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A Londres, une cité en lutte contre « l'épuration sociale »

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  • A Londres, une cité en lutte contre « l'épuration sociale »

    Les résidents d'une cité de Londres se mobilisent contre les expulsions et la hausse des loyers, après le rachat de leurs logements par un fonds spéculatif américain.

    L'histoire a des airs de conte social à la Dickens. Dans le rôle du pot de terre, les habitants d'un bloc de logements sociaux de l'Est londonien, qui se battent pour garder les appartements qu'ils occupent depuis des décennies. Quatre-vingt-treize familles – des retraités, des employés, des ouvriers dans le bâtiment – menacées de se retrouver à la rue, à quelques semaines de Noël. Incarnant le pot de fer, un fonds d'investissement privé basé à New York qui, avec l'aide du plus riche député du Parlement britannique, a racheté les immeubles pour les rénover dans l'optique de les louer « à la valeur du marché ». Soit en triplant les loyers, quitte à expulser les locataires actuels, dans l'incapacité de payer.
    Cet ensemble d'immeubles décrépis aux briques noircies a été construit dans les années 1930 par un philanthrope, à l'instar de nombreux autres logements sociaux dans le pays. Jusqu'à présent, les bailleurs des appartements de la cité New Era ont toujours pratiqué des loyers très modérés, en bonne intelligence avec les autorités locales. Hackney, le quartier populaire emblématique où se trouvent les barres, a longtemps été snobé par les ménages aisés. Aujourd'hui, cafés à la mode et boutiques bobo ont pignon sur rue, et la proximité de cet ancien ghetto avec la City ne fait que renforcer l'attractivité du lieu. Ce qui n'a pas échappé aux descendants de la famille Lever, les propriétaires, qui ont fait une croix sur quatre-vingts ans de mission sociale en mettant les immeubles en vente, il y a deux ans.
    PLACEMENTS IMMOBILIERS « OPPORTUNISTES »
    « Personne ne voulait vivre ici il y a dix ans. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est de l'épuration sociale », raconte Lindsey Garrett, une employée de la NHS (la Sécurité sociale anglaise) qui vit là depuis toujours – ses parents habitent quelques étages au-dessous. « Les gens avec des boulots normaux et qui gagnent des salaires normaux sont poussés hors de Londres », se désole cette mère célibataire de 35 ans, devenue le visage de la contestation.
    Comble de l'ironie, le fonds de pension Westbrook Partners, qui a remporté la mise en mars, agit principalement pour le compte de fonctionnaires américains : pompiers, enseignants, policiers, tout aussi « normaux ». La firme américaine s'est spécialisée dans les placements immobiliers « opportunistes » visant les « actifs sous-évalués » dans les grandes villes. Une pratique qui lui a déjà valu une condamnation au printemps à New York, pour avoir surfacturé les loyers dans des immeubles insalubres.
    Selon Lindsey Garrett, c'est une simple lettre, en mars, qui a prévenu du changement de propriétaire, demandant dans la foulée que de nouveaux baux soient signés et prévoyant le départ des locataires sous deux semaines, en cas de travaux de rénovation. Le début d'une longue mobilisation, qui commence à porter ses fruits.
    Début novembre, le collectif de résidents a obtenu sa première victoire avec le retrait de Richard Benyon, député conservateur à la tête d'une colossale fortune familiale et foncière. Surtout connu en Angleterre pour avoir expliqué que les ménages modestes « avaient faim parce qu'ils gâchent trop de nourriture », le millionnaire, qui avait pris 10 % de parts dans l'opération, a cédé à la pression populaire. Et Russell Brand, comique britannique néo-révolutionnaire - et revenu d'Hollywood -, s'est emparé de l'affaire, lui donnant un nouveau souffle médiatique.

    A Londres, objet d'une spéculation immobilière intense qui en fait la deuxième ville la plus chère du monde en matière de loyers (derrière Monaco), la révolte des résidents de New Era est vue comme une parabole de la gentrification. D'autant que de nouvelles révélations ont scandalisé l'opinion publique. Entre autres : Westbrook aurait basé la gestion de l'opération immobilière à Jersey pour échapper aux impôts sur les sociétés, et le manager du bureau londonien de la firme se serait offert un gigantesque manoir. Acculé, le maire de Londres, Boris Johnson, a apporté un soutien tardif aux habitants, même si ses pouvoirs en la matière sont limités.
    Joint par M Le magazine du Monde, un chargé de communication de Westbrook assure que les expulsions avant Noël n'ont jamais été à l'ordre du jour et que les baux seront maintenus tels quels pour les six premiers mois de 2015, le temps qu'un « dialogue constructif » soit engagé. La firme justifie l'augmentation des loyers par les rénovations qui doivent compenser quarante ans de vétusté. « Ils espèrent que le mouvement s'essouffle, estime Lindsey Garrett. S'ils veulent nous faire partir, il faudra nous expulser physiquement. Des centaines de personnes sont prêtes à faire barrage si cela se produit. Les gens veulent que nous gagnions cette bataille, car cela créerait un précédent. » Et de conclure : « Au fond, nous ne réclamons rien, juste qu'on nous laisse tranquilles. »

    Le Monde
    Dernière modification par mohoo, 07 décembre 2014, 15h12. Motif: correction
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