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D’«El Ghoul» à «Mesmar J'ha» : Un virtuose de l’humour politique

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    D’«El Ghoul» à «Mesmar J'ha» : Un virtuose de l’humour politique

    le 03.12.14 | 10h00


    Saïd Mekbel est né le 25 mars 1940, à Béjaïa, dans une famille modeste. Le jeune Saïd fera l’essentiel de sa scolarité dans des écoles militaires, dont la fameuse Ecole des cadets de Koléa, précise la notice biographique, qui lui est consacrée sur le site de l’association Ajouad Algérie Mémoires présidée par son fils, Nazim.


    Mekbel part ensuite en France où il passe son bac à Aix-en-Provence. En 1962, il réussit le concours d’entrée à Saint-Cyr et le 26 janvier 1963, il rentre au bercail. En mai 1963, on le retrouve attaché d’administration à la Direction de l’énergie et des carburants. Il participe, à ce titre, aux côtés de Belaïd Abdesselam et de Sid-Ahmed Ghozali aux négociations avec la France sur le pétrole. En octobre 1965, il est embauché par l’ex-EGA (Electricité et gaz d’Algérie). Il officie à l’usine de gaz de Gué de Constantine, quartier où il va finir par s’installer, occupant un logement de fonction.

    En 1974, Saïd Mekbel obtient son diplôme d’ingénieur électromécanicien spécialisé en mécanique des fluides. Il ne s’arrêtera pas en si bon chemin et s’engage dans des études de doctorat. En 1975-76, il poursuit sa formation à Paris. Il soutient, dans la foulée, un doctorat en mécanique des fluides à la faculté des sciences d’Alger. Dans les années 1980, il est professeur associé à l’Ecole polytechnique d’El Harrach. Comment donc ce brillant ingénieur est-il tombé dans le journalisme ? Ceux qui le connaissent savent évidemment que l’histoire d’amour entre Mekbel et la presse ne date pas des années 1990. Il avait fait partie de la première équipe post-indépendance d’Alger Républicain.

    Rencontre avec Henri Alleg


    Mekbel raconte qu’un jour de 1962, peu après l’indépendance, il envoie une critique de film à Alger Républicain. Henri Alleg, alors directeur de la publication d’Alger Rep’, tombe tout de suite sous le charme du jeune chroniqueur et lui propose de passer le voir.
    «Quand je l’ai vu, il m’a dit : ‘‘Tu sais, jeune homme, tu es fait pour l’écriture, viens ici, travaille chez nous. Tu commences par des critiques de films’’ (Monika Borgmann, Une mort à la lettre, p. 72).» Dans la rédaction d’Alger Rep’, il rencontre Kateb Yacine et M’hamed Issiakhem qui l’adoubent immédiatement. Mekbel collabore à une chronique satirique intitulée L’Ogre avant de lancer sa propre chronique sous le titre «El Ghoul» qui deviendra ensuite «Mesmar J’ha». 19 juin 1965 : coup d’Etat de Boumediène, Alger Rep’ est frappé d’interdiction. «J’ai été interdit d’écrire parce que j’avais refusé d’écrire dans une revue de l’armée», dira Mekbel.

    Toutefois, il n’a jamais cessé de taquiner la muse. «De 1965 à 1988, j’écrivais presque quotidiennement un billet et je savais qu’il ne serait jamais publié. Ce n’était que pour moi, pour me sauver, pour me préserver», confie-t-il (Une mort à la Lettre, P77). Peu après le soulèvement d’Octobre 1988, Alger Rep’ retrouve enfin ses lecteurs. Mekbel est de l’aventure. Suite au clash entre une partie de la rédaction et la direction du PAGS dont Alger Rep’ était proche, il rejoint l’équipe qui allait fonder le quotidien Le Matin (septembre 1991). Deux ans plus tard, il remplace Benchicou au pied levé, à la tête du journal. Dans l’intervalle, il participe au lancement de plusieurs tabloïds dont le journal satirique El Manchar ainsi que l’hebdomadaire Ruptures, fondé par Tahar Djaout, Arezki Metref et Abdelkrim Djaâd.

