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L'Afrique du Sud malade de son charbon

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  • L'Afrique du Sud malade de son charbon

    Le pays tire 85 % de son électricité du charbon. Une dépendance qui a de graves conséquences sociales et environnementales. Reportage dans le Mpumalanga.

    Le vent soulève des nuages de poussière qui s'élèvent en tourbillonnant dans le ciel d'été. Derrière les monticules de terre noire qui bordent la route, on devine le cratère d'une mine au dessus duquel s'affairent des grues. Dans toute la région, la terre a été éventrée, râpée, pour permettre l'exploitation de dizaine de mines à ciel ouvert. Au coeur du Highveld, la ville de Witbank et ses vastes townships compose la municipalité de Emalahleni, "terre du charbon en langue zoulou". À cent-cinquante kilomètres à la ronde, on compte pas moins de 11 centrales à charbon exploitées par la société publique d'électricité Eskom.

    La pollution des sols et de l'eau

    La province du Mpumalanga s'est rapidement transformée ces vingt dernières années. L'exploitation intensive du sous sol a radicalement changé le mode de vie de la population, jusque là plutôt tourné vers l'agriculture. Les habitants de la région se massent dans les villes, à mesure que les mines gagnent du terrain sur leurs champs. Le recul de la culture du maïs a entraîné une augmentation des prix du maïs et la destruction de nombreux emplois. Mais le plus inquiétant reste la pollution invisible causée par l'extraction du charbon. Les acides qui s'infiltrent dans les sols contaminent les nappes souterraines menaçant durablement toute production agricole. Cette pollution met aussi en péril la santé de la population, au delà même des frontières du Mpumalanga, où plusieurs grands cours d'eau prennent leur source.
    Cela fait des années que Thomas Mnguni ne boit plus l'eau qui sort de son robinet, trop inquiet pour sa santé et celle de ses enfants. "Si on remplit un verre avec cette eau, au bout de quelques minutes on voit un dépôt noir se former. Alors je n'ai pas confiance. Des gens ont la diarrhée et doivent être hospitalisés", explique-t-il. Pour ce père de famille qui milite aujourd'hui pour les droits environnementaux dans sa communauté, la prise de conscience s'est faite progressivement. "Nous avons toujours eu des problèmes d'accès aux services de base. On manifestait pour avoir de l'eau, de l'électricité sans vraiment savoir d'où venait le problème. Puis peu à peu, on a fait le lien avec les industries polluantes qui nous entourent." Le traitement du charbon nécessite de larges quantités d'eau dont la population la plus pauvre est privée. Quant à l'électricité, elle coûte souvent trop cher pour ceux qui vivent au plus près des centrales.

    Distribution gratuite de charbon
    La centrale électrique de Duvha se situe au bord d'une large route fraichement goudronnée. Les semi-remorques roulent à toute vitesse sur le bitume sombre, en projetant des cailloux noirs qui viennent crépiter sur le pare-brise de la voiture. "Les camions c'est un autre problème pour nous", constate Thomas Mnugni. "Dans certaines zones, le bruit permanent de la circulation est insupportable. Et les routes sont détruites par leur passage." Le nombre d'accidents mortels causés par les poids lourds sur les routes du Mpumalanga a forcé la compagnie publique d'électricité Eskom à limiter la circulation de ses camions le week-end.

