Braconniers qataris et saoudiens dans le Sud algérien : Le come-back
Comme à chaque saison de l’année, les Qataris et les Saoudiens font leur «pèlerinage» habituel dans le Sud algérien. Accueillis par les autorités comme des invités du Président, les habitants de la région, eux, les considèrent comme la menace de plus qui pèse sur des espèces animales en voie de disparition. Reportage.
Béchar et El Bayadh de notre envoyé
«L’accident survenu au véhicule qatari fin novembre dernier à Benoud, au sud de la wilaya d’El Bayadh, prouve l’imprudence et l’insouciance des émirs du Qatar qui, sur invitation de la présidence de la République, campent chaque année et pendant plusieurs mois au sud d’El Bayadh où ils braconnent des espèces animales rares et en voie de disparition, comme l’outarde et la gazelle», lit-on sur le communiqué du mouvement des chômeurs de Labiodh Sidi Cheikh, une des communes de cette wilaya. Mohamed Boudiaf Boucif, 20 ans, membre de ce mouvement, signale : «Le véhicule conduit par un Egyptien, qui roulait à plus de 200 km/h, transportait à bord quatre ouvriers algériens. Trois d’entre eux ont trouvé la mort, dont le chauffeur, alors que les deux autres, grièvement blessés, sont actuellement hospitalisés à Oran. Depuis, aucune nouvelle ! Les autorités algériennes, qui devraient mettre fin à la présence qatarie au Sud, n’ont pas cessé d’appeler les familles des victimes pour les supplier de ne pas réagir car, selon elles, les braconniers qataris sont les invités spéciaux du président de la République, Abdelaziz Bouteflika !» C’est devenu presque une habitude. Sur la Toile, comme à chaque mois de novembre, les photos et les vidéos des outardes et des gazelles abattues dans le Sud algérien envahissent les réseaux sociaux. Les internautes ne cessent d’exprimer leur désenchantement et alertent l’opinion publique sur le danger de voir ces deux espèces disparaître un jour.
Chèche
Les images partagées montrent des hommes en qamis blanc et chèche roulé sur la tête en présence de gendarmes qui seraient chargés d’assurer leur sécurité. «Ce sont les Qataris. Ils sont installés à environ 70 km au sud de chez moi, à Benoud. Nous les accusons de braconnage. Ils ont dépouillé notre région de toute vie, alors que même la chasse légale est interdite chez nous depuis les années 1990», s’indigne Mohamed Boudiaf. Côté juridique, l’ordonnance n°06-05 du 15 juillet 2006 relative à la protection et à la préservation de certaines espèces animales menacées de disparition est claire.
Vingt-et-une espèces animales énumérées, dont l’outarde et la gazelle, sont interdites de chasse. L’article 4 de la présente ordonnance énonce ceci : «La chasse des animaux mentionnés dans la liste fixée à l’article 3 de la présente ordonnance est interdite par tout moyen. Sont également interdits la capture, la détention, le transport, la naturalisation et la commercialisation des animaux ou parties d’animaux d’espèces menacées de disparition.» L’avocat et le président du bureau d’Alger de la Laddh, Abdelghani Badi, qui suit l’affaire de près, reste intransigeant sur la question. «C’est une atteinte grave contre les richesses animales de l’Algérie. La chasse menée par les Qataris est dûment interdite par la loi et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie. C’est du braconnage, rappelle Me Badi. Ce qui est regrettable, c’est de constater le silence terrible des autorités algériennes qui ne bougent toujours pas le doigt pour protéger des espèces animales en danger.»
Benoud
Une seule façon d’en savoir plus sur le sujet, se rendre à Benoud, où les braconniers y campent depuis plus de deux mois, d’après les témoignages recueillis. Dans cette région steppique connue pour son froid glacial pendant l’hiver, les agglomérations sont distanciées et se font rares. C’est à El Bayadh que nous avons rencontré Moulaï Marrouf, 50 ans, ancien journaliste et membre du bureau local de la Laddh : «Les Qataris ne sont pas qu’au Benoud, ils sont aussi à Oued Zergoune (limite frontalière entre Ghardaïa et El Bayadh du côté de Brezina). Nous ne comprenons pas le silence des autorités algériennes qui continuent à fermer les yeux pendant que ces deux espèces se font exterminer chez nous. Elles doivent prendre conscience qu’elles sont aujourd’hui menacées de disparaître à jamais», alerte-t-il.
