«Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.»
(Friedrich Hegel, 1770-1831, penseur, La Raison dans l’Histoire)
En transplantation, la légende a précédé, de beaucoup, la réalité. Elle fut, peut-être, inspirée par un beau tableau de la Renaissance italienne représentant la «greffe miraculeuse» de la première transplantation par les frères Saint Côme et Saint Damien. Ils ont greffé la jambe prélevée sur le cadavre d’un Ethiopien (Noir) à la place de la jambe gangrenée du sacristain (Blanc) d’une église cardinalice de Rome. La légende ne dit pas si la greffe a été acceptée ou rejetée. Mais elle a nourri l’imagination de l’Homme. Et, aussi, guidé ses pas. La transplantation connut assurément un élan nouveau, et sa véritable efficacité, après la grande découverte de Jean Dausset des groupes tissulaires (groupes HLA) qui gouvernent la compatibilité de greffes. Mais elle avait commencé véritablement dès 1945 et devait se poursuivre pendant près de trente ans avec tour à tour les premiers essais expérimentaux, les premiers essais chez l’homme, les déceptions, les espoirs, les déceptions encore, enfin le succès et les milliers d’êtres humains qui, dans le monde, lui doivent la poursuite de la vie. La transplantation (ou greffe) d’un organe est une opération chirurgicale qui consiste à remplacer un organe malade ou défaillant, comme le cœur, le foie, un rein ou un poumon, par un organe sain prélevé chez un donneur. L’organe peut provenir d’une personne décédée, ce qui est toujours le cas pour une greffe du cœur, ou d’un donneur vivant, dans les cas d’une greffe du rein, du foie et, rarement, du poumon. Indéniablement, la transplantation prolonge et améliore la vie d’un nombre croissant de patients qui présentent une défaillance ultime d’un ou plusieurs organes.
La transplantation d’organes est la seule issue thérapeutique pour beaucoup de pathologies qui entraînent une perte de fonction irréversible d’organes vitaux. Les progrès majeurs réalisés au cours des vingt dernières années ont abouti à une augmentation significative du nombre de patients pouvant avoir accès à une transplantation. De même, le nombre de re-transplantations suite à des pertes de fonction du greffon, plusieurs années après une première greffe, a augmenté. Cette situation qui, pour des raisons évidentes, revêt un impact majeur en termes de santé publique explique le besoin de faire un point objectif de la situation afin, d’une part, de dresser la liste des acquis et, d’autre part, de définir les axes de recherche qu’il est indispensable de développer.
Le but de cette contribution est de fournir les éléments de connaissance, issus de l’expérience internationale, permettant d’aboutir à des indications concrètes.
En effet, une meilleure connaissance des mécanismes de rejet et la découverte de molécules immunosuppressives (médicaments anti-rejet) ont permis, dans les années soixante, le remplacement, chez l'homme, d'organes vascularisés non fonctionnels par des organes humains prélevés chez d'autres hommes (homogreffe ou allogreffe : greffon prélevé chez la même espèce). Dans la chronologie, il s’agit d'abord du rein, puis le cœur, le foie, le poumon, le pancréas, l'intestin et enfin les bras et le visage. L'amélioration des résultats à court, puis à long terme a créé progressivement un élargissement des indications des transplantations d'organes aboutissant à une situation de pénurie de greffons. Parallèlement la nécessité de maintenir pendant toute la durée de vie du greffon un traitement immunosuppresseur a induit la survenue de nouveaux problèmes cliniques liés en particulier au déficit chronique de l’immunité.
Dans le monde, plusieurs centaines de milliers de personnes vivent avec un organe transplanté. Ainsi, le nombre de patients transplantés chaque année a rapidement augmenté tout au long des années 1980 pour atteindre un maximum dans les années 1990 et ensuite diminuer quelque peu en raison de la pénurie de greffons disponibles. Depuis dix ans, ce niveau est resté relativement stable. Le rein représente de loin la première transplantation d'organe, suivi du foie, du cœur, du poumon, du bloc cœur poumons, du pancréas et de l'intestin.
