Fatwa contre kamel daoud
Penser est un péché, bientôt un crime
L’appel au meurtre du pseudo-imam salafiste Hamadache contre l’écrivain et journaliste Kamel Daoud a créé une onde de choc dans la société, mais a aussi mis à nu l’indigence du régime face au fanatisme et les silences complices d’une certaine élite soupçonneuse et dépassée.
-Kamel Daoud : «Nous ne laisserons jamais passer cela»
«L’enquête a été enclenchée mercredi par le parquet, ici à Oran, et les services de sécurité m’ont indiqué que l’affaire est prise en charge», a déclaré hier l’auteur et journaliste Kamel Daoud à El Watan Week-end, qui compte aussi poursuivre la chaîne de télévision privée Ennahar TV après la diffusion en direct des appels au meurtre du salafiste Abdelfatah Hamadache. Le chroniqueur du Quotidien d’Oran a indiqué aussi que plusieurs titres de la presse privée se sont constitués partie civile contre Hamadache. Par ailleurs, l’auteur de Meursault, contre-enquête se dit «déterminé à ne pas lâcher cette personne qui l’a menacé», car «il s’agit d’un test, ils veulent tester nos réactions, mais nous ne laisserons jamais passer cela». «C’est une occasion civique, une occasion unique, pour montrer que cela ne sera pas possible». «Si je remets en cause la réconciliation nationale, je vais en prison. Mais quand un fou remet en cause mon droit à la vie, il profite de l’impunité. La réconciliation le protège, mais ne me protège pas», s’indigne l’écrivain. «Et cet élan de solidarité, extraordinaire, que dire d’autre ?, poursuit Kamel Daoud. L’enjeu est nous tous, nos enfants. Beaucoup de gens ont compris que l’enjeu est énorme et que les années 1990 sont une menace permanente, une possibilité si on baisse les bras». Est-ce que le journaliste craint pour sa vie ? «J’ai peur, mais je suis surtout en colère, atterré par tant de violence, de bêtise et de haine, sommes-nous condamnés à un Moyen-Age sans fin ?».
*************************
-Fayçal Métaoui : "Silence complice"
La justice algérienne, celle qui détient injustement le jeune journaliste Abdelsamie Abdelhay, en détention provisoire à Tébessa, garde le silence sur l’appel au meurtre lancé par un faux imam nommé Abdelfatah Hamadache contre le journaliste et écrivain Kamel Daoud. Cette justice qui ne dit rien est complice. Le ministre de la Justice, interpellé publiquement par un groupe d’artistes et d’intellectuels, a eu une curieuse déclaration, hier à l’APN, Chambre basse du Parlement, sur cette sensible affaire. «Il faut consacrer l’Etat de droit en Algérie. Si quelqu’un se sent victime d’un préjudice, il peut déposer une plainte devant la justice», a déclaré Tayeb Louh, cité par le site TSA. Qu’en est-il de l’appel au meurtre assumé publiquement par Hamadache, y compris à l’antenne d’Ennahar TV ? Que dire de l’incitation à la haine ? Tayeb Louh, qui ne semble pas saisir la gravité de la situation, n’a rien à dire. Aucune position. Mais à quoi sert donc un ministre de la Justice ? Et qui protège un citoyen algérien d’une fatwa meurtrière même fausse et infondée ? Il est évident que la responsabilité de l’Etat algérien est pleinement engagée au cas où il arriverait un malheur au journaliste et écrivain.
Qu’un ministre de la Justice fasse dans la fuite en avant, ou qu’un ministre de l’Intérieur se taise relève de comportements scandaleux de responsables incapables d’être à la hauteur de leurs missions. Quand on n’a pas le courage d’assumer une position politique et de défendre des principes universellement partagés, on démissionne et on disparaît du champ de vision. Le silence de certains cercles intellectuels, artistiques, littéraires et universitaires sur les menaces sérieuses contre la vie de Kamel Daoud est également une attitude honteuse.
Les petites jalousies, la lâcheté, l’inconscience, l’incapacité de comprendre les enjeux, le refus de se positionner et de s’engager sur les chemins de l’Histoire sont des maladies qui collent désormais à ces cercles, très à l’aise dans le dénigrement, la critique de salon et la distribution des cartes de la moralité. Cela a été largement vérifié lors du débat politique avant l’élection présidentielle d’avril 2014 et après l’attaque du faux mufti d’Ennahar TV, Chemseddine, contre le film El Wahrani de Lyès Salem.
