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    Jacques Chirac contre Tony Blair, modèle français contre modèle britannique, logique sociale contre logique économique... L'issue de l'affrontement qui s'annonce sera lourde de conséquences pour l'Union européenne.

    Il va falloir réviser la fameuse formule d'Alexandre Sanguinetti qui avait tant amusé les éditorialistes et déridé jusqu'au général de Gaulle : « Si les Français étaient les Allemands, il y a longtemps qu'on le saurait. » Aujourd'hui, il faudrait dire : « Si les Français étaient les Anglais... » Hélas ! la boutade n'est plus drôle. Menacé, à l'intérieur, d'une rivalité entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, malgré les dénégations plus ou moins opportunistes des intéressés, le gouvernement l'est plus gravement, à l'extérieur, par un conflit entre Jacques Chirac et le Britannique Tony Blair. L'Europe en observe déjà avec inquiétude les signes avant-coureurs...

    À Paris, Chirac retient comme principale leçon du non au référendum sur la Constitution européenne l'urgence de défendre le modèle social français. À Londres, le Premier ministre, dopé par sa victoire aux législatives, délivré de l'épreuve référendaire, qu'il a prudemment reportée aux calendes grecques - merci les Français ! -, et favorisé par son accession pour six mois à la présidence tournante de l'Union européenne, affiche de son côté sa volonté d'exporter le modèle économique britannique.

    On comprend que les bookmakers londoniens parient sur la victoire de cette stratégie d'influence à long terme. Blair peut compter sur l'appui de la majorité des membres de l'UE et de la totalité des nouveaux adhérents d'Europe de l'Est, impatients, après quarante années de collectivisme, d'appliquer à leur économie les méthodes qui ont assuré le redressement britannique. Logique économique contre logique sociale. Pour être schématique, cette simplification n'est pas caricaturale.

    Pour éclairer le débat, on peut s'en remettre au rapport rédigé par deux experts, Pascal Boris et Arnaud Vaissié, conseillers du Commerce extérieur de la France au Royaume-Uni et fondateurs du Cercle d'outre-Manche, qui réunit de nombreux dirigeants d'entreprises françaises installées chez le voisin britannique. Intitulé « Sous-emploi français, plein-emploi britannique », un paradoxe bien peu cordial, le document met en évidence les trois avantages du modèle anglais.

    Alors qu'au plus fort de la crise pétrolière de 1980, la France, comme d'ailleurs l'Allemagne, a rigidifié son économie pour défendre les emplois existants, augmenté la fiscalité des entreprises pour financer sa politique sociale et renforcé le droit du travail afin de limiter le nombre des licenciements, la Grande-Bretagne a fait exactement le contraire. Elle a misé sur l'allègement de la pression fiscale et la souplesse économique pour favoriser la création d'entreprises et le dynamisme de l'emploi.

    Plutôt que de réhabiliter le loisir, elle a valorisé le travail. Contre le chômage de masse, elle a organisé la mobilisation nationale. L'augmentation de la population active et celle du temps de travail a entraîné une amélioration du taux d'emploi et une augmentation de la production. C'est le cercle vertueux où l'emploi crée la croissance. En France, à l'inverse, la tendance est à la réduction du nombre des actifs, aux deux extrémités de la chaîne des âges. L'allongement de la durée des études retarde l'arrivée des jeunes sur le marché du travail.

    Les préretraites et autres mesures qui découragent l'activité privent l'économie de précieuses ressources, alourdissent les charges, pèsent sur les entreprises et les individus, compliquent les processus d'embauche. C'est le cercle vicieux également critiqué par le rapport Camdessus (voir J.A.I. n° 2315, 22-28 mai 2005) concernant les obstacles structurels qui freinent le développement de l'économie française : celui d'une politique sociale dont les mesures qu'elle met en oeuvre se retournent contre ses objectifs.

    Il y a quelques années, invité par Laurent Fabius, à l'occasion d'un voyage à Paris, à s'exprimer devant l'Assemblée nationale, Blair avait provoqué des murmures chez les députés socialistes en affirmant que le choix n'est pas entre une gestion de droite et une gestion de gauche, mais entre une bonne et une mauvaise gestion. La troisième voie anglaise ramène ainsi à ses vraies limites un faux dilemme - libéral ou social - caricaturé en France par le procès passéiste intenté à l'ultralibéralisme.

    On pourrait multiplier les exemples de disparités entre les deux pays. Elles ne tiennent pas seulement aux mesures prises, mais aussi, et surtout, aux différences de mentalités. Ainsi de la flexibilité du travail, qui est une des clés de la réussite britannique. En France, le mot comme la pratique sont synonymes de précarité contagieuse, de licenciements sauvages, de remise en question des avantages acquis. Bref, l'horreur économique !