L’histoire de la transplantation d’organes aujourd’hui et hier
La transplantation est une thérapeutique récente dont on peut fixer l’origine aux premières greffes rénales que David Hume pratiqua à l’hôpital général de l’université de Harvard à partir de 1951. À l’époque, il s’agissait d’une thérapeutique expérimentale, une de celle que l’on «offrait» aux patients quand plus rien d’autre ne pouvait être tenté. Ces tentatives échouèrent régulièrement jusqu’à la greffe de rein entre deux jumeaux homozygotes (ils ont exactement les mêmes caractéristiques génétiques) que réalisa Joseph Murray, futur prix Nobel de médecine, avec l’aide de Francis Moore. Une fois ce premier succès acquis, les chirurgiens transplanteurs parvinrent à développer cette thérapeutique en élargissant l’application selon deux voies. Premièrement, ils élaborèrent des protocoles chirurgicaux pour la greffe d’autres organes que le rein. Les premières greffes expérimentales sur l’homme furent successivement réalisées pour le foie (1963), les poumons (1964), le pancréas (1964) et le cœur (1968). Deuxièmement, la greffe devait sortir du cadre étroit d’une thérapeutique qui ne fonctionnerait que pour les seuls jumeaux homozygotes. Cette voie-là fut la plus difficile à franchir puisqu’elle demanda à ce que fussent maîtrisés les processus fondamentaux et complexes en proportion des réactions immunitaires de l’organisme face à l’intrusion d’un organe «étranger» (ou plus exactement le «non soi») dans le corps du receveur.
Dès la fin des années 1950, en France (René Küss, Jean Hamburger) comme aux Etats-Unis (Thomas Starzl) les greffes furent accompagnées de traitements en vue de diminuer le rejet par l’organisme de l’organe greffé. Mais ce ne fut qu’au début des années 1970 que les chirurgiens furent en possession d’un médicament immunosuppresseur puissant et dont ils maîtrisèrent la toxicité : la cyclosporine A. Avec l’arrivée de ce nouveau médicament et grâce à la redéfinition de la mort comme mort encéphalique qui se généralisa après que le «Ad Hoc Committee» de Harvard eut rendu ses conclusions en 1968, les chirurgiens transplanteurs furent en mesure de développer la greffe thérapeutique, d’abord pour les reins, ensuite pour les autres organes solides mentionnés plus haut. Entre 1975 et 1985, le nombre de greffes rénales fut multiplié par cinq aux Etats-Unis comme en France. La transplantation passait définitivement du statut de chirurgie expérimentale à celui de service médical que l’on offrit sur une large base aux malades. Le développement des transplantations a été facilité par le fait que la plus importante d’entre elles représentée par la transplantation rénale, soit environ deux tiers du total, procurait de substantielles économies aux systèmes de soins. En effet, parallèlement au développement de la greffe rénale, s’était mise en place une offre de soins alternatifs avec la dialyse, laquelle permet de procéder à l’épuration du sang des malades dont les reins ne fonctionnent plus. Malgré son coût élevé, dès lors que les chirurgiens ont atteint des taux de réussite très élevés (pour la greffe rénale, ils sont au-dessus de 90% de réussite à échéance de un an), la transplantation rénale est bien moins coûteuse que la dialyse, tout en améliorant substantiellement la qualité de vie des malades.
Pour des raisons didactiques, la chronologie de cette histoire des greffes est la suivante : la greffe d’organes (et de tissus) est passée de la petite histoire à la grande aventure. D’une simple curiosité expérimentale à la greffe complète d’un visage. Et pas plus que le 4 octobre dernier, la revue médicale The Lancet rapporte la fantastique nouvelle, celle de la naissance d’un petit garçon, pesant 1,775 kg, chez une maman de 35 ans avec un utérus greffé par l’équipe suédoise du Pr Mats Bränström à l’hôpital de Gothembourg, en Suède. L’utérus a été prélevé chez une femme ménopausée âgée de 61 ans. Au préalable les ovules étaient prélevés chez la jeune femme, puis fécondés in vitro avec les spermatozoïdes de son mari et ensuite congelés. L’implantation a eu lieu une fois l’utérus greffé accepté par la receveuse et la jeune femme est tombée enceinte et a accouché avec succès à 31 semaines et demie de grossesse (presque 8 mois).
Il s’agit d’un exploit médical porteur d’espoir pour de nombreuses femmes. Celles qui naissent génétiquement sans utérus ou avec un utérus détérioré par un fibrome ou atteintes d’un cancer de l’utérus.
Il s’agit donc d’une longue histoire passionnante mais semée d’embûches et parfois de légendes. Des difficultés certes mais qui ont nourri l’imaginaire de l’homme aboutissant à des succès indiscutables comme la greffe de cellules souches multipotentielles réparatrices quasiment de tous les organes et tissus. En effet, la possibilité de greffer un organe n’a pas toujours été évidente, une succession de découvertes et de tentatives plus ou moins fructueuses ont jalonné les progrès amenant à la situation actuelle.
Le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que la transplantation d’organes est gouvernée par quatre volets, ci-après évoqués, complémentaires et solidairement associés.
