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De la grande muette, à la grande bavarde

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    De la grande muette, à la grande bavarde


    par Kamel Daoud


    Lu hier: un article d'El -Watan sur le phénomène, déjà national, des crashs d'avions militaires depuis une décennie. Beaucoup trop, sans raisons fournies, ni explications, ni conclusions des fameuses commissions d'enquête. Interrogation pertinente de la journaliste: qui achète à qui ? Comment et pourquoi il achète si mal ? Mais c'est la conclusion qui rappelle une évidence que l'on a fini par oublier, normaliser et intégrer à notre statut de propriétaires fictifs de notre pays: on n'a aucun contrôle sur le budget de l'armée et sur ce qu'elle fait de notre argent. Rien, pas un moyen, pas un seul chiffre, pas un nom. L'armée prend sa part de l'argent et le gère à sa convenance, derrière ses murs. De l'autre côté, c'est nous: Parlement, élus, élections, blabla et Constitution. La singularité est énorme mais on a fini par l'accepter: l'armée est née avant le pays et donc a droit de préséance sur lui, dans le plan de table à midi. L'armée peut interroger le pays mais le pays ne peut pas interroger l'armée. L'armée peut compter l'argent de tous mais tous ne peuvent pas compter son argent à elle. L'armée est hors Parlement, hors champ de contrôle et hors commission d'enquête civile. Pourquoi une telle exception alors si on veut se présenter comme démocrates, républicains, défenseurs de la nation, gardiens des frontières et de la Constitution ? Comment peut-on à la fois garder secrets ses chiffres et se présenter comme arbitre de la démocratie ?

    Le patron militaire du moment a, par lui-même, braqué les feux des projecteurs sur sa personne: mise en garde contre les oppositions à Bouteflika, menaces dures, coup de semonce et clip vidéo d'audience avec le Président presque chaque semaine. On est passé de la grande muette, à son contraire.

    Bien sûr, le murmure du maquis: si aujourd'hui on parle de doutes sur les contrats avec les Russes, c'est parce que le bonhomme fait trop de politique, tabou implicite chez les militaires en règle générale. D'ailleurs Gaïd Salah est le premier qui s'y implique avec son étrange statut de vice-ministre. Une décision heureuse de le voir s'aligner comme tous dans la photo de groupe du gouvernement, mais qui a conduit au dérapage amoureux d'une surdose de bouteflikisme. D'un trottoir à l'autre.

    Gaïd Salah est donc devenu un homme trop visible, trop impliqué, trop engagé et cela n'est pas bon pour lui. Mais cela est bon pour nous rappeler l'essentiel: l'armée est revenue dans les casernes mais on n'y entre pas encore, la république a des zones franches. Le débat devra s'ouvrir un jour ou l'autre: soit on est une république de prête-nom et on continue avec une armée avec un budget hors contrôle, soit on va vers une république réelle et l'armée doit se soumettre au contrôle de son peuple. Entre les deux, il y a eu ce choix de kasma: une fidélité à un homme et aux siens qui n'est pas bonne pour la vocation. L'armée est passée d'un statut de trans-parti, à celui d'un comité de soutien.

    Gaïd a donc attiré les regards. Il fait un peu trop de politique. L'essentiel n'est pas uniquement sa personne.

    C'est aussi la place de l'armée algérienne: peut-on réussir une transition sans elle ? Et peut-on parler de réformes quand on ne commence pas par elle ? Et peut-on refuser d'être les trois quarts d'un peuple comme l'a refusé Bouteflika et le réussir ? Et doit-on encore demander à l'armée de renverser un mourant si, comme chaque fois, elle nous renverse, nous, à chaque mauvaise transition ? Sans elle, point de changement possible. Et avec elle, le changement n'est qu'une permutation de postes.

    Depuis la création de ce pays, on n'est pas sorti de la caserne et, paradoxalement, on n'y entre pas encore.


    par Kamel Daoud


    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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