Le politologue Rachid Grim analyse les derniers événements survenus sur la scène politique nationale. Il revient sur l’annonce de la révision de la constitution, l’action de l’opposition, la levée des boucliers suscitée par les rencontres de l’union européenne avec des responsables de la CLTD.
- La présidence de la République vient de relancer, pour la énième fois, le projet de la révision constitutionnelle. Selon le message du président Bouteflika, la future Constitution sera la synthèse des propositions recueillies lors des différentes consultations avec les acteurs politiques. Pourquoi le pouvoir a-t-il attendu la fin de l’année 2014 pour annoncer sa volonté de concrétiser ce projet, alors que le chef de l’Etat avait annoncé son adoption durant cette même année ?
La présidence de la République, comme vous le dites, en fait le Président veut rester le maître du jeu politique. Il veut montrer que c’est toujours lui qui décide de ce qui doit se faire d’important et de significatif et aussi du moment où cela devra se faire. Il veut indiquer qu’il est le seul maître du jeu et qu’il compte le rester.
En cette fin d’année 2014, après près de neuf mois d’exercice d’un quatrième mandat sans un événement véritablement significatif de l’action personnelle du président élu, il a jugé qu’il est temps qu’il se remette en selle sur une question essentielle : une des promesses majeures de sa campagne électorale, menée en son nom par les responsables des partis de la majorité présidentielle.
Tout ce qui a été fait au cours de cette période post-élection ne porte pas sa signature personnelle, ou du moins n’est pas perçu comme tel. En dehors de la désignation d’un nouveau gouvernement – avec de vraies surprises à certains postes – et de la mise à l’écart de Belkhadem, rien de ce qui a été fait n’indique que le président élu est effectivement aux mannettes du pouvoir.
Et même sur ces points, l’opinion publique ne distingue pas clairement la signature personnelle du chef de l’Etat ; beaucoup y voit celle de Saïd et/ou de l’entourage immédiat du président élu. Le projet de révision constitutionnelle est l’occasion pour Abdelaziz Bouteflika de se repositionner comme le maître du jeu ; celui qui va imposer un nouveau calendrier politique qu’il va opposer à ses détracteurs et ses adversaires qui veulent son éviction par le jeu de l’article 88 de la Constitution ou purement et simplement sa démission (sans compter ceux qui lui demandent d’organiser lui-même et immédiatement sa succession par l’intermédiaire d’une transition sauvegardant l’essentiel du système en place).
Jusqu’à maintenant, personne – y compris Ouyahia qui a mené les consultations pour une réforme consensuelle de la Constitution – ne sait vraiment ce que le projet, qui sera soumis à l’APN et au Conseil de la nation réunis en congrès (avec ou sans référendum confirmatif), comprendra. Elle ne sera certainement pas «la synthèse des propositions recueillies lors des différentes consultations». Bouteflika se laisse toute latitude pour décider de ce que sera la prochaine Constitution du pays.
En dehors du retour à la limitation des mandats présidentiels qui semble acté – quelle que soit sa forme (deux quinquennats, un ou deux septennats), tout est encore ouvert et ne dépend que de la volonté du Président. Lui seul décidera si la nouvelle Loi fondamentale instaurera ou non le poste de vice-président, successeur désigné au poste de chef de l’Etat, quelles que soient les conditions de la succession. Seul lui décidera s’il faudra recréer le poste de chef du gouvernement et lui donner des pouvoirs étendus pour gouverner en son nom.
Seul lui décidera – ou non – d’étendre les pouvoirs de l’APN et de rendre le gouvernement responsable devant elle. De même qu’il décidera seul de la mesure symbolique, mais éminemment politique, de l’officialisation de la langue amazighe. Il pourrait aussi – c’est attendu par certains partis politiques de l’opposition démocratique et par une frange importante de la société civile – décider de désigner l’armée comme gardienne du caractère républicain et démocratique du régime politique algérien.
En fait, ce qui changera dans la présente Constitution proviendra de la seule volonté de Bouteflika. On voit donc que les enjeux sont vraiment importants pour un Président considéré par l’opposition et une partie importante des citoyens comme impotent et en incapacité de gouverner et de décider.
- Les partis d’opposition, notamment ceux qui font partie de la CLTD et de l’ISCO, estiment que cette annonce est synonyme de panique qui a gagné le régime après leur appel à une présidentielle anticipée. Cette lecture est-elle plausible ?
Les partis d’opposition – composant la CLTD et l’ISCO – sont dans leur rôle en affirmant cela. Mais aucun de leurs membres ne croit sérieusement que le pouvoir est en situation de panique. Et s’il l’est, ce n’est certainement pas pour cette raison. L’appel à une présidentielle anticipée ne fait pas peur à Bouteflika et à son camp. Tout comme l’opposition a lutté longtemps, et sans aucun effet, pour l’application de l’article 88 de la Constitution, son appel à une présidentielle anticipée n’a et n’aura aucun effet.