(Friedrich Hegel, 1770-1831, penseur, La Raison dans l’Histoire)
En transplantation, la légende a précédé, de beaucoup, la réalité. Elle fut, peut-être, inspirée par un beau tableau de la Renaissance italienne représentant la «greffe miraculeuse» de la première transplantation par les frères Saint Côme et Saint Damien. Ils ont greffé la jambe prélevée sur le cadavre d’un Ethiopien (Noir) à la place de la jambe gangrenée du sacristain (Blanc) d’une église cardinalice de Rome. La légende ne dit pas si la greffe a été acceptée ou rejetée. Mais elle a nourri l’imagination de l’Homme. Et, aussi, guidé ses pas. La transplantation connut assurément un élan nouveau, et sa véritable efficacité, après la grande découverte de Jean Dausset des groupes tissulaires (groupes HLA) qui gouvernent la compatibilité de greffes. Mais elle avait commencé véritablement dès 1945 et devait se poursuivre pendant près de trente ans avec tour à tour les premiers essais expérimentaux, les premiers essais chez l’homme, les déceptions, les espoirs, les déceptions encore, enfin le succès et les milliers d’êtres humains qui, dans le monde, lui doivent la poursuite de la vie. La transplantation (ou greffe) d’un organe est une opération chirurgicale qui consiste à remplacer un organe malade ou défaillant, comme le cœur, le foie, un rein ou un poumon, par un organe sain prélevé chez un donneur. L’organe peut provenir d’une personne décédée, ce qui est toujours le cas pour une greffe du cœur, ou d’un donneur vivant, dans les cas d’une greffe du rein, du foie et, rarement, du poumon. Indéniablement, la transplantation prolonge et améliore la vie d’un nombre croissant de patients qui présentent une défaillance ultime d’un ou plusieurs organes.
La transplantation d’organes est la seule issue thérapeutique pour beaucoup de pathologies qui entraînent une perte de fonction irréversible d’organes vitaux. Les progrès majeurs réalisés au cours des vingt dernières années ont abouti à une augmentation significative du nombre de patients pouvant avoir accès à une transplantation. De même, le nombre de re-transplantations suite à des pertes de fonction du greffon, plusieurs années après une première greffe, a augmenté. Cette situation qui, pour des raisons évidentes, revêt un impact majeur en termes de santé publique explique le besoin de faire un point objectif de la situation afin, d’une part, de dresser la liste des acquis et, d’autre part, de définir les axes de recherche qu’il est indispensable de développer.
Le but de cette contribution est de fournir les éléments de connaissance, issus de l’expérience internationale, permettant d’aboutir à des indications concrètes.
En effet, une meilleure connaissance des mécanismes de rejet et la découverte de molécules immunosuppressives (médicaments anti-rejet) ont permis, dans les années soixante, le remplacement, chez l'homme, d'organes vascularisés non fonctionnels par des organes humains prélevés chez d'autres hommes (homogreffe ou allogreffe : greffon prélevé chez la même espèce). Dans la chronologie, il s’agit d'abord du rein, puis le cœur, le foie, le poumon, le pancréas, l'intestin et enfin les bras et le visage. L'amélioration des résultats à court, puis à long terme a créé progressivement un élargissement des indications des transplantations d'organes aboutissant à une situation de pénurie de greffons. Parallèlement la nécessité de maintenir pendant toute la durée de vie du greffon un traitement immunosuppresseur a induit la survenue de nouveaux problèmes cliniques liés en particulier au déficit chronique de l’immunité.
Dans le monde, plusieurs centaines de milliers de personnes vivent avec un organe transplanté. Ainsi, le nombre de patients transplantés chaque année a rapidement augmenté tout au long des années 1980 pour atteindre un maximum dans les années 1990 et ensuite diminuer quelque peu en raison de la pénurie de greffons disponibles. Depuis dix ans, ce niveau est resté relativement stable. Le rein représente de loin la première transplantation d'organe, suivi du foie, du cœur, du poumon, du bloc cœur poumons, du pancréas et de l'intestin.
