Boniface Musavul
Agoravox
La guerre qui sévit en République Démocratique du Congo, et ses horreurs, sont souvent présentées comme l'échec du président Kabila et de la communauté internationale. Il s'agit, en réalité, d'une réussite éclatante d'une stratégie dont le Congo et les Congolais sont la cible. Le dernier ouvrage de l'analyste des questions géopolitiques Patrick Mbeko, « Stratégie du chaos et du mensonge », en donne une remarquable démonstration. L'auteur analyse les enjeux qui se trament derrière les souffrances des Congolais depuis l'acquisition du pays par le Roi des Belges Léopold II, en 1885, jusqu'à sa mise sous tutelle actuelle, par les milieux d'affaires occidentaux derrière le triumvirat Museveni-Kagame-Kabila et la Monusco.
Lorsqu'on jette un coup d'œil sur l'holocauste qui se déroule au Congo, avec ses millions de morts, les clichés des reportages sur l'Afrique sont qu'il s'agit de conflits entre tribus africaines au « Cœur des ténèbres ». Patrick Mbeko, qui coécrit l'ouvrage avec un fin connaisseur des enjeux du Congo, en la personne d'Honoré Ngbanda[1], va droit au cœur des enjeux de la guerre. A l'appui des enquêtes des Nations-Unies il démontre que l'instabilité chronique à laquelle nous assistons est entretenue à dessein. Il s'agit d'une politique de chaos sciemment organisée qui a pour objectif d'affaiblir durablement le pays, d'en faire un non-État, réduit au simple rôle de coffre-fort où les groupes financiers et les élites occidentales puisent d'immenses richesses naturelles sans être importunés. Il s'agit de la mise en pratique de la théorie longuement murie du « chaos constructeur », chère aux stratèges américains.
La stratégie du chaos dans le cas du Congo
Dans une région riche et convoitée, on choisit d'abord un État pivot[2]. Ensuite, à partir de cet État, on provoque et on entretient les conflits. On encourage les viols, on occasionne des déplacements des populations, on génère la famine, des maladies, bref, on engendre une atmosphère de désolation. De ce chaos doit émerger un ordre nouveau reposant sur l'anéantissement des peuples et permettant à la minorité des privilégiés constituant le 1 % de maintenir leur train de vie princier[3]. Toutes les guerres qui se produisent au Congo ont pour enjeu le contrôle des matières premières, dont les riches gisements miniers du pays[4]. Pour entretenir durablement le chaos, les « stratèges » commencent par remporter la bataille de l'information. Dans le cas du Congo, le contrôle de l'information se traduit par une gigantesque masse des désinformations destinées à dissimuler, non seulement les vrais enjeux de la guerre, mais surtout les personnalités et les multinationales qui se procurent, derrière le chaos entretenu, des profits faramineux.
Un dispositif à trois têtes
Pour que perdure cette économie du chaos qui permet aux multinationales anglo-américaines d'engranger des profits toujours faramineux, un dispositif politique a été mis en place. Il est articulé autour d'un triumvirat[5] associant les trois présidents tutsi/hima de la région : l'Ougandais Yoweri Museveni dans le rôle de l'architecte, le Rwandais Paul Kagame dans le rôle du maître d'ouvrage et « Joseph Kabila »[6] dans le rôle du « cheval de Troie ». Les trois hommes, par leurs armées respectives, ont pour mission de maintenir le Congo dans une situation permanente d'État raté, avec une armée congolaise continuellement paralysée et mise dans l'incapacité de s'imposer, même face à un banal groupe armé. Pourquoi ? Parce qu'un Congo qui se redresse, et dont les autorités prennent le contrôle effectif du territoire national, serait un frein aux intérêts des multinationales qui gravitent autour des présidents Kagame, Museveni et Kabila.
Mais dans le cas spécifique du Congo, à côté des intérêts des multinationales anglo-américaines, les désordres fomentés par les trois présidents servent les objectifs d'une élite régionale, l'élite tutsie rwandaise. Cette dernière, bien que n'appartenant à aucune des tribus autochtones congolaises[7], avaient tout de même revendiqué, dès 1981, dans une lettre adressée au Secrétaire général de l'ONU[8], l'ambition de détacher la riche région du Kivu pour la rattacher progressivement au Rwanda. Ce qui est quasiment en train de se réaliser grâce au travail destructeur des trois présidents[9]. Le drame pour le Congo est que les ambitions de cette minorité régionale coïncident avec les intérêts de la minorité des privilégiés occidentaux, les fameux 1%, qui maintiennent leur train de vie en entretenant le chaos dans différentes régions riches du monde.