Hamadache, qui n’a pas lu les livres de Kamel Daoud, et Chemseddine, qui n’a pas vu le film de Lyès Salem, se sont permis d’ouvrir le feu et d’exprimer leur aversion de la libre pensée et de la création artistique. Ils ont publiquement assumé leur action. Une action condamnable et en décalage avec la marche du monde actuel.Qu’en est-il de ceux censés se prononcer en faveur des libertés, de l’art et de la culture ? Où sont donc passés les défenseurs de la démocratie, de la liberté d’expression, de la liberté de conscience et de la liberté d’opinion ? En Algérie, le courage est devenu une denrée rare. C’est un constat. Froid. Toujours est-il que l’indifférence face à l’appel au meurtre contre Kamel Daoud ressemble à une autre forme de complicité.
Demain, personne ne dira qu’il n’était pas au courant. Reste ce comportement regrettable des télévisions privées algériennes qui relaient d’une manière irresponsable et contraire à la loi les appels au meurtre. Hamadache habite les plateaux de ces télés depuis des mois, contrairement Kamel Daoud qui n’a jamais eu droit à la parole. Libre à ces chaînes d’avoir un choix politique et idéologique, mais il leur est interdit de pousser au crime quelle que soient les raisons et d’ouvrir la porte aux abus et à la violence. Inutile de rappeler que le champ audiovisuel algérien a besoin en urgence d’une régulation selon les normes universelles.
***********************
-Sofiane Hadjadj et Selma Hellal, éditions Barzakh : "Traquer les «traîtres»"
Aujourd’hui, en Algérie, l’artiste, le journaliste, l’écrivain, l’historien, est attaqué avec une violence inouïe, remis en cause non seulement dans sa démarche créative et intellectuelle, mais jusque dans son droit à vivre – puisque c’est leur mort, pour certains d’entre eux, qui est publiquement réclamée par leurs détracteurs. Appels à la haine, insultes et accusations lancés par des individus, ou groupes de gens, autoproclamés détenteurs exclusifs de la vérité, de la norme, et s’érigeant en garants de l’ordre moral.
Quand la création et la recherche sont menacées par la bien-pensance et l’instrumentalisation du débat public, comment ne pas penser, avec effroi, aux prémices de l’horreur des années 1990 ?
L’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud est, depuis mardi, la cible d’une attaque qui réveille les pires réminiscences. Abdelfatah Hamadache, imam salafiste, chef d’un parti non agréé (Front de la Sahwa islamique salafiste libre) a décrété, mardi 16 décembre, sur sa page facebook, que Kamel Daoud était un écrivain «apostat» et «mécréant», ennemi de l’islam, et il appelle «le régime algérien à le punir comme il se doit, en le condamnant à mort».
Inquiétude, malaise
Mais laissons de côté un instant le cas de Kamel Daoud. Car, juste avant lui il y a eu Lyès Salem, réalisateur du film L’Oranais, violemment attaqué par le très médiatique Cheikh Chemsou (sans que celui-ci ait vu le film) au prétexte qu’il donnait une mauvaise image des moudjahidine (notamment présentés comme des consommateurs d’alcool). Accusation relayée par certains membres de l’Organisation nationale des enfants de chouhada (ONEC) et de l’Organisation nationale de la société civile (ONSC) qui ont écrit une lettre ouverte au président de la République pour lui demander d’interdire la diffusion du film en Algérie.
Dans le même ordre d’idées – avec les nuances et précautions qui s’imposent – il y a quelques jours à peine, le livre de l’anthropologue Meriem Bouzid Sababou, consacré au rituel de la célébration de la fête de Achoura, la S’beiba, à Djanet (paru aux éditions CNRPAH en 2013), a fait l’objet d’une autre polémique : «des notables» et «des jeunes» de Djanet, lit-on dans la presse, ont adressé une lettre au Premier ministre, avec copie à la ministre de la Culture, où ils demandent que le livre, jugé diffamatoire, soit retiré du marché. Ils reprochent à l’auteure d’avoir laissé entendre que des femmes touarègues ont pu se prostituer pendant la période de la colonisation.