Ce n’est donc pas cela qui peut paniquer le pouvoir. La seule chose qui peut le faire, c’est la perspective – réelle – de la persistance sur un temps assez long pour dégrader suffisamment la situation financière du pays, de la chute du prix du pétrole brut. Il n’y a que cette perspective qui fera perdre au pouvoir sa capacité à maîtriser la fronde sociale et les émeutes populaires que la perte du matelas de pétrodollars entrainera automatiquement. Le pouvoir sait que rien ne pourra arrêter un peuple qui a faim ou, tout simplement, qui a peur d’avoir faim.
- L’initiative de la délégation de l’Union européenne qui a rencontré, il y a quelques jours, des partis politiques algériens a suscité une levée de boucliers au sein du pouvoir qui, par le biais des partis qui lui sont proches, crie au scandale. Comment expliquer cette réaction ?
La délégation de l’Union européenne n’a pu venir en Algérie et entreprendre sa mission (son enquête ?) qu’avec l’autorisation du gouvernement algérien. Son programme devait nécessairement être connu des autorités ; donc validé, au moins dans ses grandes lignes.
Donc, les cris d’orfraie des partis proches du régime ne sont que du cinéma. Ils ne servent à rien d’autre qu’à intimider les partis d’opposition qui ont reçu la délégation afin qu’ils n’aillent pas trop loin dans leur critique du régime politique algérien.
Ce qui est complètement inutile, tant ces partis n’ont pas attendu la venue de la délégation européenne pour dénoncer l’absence de démocratie réelle, la détérioration des droits de l’homme, de la liberté de la presse, de la liberté de conscience, de celle de manifester pacifiquement, de pratiquer librement son culte, etc.
Les cris d’orfraie des partis du régime ou alliés à lui pouvaient avoir aussi pour objectif de faire pression sur les membres de la délégation européenne pour qu’ils limitent leurs investigations et ne cherchent pas à aller plus en profondeur pour ne pas «dénuder le roi». Tout cela en vain. Parce que ce qui intéressait fondamentalement la délégation c’est de voir sur le terrain la vérité de l’Algérie de 2014 : sa situation politique liée à la santé du Président et à l’incertitude qu’elle fait peser sur l’avenir. Quid de la succession ? Dans quelles conditions se fera-t-elle ? A quel horizon ? Qui en bénéficiera ?
- La présidence de la République vient de relancer, pour la énième fois, le projet de la révision constitutionnelle. Selon le message du président Bouteflika, la future Constitution sera la synthèse des propositions recueillies lors des différentes consultations avec les acteurs politiques. Pourquoi le pouvoir a-t-il attendu la fin de l’année 2014 pour annoncer sa volonté de concrétiser ce projet, alors que le chef de l’Etat avait annoncé son adoption durant cette même année ?
La présidence de la République, comme vous le dites, en fait le Président veut rester le maître du jeu politique. Il veut montrer que c’est toujours lui qui décide de ce qui doit se faire d’important et de significatif et aussi du moment où cela devra se faire. Il veut indiquer qu’il est le seul maître du jeu et qu’il compte le rester.
En cette fin d’année 2014, après près de neuf mois d’exercice d’un quatrième mandat sans un événement véritablement significatif de l’action personnelle du président élu, il a jugé qu’il est temps qu’il se remette en selle sur une question essentielle : une des promesses majeures de sa campagne électorale, menée en son nom par les responsables des partis de la majorité présidentielle.
Tout ce qui a été fait au cours de cette période post-élection ne porte pas sa signature personnelle, ou du moins n’est pas perçu comme tel. En dehors de la désignation d’un nouveau gouvernement – avec de vraies surprises à certains postes – et de la mise à l’écart de Belkhadem, rien de ce qui a été fait n’indique que le président élu est effectivement aux mannettes du pouvoir.
Et même sur ces points, l’opinion publique ne distingue pas clairement la signature personnelle du chef de l’Etat ; beaucoup y voit celle de Saïd et/ou de l’entourage immédiat du président élu. Le projet de révision constitutionnelle est l’occasion pour Abdelaziz Bouteflika de se repositionner comme le maître du jeu ; celui qui va imposer un nouveau calendrier politique qu’il va opposer à ses détracteurs et ses adversaires qui veulent son éviction par le jeu de l’article 88 de la Constitution ou purement et simplement sa démission (sans compter ceux qui lui demandent d’organiser lui-même et immédiatement sa succession par l’intermédiaire d’une transition sauvegardant l’essentiel du système en place).