Le modus operandi
Concrètement, dans le cas du Congo, les présidents Museveni et Kagame, avec l'appui des Américains et des Britanniques, « fabriquent » des mouvements armés et utilisent leurs réseaux auprès des médias occidentaux pour faire croire à l'opinion internationale qu'il s'agit de « rébellions congolaises ». En réalité, il s'agit de bataillons de leurs propres armées dont les unités sont formées dans les bases de Jinja, en Ouganda ; de Gako, de Butotori et de Gabiro au Rwanda par des instructeurs américains et britanniques. Une fois ces bataillons ont franchi les frontières du Congo, « Joseph Kabila », qui fait partie de « la bande des 3 » (les trois K), organise la défaite des soldats congolais et laisse les villes congolaises tomber entre les mains des bataillons ennemis. Viennent ensuite des négociations qui, en réalité, sont une mascarade. Lorsque « Joseph Kabila » arrive dans ces négociations il est tout heureux de retrouver ses paires Museveni et Kagame, et d'ailleurs les images de ces retrouvailles ne s'y trompent pas. Ces négociations aboutissent à au moins deux « compromis » : les « rebelles » (faux rebelles mais vrais soldats rwandais/ougandais) obtiennent des amnisties collectives ou individuelles décidées par le gouvernement faible de Kinshasa. Ensuite, ils sont intégrés dans l'armée congolaise.
La dernière vague des troupes rwandaises intégrées dans les rangs de l'armée congolaise s'est opérée en décembre 2008, et dans les mois qui ont suivi, en marge des opérations « Umoja wetu » et « Amani leo ». C'était en application d'un accord secret conclu par le représentant de « Joseph Kabila », le général John Numbi, et Laurent Nkunda sous la supervision du général rwandais James Kabarebe[10]. Plusieurs milliers de soldats rwandais avaient passé la frontière congolaise, officiellement pour mener avec les Congolais une lutte conjointe contre les rebelles hutus rwandais des FDLR, qui, pour l'auteur, sont devenus le prétexte dont se servent les élites occidentales et leurs médias pour légitimer l'occupation et le pillage de l'Est du Congo par les hommes de Kagame. Deux mois plus tard, une mascarade fut organisée à Goma pour faire croire à l'opinion internationale que les troupes rwandaises avaient regagné leur pays. Un de ces gros mensonges auxquels les trois présidents et leurs parrains occidentaux ont habitué les Congolais. Patrick Mbeko estime que plus de 12 mille soldats rwandais arrivés sur le sol congolais avaient disparu dans la nature. Pour aller où ? Cette opération visait, en réalité, à accroitre le nombre des agents rwandais infiltrés dans les rangs de l'armée congolaise.
Que deviennent les agents que Kagame et Museveni font entrer au Congo ?
Il y en aurait plus de 35 milles dans différents niveaux de l'armée, de la police et de l'administration. Ils ont pour mission de paralyser les actions de l'armée congolaise dans le Kivu. Ils fournissent des renseignements à l'ennemi et détournent les livraisons d'armes au profit du camp ennemi. Ils permettent aux « rebelles » de tendre des embuscades réussies et d'infliger de lourdes pertes aux soldats congolais déterminés à rétablir le contrôle de l'État sur le Kivu. La plus terrible des défaites qu'ils ont réussi à faire subir aux soldats congolais s'est produite en décembre 2007 dans la localité de Mushake, près de Goma. Sur les 4.500 éléments des FARDC[11] engagés dans l'opération, 2.300 avaient été tués[12] par des combattants rwandais dirigés par le général tutsi Laurent Nkunda. L'homme que les médias occidentaux présentaient comme un « Tutsi congolais » avouera, de retour dans son pays, qu'il est citoyen rwandais ; un sergent de l'armée rwandaise, membre des services de renseignements rwandais[13].
Et lorsque, malgré le travail de sape, les soldats congolais parviennent tout de même à prendre le dessus sur les semeurs de troubles, les infiltrés ne désarment pas. Les soldats congolais qui ont brillé sur les théâtres des opérations au Kivu sont rapidement mutés et éloignés des missions opérationnelles. Nombreux sont assassinés quelques temps seulement après les victoires sur les agresseurs. L'ouvrage cite plusieurs cas d'assassinat. Il évoque le cas du général Mbuza Mabé[14] qui, après avoir libéré la ville de Bukavu des mains des Rwandais, en 2004, a été rappelé à Kinshasa[15]. Ce travail permanent de sabotage, mené au cœur même de l'armée congolaise, permet à Museveni et Kagame d'être rassurés. Les deux dirigeants peuvent continuer à entretenir le chaos dans les régions riches de l'Est du Congo, qu'ils ambitionnent d'annexer, sans risquer d'être confrontés à une armée congolaise aguerrie.
