La première suppose un strict mot d’ordre d’abstention, privant M. Marzouki des voix nécessaires pour se maintenir à Carthage. En effet, son maintien en place nécessiterait la reconduction du vote massif islamiste en sa faveur. C’est la seconde stratégie.
Un tel jeu, classique en politique, est pourtant malsain par son machiavélisme à un moment où la Tunisie a le plus besoin de stabilité. Celle-ci passerait davantage par l’arrivée de M. Caïd Essebsi à Carthage car le maintien à la tête de l’État de l’actuel président, au bilan catastrophique, entraînerait les plus graves dissensions entre les deux têtes de l’exécutif.
Sans nous abaisser aux turpitudes des uns et des autres des deux camps, nous voudrions esquisser ici l’image de la Tunisie qu’il serait possible d’avoir demain si la raison triomphait de la démagogie.
Avant tout, nous affirmons que l’honneur est toujours dans la fidélité : politiquement, aux valeurs démocratiques, ou religieusement, à la foi authentique. Cette fidélité, nous la devons à l’autre qui est en nous, et qui n’est que l’autre soi-même. C’est le goût de l’altérité, celui de l’ailleurs chez un meilleur que soi, l’autre soi-même, sans lequel on n’est rien et sans lequel nulle valeur n’est une valeur vraie.
Celle-ci est d’abord humaniste. Or la nature humaine, restant imparfaite, a toujours besoin d’évoluer, de s’améliorer, de faire sa révolution sur soi et la poursuivre tout le temps, comme une hygiène quiotidienne. La révolution n’est-elle pas surtout un retour à ce qui est essentiel, primordial, archaïque ?
Pour l’islam « pol-éthique »
C’est en cela que l’islam, débarrassé de ses intégrismes, de sa conception caricaturale essentialiste, peut et doit être cet archaïsme-là au sens étymologique d’élément premier, fondateur. Encore faut-il le sortir de la morale immorale qui le marque actuellement, en termes modérés chez nous, paroxystiquement ailleurs, pour lui restituer sa morale vraiment morale, donc éthique.
L’islam politique est ainsi un islam « pol-éthique », un i-slam en symbiose parfaite avec l’époque postmoderne qui est la nôtre, forcément un islam postmoderne.
Dans l’anomie actuelle des terres d’islam, à l’image de celle du monde entier en plus dramatique, il y a paradoxalement matière à voir de l’espoir. L’état de dérèglement généralisé qu’est l’anomie est riche d’effervescences et de potentialités. Il est ce quelque chose de structurant sans lequel rien ne change, car rien ne dure sur terre.
Un présentéisme moral
Aussi nous faut-il nous adonner à ce qu’on appelle le présentéisme, nous débarrasser de la thématique dépassée du futur, de l’avenir radieux, déclinaison laïque du thème religieux du salut. L’infini est dans le présent si on sait le prendre tel qu’il est.
C’est ce qu’enseigne l’école sociologique de l’imaginaire, incontournable pour comprendre notre monde. Elle insiste sur l’idée centrale du climat (umwelt), ce tout invisible qui soude les membres d’une communauté.
Or le climat dans notre communauté arabe islamique est à la mystique, dévergondée certes par certains, mais non moins triomphante à la faveur du retour du mythe dans les sociétés postmodernes. Et la mystique constitue la genèse du social, ne l’oublions pas. Tout commence par la mystique pour se terminer par la politique !
Le sacré immanent
On a ainsi pu parler du sacré immanent, un sacré qui, plus que jamais, peut sortir de sa gangue ésotérique en islam pour une épiphanie d’état exotérique grâce à l’islam « poléthique ».
Il suffira que l’on découvre, dans notre foi éminemment humaniste et œcuménique, l’impératif de l’altérité qui lui est consubstantielle, cette nécessaire sortie de soi, de l’entre soi – si caractéristique de la société occidentale en déclin par excès de matérialisme – que le soufisme a incarné assez tôt dans la civilisation de l’islam.
Un tel islam politique éthique (poléthique) est une invitation à réveiller notre conscience somnolente, arabe musulmane, mais pas seulement. C’est une telle somnolence de la conscience humaine qui a produit et reproduit les horreurs les plus diverses et les malheurs de notre monde, tel Daech, ultime manifestation dont la responsabilité nous incombe à tous.
Pour un humanisme intégral
Quid de la Tunisie de demain ? Une fois que la scène politique y aura été purgée de ses excroissances politicardes et ectoplasmes intégristes, il sera possible d’y mener une réflexion salutaire sur le théâtre du monde (thatrum mundi), d’y appeler enfin à un humanisme intégral.
Cela suppose que l’on sublime tous nos égoïsmes pour oser quêter et concrétiser l’ordre amoureux (ordo amoris) appelé à se substituer à l’ordre haineux qui domine les cœurs et marque la civilisation actuelle où la matérialité a tué toute spiritualité, et donc toute humanité. D’où cette propension chez d’aucuns à chercher l’état angélique. Or, en voulant étouffer la part d’animalité qui fait partie intégrante de l’essence humaine, on verse immanquablement dans la pure bestialité.
Il est urgent d’acclimater à notre être le possible (souvent vu en fallacieux im-possible), d’en finir avec ces fausses élites anémiques, cause et effet de nos sociétés anomiques. Ce qui suppose, après la prise de conscience de ce qu’un fin connaisseur de notre pays, Jean Duvignaud, qualifiait de « structure dérisoire du monde », d’oser faire usage de l’utopie, ce qui peut sembler relever de l’illusion (illusio). Or cette dernière signifie étymologiquement « être dans le jeu ».
Commentaire