    Après avoir dépassé les immenses cheminés de Duvha, on bifurque sur la gauche pour traverser un terrain vague boueux et s'engager sur la piste défoncée qui mène au township de Masakhane. Les petites maisons de pierres croulantes ont été construites au pied des lignes à haute tension qui partent de la centrale pour transporter le courant aux quatre coins de l'Afrique du Sud. Mais ici, presque personne n'a accès à l'électricité. Faute de moyens, les habitants utilisent la seule ressource accessible : le charbon, qu'ils font brûler à l'intérieur de leurs maisons pour se chauffer et cuisiner. Chaque jeudi, une foule colorée se masse aux pieds des pylônes électriques. Des dizaines d'hommes et de femmes viennent remplir leurs brouettes de charbon à la file indienne. Le minerai est distribué gratuitement par la mine la plus proche, dans laquelle travaille une bonne partie de la population locale. " Entre la fumée des centrales et les feux domestiques, certains jours d'hiver on ne voit pas à cinq mètres ", assure Catherine Mahlangu, le regard vide. La vieille femme ne va plus chercher sa part de charbon le jeudi, de peur de faire empirer son asthme. Elle raconte avoir du mal à dormir en hiver, à cause de l'atmosphère oppressante et de la toux qui déchire ses poumons encrassés.
    Les habitants de la région vivent dans un environnement toxique. Une étude menée pendant deux ans par un groupe de scientifiques européens a montré que l'air de la région était l'un des plus pollués au monde. Les travaux de l'ONG Groundwork indiquent que 51 % des morts liées à des maladies respiratoires et 54 % de celles résultant de maladies cardiovasculaires étaient directement liées aux émissions des centrales. Des affirmations fermement démenties par la compagnie Eskom. Dans un communiqué publié en août 2014, le fournisseur national d'électricité indique qu'il est "clairement établi que la mauvaise qualité de l'air en Afrique du Sud et les problèmes de santé qui en découlent sont d'abord liés à l'usage domestique du charbon. La meilleure façon d'améliorer la qualité de l'air, c'est d'améliorer l'accès à l'électricité." Mais pas question de changer de modèle pour autant.

    Deux méga centrales en construction
    L'Afrique du Sud fait face à une grave pénurie d'électricité. Pour tenter de remédier à la crise, deux méga-centrales à charbon sont actuellement en construction, l'une dans le Mpumalanga, l'autre dans la province du Limpopo. À terme, ceux centrales fourniront à elles-seules 9 600 MW d'électricité au pays, soit un quart de la production actuelle. Avec beaucoup de retard, la première unité de la centrale de Kusile devrait finalement entrer en fonction d'ici la fin de l'année 2014, à 60 km à peine du township de Masakhaze. Kusile sera la plus grande centrale à charbon au Monde. Mais pas la plus polluante promet Eskom. "Il n'y aura pas de détérioration significative de la qualité de l'air, ni d'augmentation des risques", assure la compagnie. La centrale de Kusile sera équipée d'une technologie limitant considérablement ses émissions toxiques. Pourtant, l'argument ne convainc pas les organisations de protections de l'environnement. "17 millions de tonnes de charbon seront brûlées chaque année pour faire tourner la centrale de Kusile", s'inquiète Melita Steele, qui travaille pour Greenpeace à Johannesburg. "Cela va faire augmenter de 10 % la production de CO2 dans le pays, alors que l'Afrique du Sud est déjà un très mauvais élève."
    Les dommages causés par l'exploitation du charbon dans la région du Mpumalanga sont dors et déjà irréversibles. En 2010, une loi a finalement été adoptée pour tenter de limiter la pollution, en relevant les normes sud-africaines parmi les plus basses au monde. Elaboré en concertation avec tous les acteurs du secteur, le National Environnemental Management : Air Quality Act vise à restreindre à partir d'avril 2015 les émissions de dioxyde de souffre et de dioxyde de carbone. Mais en décembre 2013, trois ans après la publications des nouvelles normes, Eskom a lancé un recours pour repousser durablement l'entrée en vigueur de la loi et en réviser certains critères. La compagnie met en avant les contraintes techniques et le coût trop élevé de l'opération, "comparé aux bénéfices réels pour la santé et l'environnement".

    Les associations scandalisées dénoncent le mépris de la compagnie publique et appellent le gouvernement à dire "non" à Eskom. Mais un an plus tard, le ministère des Affaires environnementales n'a toujours pas pris position sur le sujet

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