Résultat, le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) d’Alger, sous la pression, a accepté de retirer le livre. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui permet à des personnes, imams, «jeunes», «groupes», «associations» ou «notables» de s’ériger en garants de la juste version des faits de l’histoire, de se subsister au créateur ou à l’historien, en s’immisçant dans son travail et s’arrogeant le droit de se prononcer sur le caractère «licite» ou «véridique» d’une œuvre ? En outre, à quoi obéit cette posture consistant à saisir l’Etat, à le sommer de réagir, comme s’il était défaillant ? Pourquoi ces gens-là cherchent-ils à se substituer à la seule instance censée régir les règles de la société et du vivre ensemble ? Et pourquoi donc l’Etat (ministères de la Culture, de la Communication), dans les trois cas, semble obtempérer, ouvertement ou implicitement (par son silence), à ces injonctions ?
Rappel (de bon sens) : ces œuvres sont le fruit soit d’une recherche (comme pour Meriem Bouzid), soit d’une pensée subjective et/ou d’une création artistique (Kamel Daoud et Lyès Salem), qui, chacune, dans leur élaboration, obéit à des codes bien précis, propres à son domaine : la rigueur et l’objectivité, le travail de terrain, le recoupement des archives et des sources dans le premier cas ; le déploiement de l’imaginaire et la revendication de la singularité dans le second. Qui sont ces gens alors pour prétendre juger ces travaux, ces œuvres en pratiquant une double ingérence : la leur, et celle de l’Etat qu’ils interpellent afin que celui-ci les censure et/ou les punisse ? Quelle légitimité ont-ils ? En conséquence de quoi, ce qui devrait relever de la fête de l’esprit, ce qui devrait nous procurer joie et fierté car il nous intègre dans la grande famille de l’imaginaire universel se trouve terni, abîmé et devient l’objet d’instrumentalisation, de musellement et plus grave encore donne lieu à un appel au meurtre. Tristesse.
(à suivre)
Penser est un péché, bientôt un crime
L’appel au meurtre du pseudo-imam salafiste Hamadache contre l’écrivain et journaliste Kamel Daoud a créé une onde de choc dans la société, mais a aussi mis à nu l’indigence du régime face au fanatisme et les silences complices d’une certaine élite soupçonneuse et dépassée.
-Kamel Daoud : «Nous ne laisserons jamais passer cela»
«L’enquête a été enclenchée mercredi par le parquet, ici à Oran, et les services de sécurité m’ont indiqué que l’affaire est prise en charge», a déclaré hier l’auteur et journaliste Kamel Daoud à El Watan Week-end, qui compte aussi poursuivre la chaîne de télévision privée Ennahar TV après la diffusion en direct des appels au meurtre du salafiste Abdelfatah Hamadache. Le chroniqueur du Quotidien d’Oran a indiqué aussi que plusieurs titres de la presse privée se sont constitués partie civile contre Hamadache. Par ailleurs, l’auteur de Meursault, contre-enquête se dit «déterminé à ne pas lâcher cette personne qui l’a menacé», car «il s’agit d’un test, ils veulent tester nos réactions, mais nous ne laisserons jamais passer cela». «C’est une occasion civique, une occasion unique, pour montrer que cela ne sera pas possible». «Si je remets en cause la réconciliation nationale, je vais en prison. Mais quand un fou remet en cause mon droit à la vie, il profite de l’impunité. La réconciliation le protège, mais ne me protège pas», s’indigne l’écrivain. «Et cet élan de solidarité, extraordinaire, que dire d’autre ?, poursuit Kamel Daoud. L’enjeu est nous tous, nos enfants. Beaucoup de gens ont compris que l’enjeu est énorme et que les années 1990 sont une menace permanente, une possibilité si on baisse les bras». Est-ce que le journaliste craint pour sa vie ? «J’ai peur, mais je suis surtout en colère, atterré par tant de violence, de bêtise et de haine, sommes-nous condamnés à un Moyen-Age sans fin ?».