L’histoire de la transplantation d’organes aujourd’hui et hier
La transplantation est une thérapeutique récente dont on peut fixer l’origine aux premières greffes rénales que David Hume pratiqua à l’hôpital général de l’université de Harvard à partir de 1951. À l’époque, il s’agissait d’une thérapeutique expérimentale, une de celle que l’on «offrait» aux patients quand plus rien d’autre ne pouvait être tenté. Ces tentatives échouèrent régulièrement jusqu’à la greffe de rein entre deux jumeaux homozygotes (ils ont exactement les mêmes caractéristiques génétiques) que réalisa Joseph Murray, futur prix Nobel de médecine, avec l’aide de Francis Moore. Une fois ce premier succès acquis, les chirurgiens transplanteurs parvinrent à développer cette thérapeutique en élargissant l’application selon deux voies. Premièrement, ils élaborèrent des protocoles chirurgicaux pour la greffe d’autres organes que le rein. Les premières greffes expérimentales sur l’homme furent successivement réalisées pour le foie (1963), les poumons (1964), le pancréas (1964) et le cœur (1968). Deuxièmement, la greffe devait sortir du cadre étroit d’une thérapeutique qui ne fonctionnerait que pour les seuls jumeaux homozygotes. Cette voie-là fut la plus difficile à franchir puisqu’elle demanda à ce que fussent maîtrisés les processus fondamentaux et complexes en proportion des réactions immunitaires de l’organisme face à l’intrusion d’un organe «étranger» (ou plus exactement le «non soi») dans le corps du receveur.
Dès la fin des années 1950, en France (René Küss, Jean Hamburger) comme aux Etats-Unis (Thomas Starzl) les greffes furent accompagnées de traitements en vue de diminuer le rejet par l’organisme de l’organe greffé. Mais ce ne fut qu’au début des années 1970 que les chirurgiens furent en possession d’un médicament immunosuppresseur puissant et dont ils maîtrisèrent la toxicité : la cyclosporine A. Avec l’arrivée de ce nouveau médicament et grâce à la redéfinition de la mort comme mort encéphalique qui se généralisa après que le «Ad Hoc Committee» de Harvard eut rendu ses conclusions en 1968, les chirurgiens transplanteurs furent en mesure de développer la greffe thérapeutique, d’abord pour les reins, ensuite pour les autres organes solides mentionnés plus haut. Entre 1975 et 1985, le nombre de greffes rénales fut multiplié par cinq aux Etats-Unis comme en France. La transplantation passait définitivement du statut de chirurgie expérimentale à celui de service médical que l’on offrit sur une large base aux malades. Le développement des transplantations a été facilité par le fait que la plus importante d’entre elles représentée par la transplantation rénale, soit environ deux tiers du total, procurait de substantielles économies aux systèmes de soins. En effet, parallèlement au développement de la greffe rénale, s’était mise en place une offre de soins alternatifs avec la dialyse, laquelle permet de procéder à l’épuration du sang des malades dont les reins ne fonctionnent plus. Malgré son coût élevé, dès lors que les chirurgiens ont atteint des taux de réussite très élevés (pour la greffe rénale, ils sont au-dessus de 90% de réussite à échéance de un an), la transplantation rénale est bien moins coûteuse que la dialyse, tout en améliorant substantiellement la qualité de vie des malades.
Pour des raisons didactiques, la chronologie de cette histoire des greffes est la suivante : la greffe d’organes (et de tissus) est passée de la petite histoire à la grande aventure. D’une simple curiosité expérimentale à la greffe complète d’un visage. Et pas plus que le 4 octobre dernier, la revue médicale The Lancet rapporte la fantastique nouvelle, celle de la naissance d’un petit garçon, pesant 1,775 kg, chez une maman de 35 ans avec un utérus greffé par l’équipe suédoise du Pr Mats Bränström à l’hôpital de Gothembourg, en Suède. L’utérus a été prélevé chez une femme ménopausée âgée de 61 ans. Au préalable les ovules étaient prélevés chez la jeune femme, puis fécondés in vitro avec les spermatozoïdes de son mari et ensuite congelés. L’implantation a eu lieu une fois l’utérus greffé accepté par la receveuse et la jeune femme est tombée enceinte et a accouché avec succès à 31 semaines et demie de grossesse (presque 8 mois).
Il s’agit d’un exploit médical porteur d’espoir pour de nombreuses femmes. Celles qui naissent génétiquement sans utérus ou avec un utérus détérioré par un fibrome ou atteintes d’un cancer de l’utérus.
Il s’agit donc d’une longue histoire passionnante mais semée d’embûches et parfois de légendes. Des difficultés certes mais qui ont nourri l’imaginaire de l’homme aboutissant à des succès indiscutables comme la greffe de cellules souches multipotentielles réparatrices quasiment de tous les organes et tissus. En effet, la possibilité de greffer un organe n’a pas toujours été évidente, une succession de découvertes et de tentatives plus ou moins fructueuses ont jalonné les progrès amenant à la situation actuelle.
Le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que la transplantation d’organes est gouvernée par quatre volets, ci-après évoqués, complémentaires et solidairement associés.
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