Agoravox
La guerre qui sévit en République Démocratique du Congo, et ses horreurs, sont souvent présentées comme l'échec du président Kabila et de la communauté internationale. Il s'agit, en réalité, d'une réussite éclatante d'une stratégie dont le Congo et les Congolais sont la cible. Le dernier ouvrage de l'analyste des questions géopolitiques Patrick Mbeko, « Stratégie du chaos et du mensonge », en donne une remarquable démonstration. L'auteur analyse les enjeux qui se trament derrière les souffrances des Congolais depuis l'acquisition du pays par le Roi des Belges Léopold II, en 1885, jusqu'à sa mise sous tutelle actuelle, par les milieux d'affaires occidentaux derrière le triumvirat Museveni-Kagame-Kabila et la Monusco.
Lorsqu'on jette un coup d'œil sur l'holocauste qui se déroule au Congo, avec ses millions de morts, les clichés des reportages sur l'Afrique sont qu'il s'agit de conflits entre tribus africaines au « Cœur des ténèbres ». Patrick Mbeko, qui coécrit l'ouvrage avec un fin connaisseur des enjeux du Congo, en la personne d'Honoré Ngbanda[1], va droit au cœur des enjeux de la guerre. A l'appui des enquêtes des Nations-Unies il démontre que l'instabilité chronique à laquelle nous assistons est entretenue à dessein. Il s'agit d'une politique de chaos sciemment organisée qui a pour objectif d'affaiblir durablement le pays, d'en faire un non-État, réduit au simple rôle de coffre-fort où les groupes financiers et les élites occidentales puisent d'immenses richesses naturelles sans être importunés. Il s'agit de la mise en pratique de la théorie longuement murie du « chaos constructeur », chère aux stratèges américains.
La stratégie du chaos dans le cas du Congo
Dans une région riche et convoitée, on choisit d'abord un État pivot[2]. Ensuite, à partir de cet État, on provoque et on entretient les conflits. On encourage les viols, on occasionne des déplacements des populations, on génère la famine, des maladies, bref, on engendre une atmosphère de désolation. De ce chaos doit émerger un ordre nouveau reposant sur l'anéantissement des peuples et permettant à la minorité des privilégiés constituant le 1 % de maintenir leur train de vie princier[3]. Toutes les guerres qui se produisent au Congo ont pour enjeu le contrôle des matières premières, dont les riches gisements miniers du pays[4]. Pour entretenir durablement le chaos, les « stratèges » commencent par remporter la bataille de l'information. Dans le cas du Congo, le contrôle de l'information se traduit par une gigantesque masse des désinformations destinées à dissimuler, non seulement les vrais enjeux de la guerre, mais surtout les personnalités et les multinationales qui se procurent, derrière le chaos entretenu, des profits faramineux.
Un dispositif à trois têtes
Pour que perdure cette économie du chaos qui permet aux multinationales anglo-américaines d'engranger des profits toujours faramineux, un dispositif politique a été mis en place. Il est articulé autour d'un triumvirat[5] associant les trois présidents tutsi/hima de la région : l'Ougandais Yoweri Museveni dans le rôle de l'architecte, le Rwandais Paul Kagame dans le rôle du maître d'ouvrage et « Joseph Kabila »[6] dans le rôle du « cheval de Troie ». Les trois hommes, par leurs armées respectives, ont pour mission de maintenir le Congo dans une situation permanente d'État raté, avec une armée congolaise continuellement paralysée et mise dans l'incapacité de s'imposer, même face à un banal groupe armé. Pourquoi ? Parce qu'un Congo qui se redresse, et dont les autorités prennent le contrôle effectif du territoire national, serait un frein aux intérêts des multinationales qui gravitent autour des présidents Kagame, Museveni et Kabila.
Mais dans le cas spécifique du Congo, à côté des intérêts des multinationales anglo-américaines, les désordres fomentés par les trois présidents servent les objectifs d'une élite régionale, l'élite tutsie rwandaise. Cette dernière, bien que n'appartenant à aucune des tribus autochtones congolaises[7], avaient tout de même revendiqué, dès 1981, dans une lettre adressée au Secrétaire général de l'ONU[8], l'ambition de détacher la riche région du Kivu pour la rattacher progressivement au Rwanda. Ce qui est quasiment en train de se réaliser grâce au travail destructeur des trois présidents[9]. Le drame pour le Congo est que les ambitions de cette minorité régionale coïncident avec les intérêts de la minorité des privilégiés occidentaux, les fameux 1%, qui maintiennent leur train de vie en entretenant le chaos dans différentes régions riches du monde.