C’est en sa compagnie que nous nous sommes rendus au garage de Saïd Tounsi, 73 ans, chasseur et spécialiste de la mécanique-moto dans cette région des passionnés des rallyes. Les mains noircies de graisse, des moteurs de motos et de véhicules démontés et des pièces éparpillées par terre, ce sont ses enfants qui assurent la relève aujourd’hui. «Nous avons été interdits de chasser, alors que nous avons une fédération et des associations agréées qui respectent la loi et les délais de chasse qui s’ouvre du 1er octobre au 1er janvier. Nous respectons aussi les grilles qui régulent l’opération, explique Saïd. Alors que les Qataris braconnent librement, nous, chasseurs algériens, risquons d’abord une poursuite judiciaire, puis de nous voir confisquer nos fusils de chasse dans le cas où nous sommes interpellés dans l’erg !»
Thé
Selon Me Badi, les autorités ne délivrent les permis de chasse que dans les cas suivants : «Dans le cadre de la recherche scientifique, la reproduction ou pour exposition.» Direction Benoud en passant par Aïn Lorak pour parvenir à Labiodh Sidi Cheikh où Mohamed Boudiaf se joint à l’expédition. Après 74 km de Labiodh et à quelques kilomètres seulement de Benoud, nos téléphones sonnent. «Message reçu !» : Ooredoo vous souhaite un excellent séjour au Qatar. Vous pouvez recharger votre compte par Storm depuis l’Algérie…», lit-on sur nos messageries. Ironie du sort, nous sommes toujours en Algérie !
«Cette région ainsi que des centaines d’hectares dans le désert appartiennent aux Qataris. Ils ont tout ce qui leur faut. C’est une sorte de petite ville organisée exclusivement pour préparer la visite de l’émir et de son entourage pour une durée qui ne dépasserait pas trois jours à partir du 20 décembre, lance Moulaï. L’Etat algérien est le responsable de cette situation désastreuse. Nous n’avons pas trouvé d’oreilles écoutantes, car toutes les autorités auprès desquelles nous nous sommes indignés nous répètent en boucle qu’elles n’y peuvent rien, car les Qataris sont les invités du Président !» Mohamed Boudiaf s’emballe : «Qu’il les invite à El Mouradia ou à l’hôtel El Aurassi, mais pas ici !»
(à suivre)
Comme à chaque saison de l’année, les Qataris et les Saoudiens font leur «pèlerinage» habituel dans le Sud algérien. Accueillis par les autorités comme des invités du Président, les habitants de la région, eux, les considèrent comme la menace de plus qui pèse sur des espèces animales en voie de disparition. Reportage.
Béchar et El Bayadh de notre envoyé
«L’accident survenu au véhicule qatari fin novembre dernier à Benoud, au sud de la wilaya d’El Bayadh, prouve l’imprudence et l’insouciance des émirs du Qatar qui, sur invitation de la présidence de la République, campent chaque année et pendant plusieurs mois au sud d’El Bayadh où ils braconnent des espèces animales rares et en voie de disparition, comme l’outarde et la gazelle», lit-on sur le communiqué du mouvement des chômeurs de Labiodh Sidi Cheikh, une des communes de cette wilaya. Mohamed Boudiaf Boucif, 20 ans, membre de ce mouvement, signale : «Le véhicule conduit par un Egyptien, qui roulait à plus de 200 km/h, transportait à bord quatre ouvriers algériens. Trois d’entre eux ont trouvé la mort, dont le chauffeur, alors que les deux autres, grièvement blessés, sont actuellement hospitalisés à Oran. Depuis, aucune nouvelle ! Les autorités algériennes, qui devraient mettre fin à la présence qatarie au Sud, n’ont pas cessé d’appeler les familles des victimes pour les supplier de ne pas réagir car, selon elles, les braconniers qataris sont les invités spéciaux du président de la République, Abdelaziz Bouteflika !» C’est devenu presque une habitude. Sur la Toile, comme à chaque mois de novembre, les photos et les vidéos des outardes et des gazelles abattues dans le Sud algérien envahissent les réseaux sociaux. Les internautes ne cessent d’exprimer leur désenchantement et alertent l’opinion publique sur le danger de voir ces deux espèces disparaître un jour.