    En avril 1992, il crée un autre journal satirique : Baroud. Ses responsabilités éditoriales ne l’empêcheront pas de «commettre» quotidiennement un billet au ton frais, à l’humour féroce, sous le titre générique «Mesmar J’ha» cloué à la dernière page du Matin, avec sa photo en médaillon. Il formera alors un duo de choc avec son éternel compère, le caricaturiste Ali Dilem. Une «paire rare». Esprit vif au regard lucide, voire extralucide, comme l’illustre son ultime chronique aux accents prophétiques (Ce voleur qui…), Mekbel s’imposera comme un as de l’humour politique, un billettiste d’exception qui va renouveler le genre et lui donner ses lettres de noblesse. Plus qu’un virtuose, «Mesmar J’ha» était, comme tous les grands esprits, un visionnaire. Deux recueils de ses textes paraîtront à titre posthume aux éditions Dalimen : Ce voleur qui… et Saïd Mekbel, dix ans déjà.

    Le 3 décembre 1994, Saïd Mekbel est mortellement atteint de deux balles dans la tête dans un petit restaurant à Hussein Dey. Il sera inhumé le 6 décembre au cimetière Sidi Mohand Amokrane de Béjaïa. Ce matin-là, plusieurs titres étaient absents des kiosques en signe de deuil et de colère. Une foule immense se ruera vers le cimetière de Bougie.

    «Ce sont les cimetières qui ont fait l’histoire»

    Saïd Mekbel était papa de deux garçons, Hafid et Nazim, mais il avait laissé des centaines de milliers de lecteurs orphelins de sa plume au style inimitable. «Je n’ai jamais vu autant de monde à un enterrement. Toute la ville était au cimetière», se souvient Omar Belhouchet avec émotion. Le directeur d’El Watan était dans l’ambulance qui l’évacuait à l’hôpital avant de l’accompagner à sa dernière demeure. Et c’est lui qui avait lu l’oraison funèbre. Extrait : «Mesmar J’ha a su redonner espoir aux pires moments de désespoir, faire sourire quand les larmes l’emportaient. Il a eu ce don, ce génie de devenir un compagnon que des milliers de citoyens recherchaient. Son billet est ainsi devenu un grand moment de journalisme dans notre pays. Son engagement était total, sans faille, sans hésitation et sans retenue. Il se battait pour des idées nobles. Il se battait pour l’Algérie moderne et démocratique. Saïd avait, en ces moments durs et pénibles pour l’Algérie, la certitude que son combat était juste et porteur d’espoir, de modernité, de tolérance, de justice et de progrès. C’est tout cela qu’on a cherché à assassiner, qu’on a cherché à briser. Que les commanditaires de l’ombre sachent qu’ils n’ont pas réussi à te tuer. Ils n’ont pas réussi à éteindre l’espoir, ni venir à bout de notre détermination. Ce ne sont ni les égorgeurs, ni les émirs autoproclamés, ni ceux qui lancent de prétendues fatwas et qui établissent des listes de journalistes à abattre, qui nous décourageraient. Ils ne pourront jamais assassiner le rêve et l’espoir, le besoin d’expression et de changement. En un mot, la vie. Saïd, nous ne nous laisserons pas abattre par l’immense douleur que nous ressentons, ni par le désespoir et le défaitisme. Saïd, nous te faisons le serment, et Dieu nous est témoin, que nous resterons fidèles à ta mémoire, à tes idées, à ton combat. Nous resterons fidèles à l’Algérie qui veut rester debout. Nous poursuivrons le combat pour faire fleurir la liberté d’expression pour laquelle tu t’es sacrifié, et pour que triomphe la démocratie en Algérie.» Mekbel disait : «Ce sont les cimetières qui ont fait l’histoire.» Il nous plaît de croire que celle-ci n’a pas encore dit son dernier mot, et que «Mesmar J’ha» continuera à inspirer nos chants de résistance aussi longtemps que sa parole continuera à résonner dans nos cœurs.


    Mustapha Benfodil

    El Watan
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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