Le modus operandi
Concrètement, dans le cas du Congo, les présidents Museveni et Kagame, avec l'appui des Américains et des Britanniques, « fabriquent » des mouvements armés et utilisent leurs réseaux auprès des médias occidentaux pour faire croire à l'opinion internationale qu'il s'agit de « rébellions congolaises ». En réalité, il s'agit de bataillons de leurs propres armées dont les unités sont formées dans les bases de Jinja, en Ouganda ; de Gako, de Butotori et de Gabiro au Rwanda par des instructeurs américains et britanniques. Une fois ces bataillons ont franchi les frontières du Congo, « Joseph Kabila », qui fait partie de « la bande des 3 » (les trois K), organise la défaite des soldats congolais et laisse les villes congolaises tomber entre les mains des bataillons ennemis. Viennent ensuite des négociations qui, en réalité, sont une mascarade. Lorsque « Joseph Kabila » arrive dans ces négociations il est tout heureux de retrouver ses paires Museveni et Kagame, et d'ailleurs les images de ces retrouvailles ne s'y trompent pas. Ces négociations aboutissent à au moins deux « compromis » : les « rebelles » (faux rebelles mais vrais soldats rwandais/ougandais) obtiennent des amnisties collectives ou individuelles décidées par le gouvernement faible de Kinshasa. Ensuite, ils sont intégrés dans l'armée congolaise.
La dernière vague des troupes rwandaises intégrées dans les rangs de l'armée congolaise s'est opérée en décembre 2008, et dans les mois qui ont suivi, en marge des opérations « Umoja wetu » et « Amani leo ». C'était en application d'un accord secret conclu par le représentant de « Joseph Kabila », le général John Numbi, et Laurent Nkunda sous la supervision du général rwandais James Kabarebe[10]. Plusieurs milliers de soldats rwandais avaient passé la frontière congolaise, officiellement pour mener avec les Congolais une lutte conjointe contre les rebelles hutus rwandais des FDLR, qui, pour l'auteur, sont devenus le prétexte dont se servent les élites occidentales et leurs médias pour légitimer l'occupation et le pillage de l'Est du Congo par les hommes de Kagame. Deux mois plus tard, une mascarade fut organisée à Goma pour faire croire à l'opinion internationale que les troupes rwandaises avaient regagné leur pays. Un de ces gros mensonges auxquels les trois présidents et leurs parrains occidentaux ont habitué les Congolais. Patrick Mbeko estime que plus de 12 mille soldats rwandais arrivés sur le sol congolais avaient disparu dans la nature. Pour aller où ? Cette opération visait, en réalité, à accroitre le nombre des agents rwandais infiltrés dans les rangs de l'armée congolaise.
Que deviennent les agents que Kagame et Museveni font entrer au Congo ?
Il y en aurait plus de 35 milles dans différents niveaux de l'armée, de la police et de l'administration. Ils ont pour mission de paralyser les actions de l'armée congolaise dans le Kivu. Ils fournissent des renseignements à l'ennemi et détournent les livraisons d'armes au profit du camp ennemi. Ils permettent aux « rebelles » de tendre des embuscades réussies et d'infliger de lourdes pertes aux soldats congolais déterminés à rétablir le contrôle de l'État sur le Kivu. La plus terrible des défaites qu'ils ont réussi à faire subir aux soldats congolais s'est produite en décembre 2007 dans la localité de Mushake, près de Goma. Sur les 4.500 éléments des FARDC[11] engagés dans l'opération, 2.300 avaient été tués[12] par des combattants rwandais dirigés par le général tutsi Laurent Nkunda. L'homme que les médias occidentaux présentaient comme un « Tutsi congolais » avouera, de retour dans son pays, qu'il est citoyen rwandais ; un sergent de l'armée rwandaise, membre des services de renseignements rwandais[13].
Et lorsque, malgré le travail de sape, les soldats congolais parviennent tout de même à prendre le dessus sur les semeurs de troubles, les infiltrés ne désarment pas. Les soldats congolais qui ont brillé sur les théâtres des opérations au Kivu sont rapidement mutés et éloignés des missions opérationnelles. Nombreux sont assassinés quelques temps seulement après les victoires sur les agresseurs. L'ouvrage cite plusieurs cas d'assassinat. Il évoque le cas du général Mbuza Mabé[14] qui, après avoir libéré la ville de Bukavu des mains des Rwandais, en 2004, a été rappelé à Kinshasa[15]. Ce travail permanent de sabotage, mené au cœur même de l'armée congolaise, permet à Museveni et Kagame d'être rassurés. Les deux dirigeants peuvent continuer à entretenir le chaos dans les régions riches de l'Est du Congo, qu'ils ambitionnent d'annexer, sans risquer d'être confrontés à une armée congolaise aguerrie.
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