Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Ce que Napoléon a fait aux Arabes

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Ce que Napoléon a fait aux Arabes

    Deux essais jettent un regard neuf sur la calamiteuse expédition d'Egypte.

    Qu'allait-il faire dans cette galère ? On s'est beaucoup interrogé sur les motivations de l'expédition d'Egypte dans laquelle s'embarque Bonaparte en 1798 alors qu'il vient de rentrer de la campagne d'Italie, couvert de gloire. Volonté de priver l'Angleterre de ses ressources impériales, en lui coupant la route des Indes ? Désir du Directoire d'éloigner de Paris un général dont la popularité menace son pouvoir?

    Le livre de Juan Cole a le mérite de ne pas trop se perdre dans des conjectures qui ont fait les délices des historiens français. Spécialiste réputé du monde musulman, connu des téléspectateurs américains pour ses commentaires au vitriol sur la guerre d'Irak de George W. Bush, il nous raconte l'expédition d'Egypte au vrai, loin de la propagande bonapartiste dont nous subissons aujourd'hui encore les effets.

    Les historiens français soulignent la modernité de l'expédition scientifique dont Bonaparte a voulu doubler son expédition militaire. Les superbes planches de «la Description de l'Egypte» témoignent de la qualité des savants embarqués. Mais si l'on rapporte le coût de cette publication au sang versé, 15.000 tués au bas mot chez les Egyptiens et 7000 chez les soldats français, c'est cher payé.

    Propagande, légende, vérité

    La propagande du premier consul fabriquera par tous les moyens, y compris la destruction d'archives, la légende d'une épopée victorieuse. La vérité est pourtant que, lorsque Bonaparte décide brusquement, en août 1799, de regagner Paris dans le plus grand secret pour y cueillir le pouvoir comme «une poire mûre», en confiant le commandement de l'Egypte à Kléber, son expédition est en train de tourner au désastre.

    La destruction de la flotte française par l'amiral Nelson avait en fait condamné Bonaparte à s'implanter en Egypte. Or il ne rencontre que des échecs. L'intendance a été moins bien préparée que l'équipe savante. Les soldats crèvent de chaud et de faim dès qu'ils marchent sur Le Caire.

    A la différence des Italiens qui accueillaient les troupes françaises avec enthousiasme, les bédouins les attaquent et le peuple du Caire finit par se soulever. Istanbul, alliée aux Anglais, dépêche une armée pour rétablir son emprise sur l'Egypte. Bonaparte n'a alors d'autre choix que d'étendre le champ des opérations en attaquant la Syrie : nouvel échec.

    S'il avoue aux doctes membres de l'université d'Al-Azhar son admiration pour Mahomet, Bonaparte voit dans les paysans du Nil un ramassis d'arriérés. Juan Cole n'a pas noirci le trait. Il a simplement exploité les témoignages de l'époque, y compris ceux en langue arabe. Et l'apport le plus original de son livre est de désigner ici les ferments d'un impérialisme colonial.

    Bonaparte ne s'est jamais montré très économe en sang versé. Mais la cruauté avec laquelle il brûle les villages rebelles et massacre leurs populations dépasse la brutalité ordinaire des soldats de la République. Elle annonce les colonnes infernales de Bugeaud ou de Saint-Arnaud, incendiant les mechtas algériennes.

    Quelle greffe culturelle ?

    Contrairement à une légende tenace, la France n'a donc pas apporté à l'Egypte le choc de la modernité, déjà présente au XVIIIe siècle. Inversement, en accueillant en métropole les mamelouks, commerçants et autres réfugiés de la République française d'Egypte, elle s'offrait la chance d'une greffe culturelle qu'elle n'a pas su saisir.

    C'est l'occasion manquée que nous raconte Ian Coller dans un essai d'une grande subtilité sur une première ébauche avortée de la France mosaïque qui se construit aujourd'hui. Ils sont coptes, chrétiens syriaques ou musulmans. On les qualifie d'«Egyptiens», mais eux se disent «arabes». Car si leurs religions les divisent, leur langue les réunit. Maigrement pensionnés par Napoléon, ils sont massacrés par la foule à la chute de l'Empire.

    Certains lettrés arrivent à s'imposer dans les salons, comme Joseph Agoub dont Ian Coller suit les efforts pour s'insinuer dans la société française. Mais Samuel de Sacy, le maître de l'orientalisme, hostile aux Lumières, rejette leur vision moderniste de la culture arabe; tout comme l'opinion française qui, chapitrée par ses historiens, ne veut désormais plus avoir que des ancêtres gaulois ou francs.

    l'OBS
Chargement...
X