Chèche
Les images partagées montrent des hommes en qamis blanc et chèche roulé sur la tête en présence de gendarmes qui seraient chargés d’assurer leur sécurité. «Ce sont les Qataris. Ils sont installés à environ 70 km au sud de chez moi, à Benoud. Nous les accusons de braconnage. Ils ont dépouillé notre région de toute vie, alors que même la chasse légale est interdite chez nous depuis les années 1990», s’indigne Mohamed Boudiaf. Côté juridique, l’ordonnance n°06-05 du 15 juillet 2006 relative à la protection et à la préservation de certaines espèces animales menacées de disparition est claire.
Vingt-et-une espèces animales énumérées, dont l’outarde et la gazelle, sont interdites de chasse. L’article 4 de la présente ordonnance énonce ceci : «La chasse des animaux mentionnés dans la liste fixée à l’article 3 de la présente ordonnance est interdite par tout moyen. Sont également interdits la capture, la détention, le transport, la naturalisation et la commercialisation des animaux ou parties d’animaux d’espèces menacées de disparition.» L’avocat et le président du bureau d’Alger de la Laddh, Abdelghani Badi, qui suit l’affaire de près, reste intransigeant sur la question. «C’est une atteinte grave contre les richesses animales de l’Algérie. La chasse menée par les Qataris est dûment interdite par la loi et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie. C’est du braconnage, rappelle Me Badi. Ce qui est regrettable, c’est de constater le silence terrible des autorités algériennes qui ne bougent toujours pas le doigt pour protéger des espèces animales en danger.»
Benoud
Une seule façon d’en savoir plus sur le sujet, se rendre à Benoud, où les braconniers y campent depuis plus de deux mois, d’après les témoignages recueillis. Dans cette région steppique connue pour son froid glacial pendant l’hiver, les agglomérations sont distanciées et se font rares. C’est à El Bayadh que nous avons rencontré Moulaï Marrouf, 50 ans, ancien journaliste et membre du bureau local de la Laddh : «Les Qataris ne sont pas qu’au Benoud, ils sont aussi à Oued Zergoune (limite frontalière entre Ghardaïa et El Bayadh du côté de Brezina). Nous ne comprenons pas le silence des autorités algériennes qui continuent à fermer les yeux pendant que ces deux espèces se font exterminer chez nous. Elles doivent prendre conscience qu’elles sont aujourd’hui menacées de disparaître à jamais», alerte-t-il.
C’est en sa compagnie que nous nous sommes rendus au garage de Saïd Tounsi, 73 ans, chasseur et spécialiste de la mécanique-moto dans cette région des passionnés des rallyes. Les mains noircies de graisse, des moteurs de motos et de véhicules démontés et des pièces éparpillées par terre, ce sont ses enfants qui assurent la relève aujourd’hui. «Nous avons été interdits de chasser, alors que nous avons une fédération et des associations agréées qui respectent la loi et les délais de chasse qui s’ouvre du 1er octobre au 1er janvier. Nous respectons aussi les grilles qui régulent l’opération, explique Saïd. Alors que les Qataris braconnent librement, nous, chasseurs algériens, risquons d’abord une poursuite judiciaire, puis de nous voir confisquer nos fusils de chasse dans le cas où nous sommes interpellés dans l’erg !»
Thé
Selon Me Badi, les autorités ne délivrent les permis de chasse que dans les cas suivants : «Dans le cadre de la recherche scientifique, la reproduction ou pour exposition.» Direction Benoud en passant par Aïn Lorak pour parvenir à Labiodh Sidi Cheikh où Mohamed Boudiaf se joint à l’expédition. Après 74 km de Labiodh et à quelques kilomètres seulement de Benoud, nos téléphones sonnent. «Message reçu !» : Ooredoo vous souhaite un excellent séjour au Qatar. Vous pouvez recharger votre compte par Storm depuis l’Algérie…», lit-on sur nos messageries. Ironie du sort, nous sommes toujours en Algérie !
«Cette région ainsi que des centaines d’hectares dans le désert appartiennent aux Qataris. Ils ont tout ce qui leur faut. C’est une sorte de petite ville organisée exclusivement pour préparer la visite de l’émir et de son entourage pour une durée qui ne dépasserait pas trois jours à partir du 20 décembre, lance Moulaï. L’Etat algérien est le responsable de cette situation désastreuse. Nous n’avons pas trouvé d’oreilles écoutantes, car toutes les autorités auprès desquelles nous nous sommes indignés nous répètent en boucle qu’elles n’y peuvent rien, car les Qataris sont les invités du Président !» Mohamed Boudiaf s’emballe : «Qu’il les invite à El Mouradia ou à l’hôtel El Aurassi, mais pas ici !»
(à suivre)
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