*************************
-Fayçal Métaoui : "Silence complice"
La justice algérienne, celle qui détient injustement le jeune journaliste Abdelsamie Abdelhay, en détention provisoire à Tébessa, garde le silence sur l’appel au meurtre lancé par un faux imam nommé Abdelfatah Hamadache contre le journaliste et écrivain Kamel Daoud. Cette justice qui ne dit rien est complice. Le ministre de la Justice, interpellé publiquement par un groupe d’artistes et d’intellectuels, a eu une curieuse déclaration, hier à l’APN, Chambre basse du Parlement, sur cette sensible affaire. «Il faut consacrer l’Etat de droit en Algérie. Si quelqu’un se sent victime d’un préjudice, il peut déposer une plainte devant la justice», a déclaré Tayeb Louh, cité par le site TSA. Qu’en est-il de l’appel au meurtre assumé publiquement par Hamadache, y compris à l’antenne d’Ennahar TV ? Que dire de l’incitation à la haine ? Tayeb Louh, qui ne semble pas saisir la gravité de la situation, n’a rien à dire. Aucune position. Mais à quoi sert donc un ministre de la Justice ? Et qui protège un citoyen algérien d’une fatwa meurtrière même fausse et infondée ? Il est évident que la responsabilité de l’Etat algérien est pleinement engagée au cas où il arriverait un malheur au journaliste et écrivain.
Qu’un ministre de la Justice fasse dans la fuite en avant, ou qu’un ministre de l’Intérieur se taise relève de comportements scandaleux de responsables incapables d’être à la hauteur de leurs missions. Quand on n’a pas le courage d’assumer une position politique et de défendre des principes universellement partagés, on démissionne et on disparaît du champ de vision. Le silence de certains cercles intellectuels, artistiques, littéraires et universitaires sur les menaces sérieuses contre la vie de Kamel Daoud est également une attitude honteuse.
Les petites jalousies, la lâcheté, l’inconscience, l’incapacité de comprendre les enjeux, le refus de se positionner et de s’engager sur les chemins de l’Histoire sont des maladies qui collent désormais à ces cercles, très à l’aise dans le dénigrement, la critique de salon et la distribution des cartes de la moralité. Cela a été largement vérifié lors du débat politique avant l’élection présidentielle d’avril 2014 et après l’attaque du faux mufti d’Ennahar TV, Chemseddine, contre le film El Wahrani de Lyès Salem.
Hamadache, qui n’a pas lu les livres de Kamel Daoud, et Chemseddine, qui n’a pas vu le film de Lyès Salem, se sont permis d’ouvrir le feu et d’exprimer leur aversion de la libre pensée et de la création artistique. Ils ont publiquement assumé leur action. Une action condamnable et en décalage avec la marche du monde actuel.Qu’en est-il de ceux censés se prononcer en faveur des libertés, de l’art et de la culture ? Où sont donc passés les défenseurs de la démocratie, de la liberté d’expression, de la liberté de conscience et de la liberté d’opinion ? En Algérie, le courage est devenu une denrée rare. C’est un constat. Froid. Toujours est-il que l’indifférence face à l’appel au meurtre contre Kamel Daoud ressemble à une autre forme de complicité.
Demain, personne ne dira qu’il n’était pas au courant. Reste ce comportement regrettable des télévisions privées algériennes qui relaient d’une manière irresponsable et contraire à la loi les appels au meurtre. Hamadache habite les plateaux de ces télés depuis des mois, contrairement Kamel Daoud qui n’a jamais eu droit à la parole. Libre à ces chaînes d’avoir un choix politique et idéologique, mais il leur est interdit de pousser au crime quelle que soient les raisons et d’ouvrir la porte aux abus et à la violence. Inutile de rappeler que le champ audiovisuel algérien a besoin en urgence d’une régulation selon les normes universelles.
***********************
-Sofiane Hadjadj et Selma Hellal, éditions Barzakh : "Traquer les «traîtres»"
Aujourd’hui, en Algérie, l’artiste, le journaliste, l’écrivain, l’historien, est attaqué avec une violence inouïe, remis en cause non seulement dans sa démarche créative et intellectuelle, mais jusque dans son droit à vivre – puisque c’est leur mort, pour certains d’entre eux, qui est publiquement réclamée par leurs détracteurs. Appels à la haine, insultes et accusations lancés par des individus, ou groupes de gens, autoproclamés détenteurs exclusifs de la vérité, de la norme, et s’érigeant en garants de l’ordre moral.