Jusqu’à maintenant, personne – y compris Ouyahia qui a mené les consultations pour une réforme consensuelle de la Constitution – ne sait vraiment ce que le projet, qui sera soumis à l’APN et au Conseil de la nation réunis en congrès (avec ou sans référendum confirmatif), comprendra. Elle ne sera certainement pas «la synthèse des propositions recueillies lors des différentes consultations». Bouteflika se laisse toute latitude pour décider de ce que sera la prochaine Constitution du pays.
En dehors du retour à la limitation des mandats présidentiels qui semble acté – quelle que soit sa forme (deux quinquennats, un ou deux septennats), tout est encore ouvert et ne dépend que de la volonté du Président. Lui seul décidera si la nouvelle Loi fondamentale instaurera ou non le poste de vice-président, successeur désigné au poste de chef de l’Etat, quelles que soient les conditions de la succession. Seul lui décidera s’il faudra recréer le poste de chef du gouvernement et lui donner des pouvoirs étendus pour gouverner en son nom.
Seul lui décidera – ou non – d’étendre les pouvoirs de l’APN et de rendre le gouvernement responsable devant elle. De même qu’il décidera seul de la mesure symbolique, mais éminemment politique, de l’officialisation de la langue amazighe. Il pourrait aussi – c’est attendu par certains partis politiques de l’opposition démocratique et par une frange importante de la société civile – décider de désigner l’armée comme gardienne du caractère républicain et démocratique du régime politique algérien.
En fait, ce qui changera dans la présente Constitution proviendra de la seule volonté de Bouteflika. On voit donc que les enjeux sont vraiment importants pour un Président considéré par l’opposition et une partie importante des citoyens comme impotent et en incapacité de gouverner et de décider.
- Les partis d’opposition, notamment ceux qui font partie de la CLTD et de l’ISCO, estiment que cette annonce est synonyme de panique qui a gagné le régime après leur appel à une présidentielle anticipée. Cette lecture est-elle plausible ?
Les partis d’opposition – composant la CLTD et l’ISCO – sont dans leur rôle en affirmant cela. Mais aucun de leurs membres ne croit sérieusement que le pouvoir est en situation de panique. Et s’il l’est, ce n’est certainement pas pour cette raison. L’appel à une présidentielle anticipée ne fait pas peur à Bouteflika et à son camp. Tout comme l’opposition a lutté longtemps, et sans aucun effet, pour l’application de l’article 88 de la Constitution, son appel à une présidentielle anticipée n’a et n’aura aucun effet.
Ce n’est donc pas cela qui peut paniquer le pouvoir. La seule chose qui peut le faire, c’est la perspective – réelle – de la persistance sur un temps assez long pour dégrader suffisamment la situation financière du pays, de la chute du prix du pétrole brut. Il n’y a que cette perspective qui fera perdre au pouvoir sa capacité à maîtriser la fronde sociale et les émeutes populaires que la perte du matelas de pétrodollars entrainera automatiquement. Le pouvoir sait que rien ne pourra arrêter un peuple qui a faim ou, tout simplement, qui a peur d’avoir faim.
- L’initiative de la délégation de l’Union européenne qui a rencontré, il y a quelques jours, des partis politiques algériens a suscité une levée de boucliers au sein du pouvoir qui, par le biais des partis qui lui sont proches, crie au scandale. Comment expliquer cette réaction ?
La délégation de l’Union européenne n’a pu venir en Algérie et entreprendre sa mission (son enquête ?) qu’avec l’autorisation du gouvernement algérien. Son programme devait nécessairement être connu des autorités ; donc validé, au moins dans ses grandes lignes.
Donc, les cris d’orfraie des partis proches du régime ne sont que du cinéma. Ils ne servent à rien d’autre qu’à intimider les partis d’opposition qui ont reçu la délégation afin qu’ils n’aillent pas trop loin dans leur critique du régime politique algérien.
Ce qui est complètement inutile, tant ces partis n’ont pas attendu la venue de la délégation européenne pour dénoncer l’absence de démocratie réelle, la détérioration des droits de l’homme, de la liberté de la presse, de la liberté de conscience, de celle de manifester pacifiquement, de pratiquer librement son culte, etc.
Les cris d’orfraie des partis du régime ou alliés à lui pouvaient avoir aussi pour objectif de faire pression sur les membres de la délégation européenne pour qu’ils limitent leurs investigations et ne cherchent pas à aller plus en profondeur pour ne pas «dénuder le roi». Tout cela en vain. Parce que ce qui intéressait fondamentalement la délégation c’est de voir sur le terrain la vérité de l’Algérie de 2014 : sa situation politique liée à la santé du Président et à l’incertitude qu’elle fait peser sur l’avenir. Quid de la succession ? Dans quelles conditions se fera-t-elle ? A quel horizon ? Qui en bénéficiera ?
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