    Quand une conférence des partis socialistes européens a voulu l'inclure dans son programme de réformes, Lionel Jospin s'y était obstinément opposé par crainte d'ouvrir une brèche incontrôlable dans le droit social. Villepin a rencontré la même opposition chez les représentants syndicaux avec qui il a souhaité s'entretenir avant de se soumettre au vote de confiance des députés.

    La réaction a été unanime : « pas touche » au code du travail. La flexibilité est pourtant recommandée par les dernières directives du Conseil européen, qui préconise de la favoriser par toute une gamme de dispositions, en la « conciliant avec la sécurité de l'emploi ». L'Europe l'a dit, la Grande-Bretagne l'a fait. Et si les Anglais, à la différence de leurs voisins français, ne parlent pas de proximité, ils la pratiquent depuis belle lurette - et avec succès. Leur système de lutte contre le chômage en est l'illustration.

    Alors qu'en France se multiplient en vain, depuis des années, à droite comme à gauche, les procès en incapacité de l'Agence nationale pour l'emploi, le Royaume-Uni a, dès 2002, rebaptisé son Welfare (protection sociale) en Welfare to Work et créé pour l'indemnisation et le placement des chômeurs une nouvelle structure significativement nommée Job Centre Plus. Il en existe aujourd'hui plus d'un millier qui quadrillent l'ensemble du pays. Là encore prévaut la règle de gestion autonome, de souplesse et d'adaptation au changement.

    Chaque centre négocie avec son ministre. Ses objectifs, dûment quantifiés, sont soumis tous les mois à vérification à partir d'indicateurs chiffrés. Et il utilise son budget avec une totale liberté, à condition de justifier l'emploi des crédits par les résultats obtenus.

    Pour améliorer leurs méthodes de croisement des offres et des demandes, les Job Centres ont recruté du personnel venant du secteur privé, tandis que leur direction nationale s'enrichissait de l'expérience de plusieurs cadres supérieurs de grandes entreprises. Les chômeurs doivent se présenter tous les quinze jours devant un conseiller qui évalue avec eux leurs efforts pour se recaser. Après treize semaines de recherches sans résultat, ils ont l'obligation de les étendre à d'autres villes et à d'autres activités.

    Leur indemnité leur est supprimée s'ils cessent de répondre aux trois critères de versement : être capable de travailler ; apporter la preuve qu'ils se sont vraiment démenés pour trouver un emploi ; être disponible, c'est-à-dire en mesure de travailler immédiatement au moins 40 heures par semaine.

    Les sanctions sont rares parce que les offres de travail sont nombreuses et diverses. Il se crée dans l'Angleterre de Tony Blair un emploi toutes les trois minutes. Mais chaque salarié doit s'attendre à changer en moyenne sept fois d'employeur au cours de sa carrière professionnelle. La flexibilité des licenciements, néanmoins encadrée et limitée sous contrôle des tribunaux, jointe à la faiblesse des indemnisations (trois fois moindres qu'en France) « ne sont pas un cadeau fait au patron, mais à l'économie et rend l'embauche plus facile » (Pascal Boris et Arnaud Vaissié, Le Monde du 30-04-2005).

    C'est ce que les économistes appellent la destruction créatrice d'emplois, parce qu'elle en crée plus qu'elle n'en supprime. « En France, où on veut tout codifier et rigidifier, ajoutent les dirigeants du Cercle d'outre-Manche, on a parié que la croissance créerait du travail. Pari perdu. Les Britanniques ont agi à l'inverse : ils ont créé du travail qui a généré la croissance. » Et Blair a gagné les élections.

    Ces exemples suffisent à s'en convaincre : les Français ne sont, en effet, pas les Anglais - et ne sont sans doute pas prêts de le devenir. Avec le même pragmatisme qui inspire la politique de leur gouvernement depuis le thatchérisme et ses prolongements néotravaillistes, les Britanniques jugent la politique à ses résultats. Au passif : instabilité de l'emploi, progression des petits boulots faiblement rémunérés, indemnités de chômage et prestations sociales les plus faibles de l'OCDE.

    Mais à l'actif : un chômage deux fois moins important qu'en France avec un taux d'emploi supérieur de 19 points pour les 55-64 ans et de 9 points pour les femmes ; des contrats à durée déterminée (CDD) deux fois moins nombreux ; la réduction lente mais progressive des inégalités ; une richesse par habitant supérieure de 6 %.

    Par Henri Marque
    Jeune Afrique
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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