Quand la création et la recherche sont menacées par la bien-pensance et l’instrumentalisation du débat public, comment ne pas penser, avec effroi, aux prémices de l’horreur des années 1990 ?
L’écrivain et chroniqueur Kamel Daoud est, depuis mardi, la cible d’une attaque qui réveille les pires réminiscences. Abdelfatah Hamadache, imam salafiste, chef d’un parti non agréé (Front de la Sahwa islamique salafiste libre) a décrété, mardi 16 décembre, sur sa page facebook, que Kamel Daoud était un écrivain «apostat» et «mécréant», ennemi de l’islam, et il appelle «le régime algérien à le punir comme il se doit, en le condamnant à mort».
Inquiétude, malaise
Mais laissons de côté un instant le cas de Kamel Daoud. Car, juste avant lui il y a eu Lyès Salem, réalisateur du film L’Oranais, violemment attaqué par le très médiatique Cheikh Chemsou (sans que celui-ci ait vu le film) au prétexte qu’il donnait une mauvaise image des moudjahidine (notamment présentés comme des consommateurs d’alcool). Accusation relayée par certains membres de l’Organisation nationale des enfants de chouhada (ONEC) et de l’Organisation nationale de la société civile (ONSC) qui ont écrit une lettre ouverte au président de la République pour lui demander d’interdire la diffusion du film en Algérie.
Dans le même ordre d’idées – avec les nuances et précautions qui s’imposent – il y a quelques jours à peine, le livre de l’anthropologue Meriem Bouzid Sababou, consacré au rituel de la célébration de la fête de Achoura, la S’beiba, à Djanet (paru aux éditions CNRPAH en 2013), a fait l’objet d’une autre polémique : «des notables» et «des jeunes» de Djanet, lit-on dans la presse, ont adressé une lettre au Premier ministre, avec copie à la ministre de la Culture, où ils demandent que le livre, jugé diffamatoire, soit retiré du marché. Ils reprochent à l’auteure d’avoir laissé entendre que des femmes touarègues ont pu se prostituer pendant la période de la colonisation.
Résultat, le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) d’Alger, sous la pression, a accepté de retirer le livre. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui permet à des personnes, imams, «jeunes», «groupes», «associations» ou «notables» de s’ériger en garants de la juste version des faits de l’histoire, de se subsister au créateur ou à l’historien, en s’immisçant dans son travail et s’arrogeant le droit de se prononcer sur le caractère «licite» ou «véridique» d’une œuvre ? En outre, à quoi obéit cette posture consistant à saisir l’Etat, à le sommer de réagir, comme s’il était défaillant ? Pourquoi ces gens-là cherchent-ils à se substituer à la seule instance censée régir les règles de la société et du vivre ensemble ? Et pourquoi donc l’Etat (ministères de la Culture, de la Communication), dans les trois cas, semble obtempérer, ouvertement ou implicitement (par son silence), à ces injonctions ?
Rappel (de bon sens) : ces œuvres sont le fruit soit d’une recherche (comme pour Meriem Bouzid), soit d’une pensée subjective et/ou d’une création artistique (Kamel Daoud et Lyès Salem), qui, chacune, dans leur élaboration, obéit à des codes bien précis, propres à son domaine : la rigueur et l’objectivité, le travail de terrain, le recoupement des archives et des sources dans le premier cas ; le déploiement de l’imaginaire et la revendication de la singularité dans le second. Qui sont ces gens alors pour prétendre juger ces travaux, ces œuvres en pratiquant une double ingérence : la leur, et celle de l’Etat qu’ils interpellent afin que celui-ci les censure et/ou les punisse ? Quelle légitimité ont-ils ? En conséquence de quoi, ce qui devrait relever de la fête de l’esprit, ce qui devrait nous procurer joie et fierté car il nous intègre dans la grande famille de l’imaginaire universel se trouve terni, abîmé et devient l’objet d’instrumentalisation, de musellement et plus grave encore donne lieu à un appel au meurtre. Tristesse.
(à suivre)
Commentaire