Par Michel Onfray
Il est 11 h 50 ce mercredi 7 janvier 2015 quand arrive sur l'écran de mon portable cette information qu'une fusillade a lieu dans les locaux de Charlie Hebdo. Je n'en sais pas plus, mais que des tirs nourris aient lieu dans la rédaction d'un journal est de toute façon une catastrophe annoncée.
Au fur et à mesure, j'apprends avec consternation l'étendue des dégâts ! Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Bernard Maris... On annonce dix morts, dont deux policiers, des blessés en nombre, "une boucherie", est-il dit... À 12 h 50, j'ai tweeté "Mercredi 7 janvier 2015 : notre 11 Septembre", car je crois en effet qu'il y aura un avant et un après. Les choses ne font que commencer.
Charlie Hebdo est, avec Siné Hebdo ou Le Canard enchaîné, l'honneur de la presse : car un journal satirique, et il m'arrive d'en faire régulièrement les frais, n'épargne rien ni personne, et c'est tant mieux. Ils ne roulent pour aucun parti, aucune école, aucune chapelle : au sens étymologique, ils sont libertaires. Sur les religions en général, et l'islam en particulier, cette presse dit tout haut avec humour, ironie ou cynisme, ce que beaucoup pensent tout bas. La satire lui permet de dire ce que le politiquement correct de notre époque interdit de faire savoir. En ouvrant les pages du journal, on pouvait se lâcher et rire d'autant plus joyeusement que, sur les questions de religion, dans le restant de la presse, on peut crucifier le chrétien, c'est même plutôt bien porté, mais il faut épargner les rabbins et les imams. À Charlie, la soutane, la kippa et la burka sont également moquées - faudra-t-il écrire "étaient" ?
L'Élysée invite à dépolitiser les attentats
Rivé devant ma télévision, sidéré, je prends des notes. J'assiste à un raccourci de ce qui fait notre époque : avant 13 heures, un journaliste égyptien parle à i>Télé, il précise avec fermeté qu'on va encore mettre tout cela sur le dos des musulmans ! Même à cette heure, l'attentat ayant lieu à Charlie, le journal qui a publié les "caricatures" de Mahomet et qui est menacé pour cela depuis des années, je vois mal comment on pourrait incriminer Raël ou les véganes ! Mais déjà pointe l'insulte islamophobe contre quiconque va affirmer que le réel a eu lieu !
Les éléments de langage probablement fournis par les communicants de l'Élysée invitent à dépolitiser les attentats qui ont eu lieu avant Noël : des fous, des déséquilibrés, des dépressifs fortement alcoolisés au moment des faits. Même s'ils crient "Allah Akbar" avant d'égorger un policier, ça n'a rien à voir avec l'islam. Les familles des tueurs en rajoutent en protestant de la gentillesse de leur fiston criminel et l'on passe en boucle leur témoignage. Qui dit vrai ? Ainsi, pour prendre un exemple, Rue 89 parle de "l'attaque présentée [sic] comme terroriste [re-sic]" à Joué-lès-Tours... Dormez bonnes gens. Circulez, il n'y a rien à voir...
I>Télé, 13 h 20. Une journaliste nous dit que François Hollande a précipitamment quitté l'Élysée et qu'on l'a vu "dévaler les escaliers en compagnie de son conseiller en communication" ! Je me frotte les yeux. Non, pas le ministre de l'Intérieur ou le chef d'état-major des armées, non, mais Gaspard Gantzer - son conseiller en communication ! Hollande arrive sur place, il enfile des perles de rhétorique. Il repart. Dans la voiture, probable débriefing avec le conseiller en communication.
La dépêche de l'AFP tombe : l'un des tueurs a crié "Nous avons vengé le Prophète." Plus tard, une vidéo passe en boucle et on entend très bien cette phrase. Le journaliste égyptien n'est plus là pour nous dire que ça n'a rien à voir avec l'islam, mais c'est ce que diront nombre d'autres personnes qui se succèdent à l'écran.
Chalghoumi, l'imam tout terrain
C'est d'ailleurs très exactement le propos de l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi. Pas un journaliste pour rappeler qu'en septembre 2012, lors de la parution des caricatures dans Charlie, ce fameux imam tout terrain et judicieusement judéo-compatible avait trouvé l'attitude du journal "irresponsable"... Le même Hassen Chalghoumi se fend d'un : "Nous sommes les premières [sic] victimes" sur LCI à 14 h 17. En effet, les musulmans sont les premières victimes et passent avant Cabu, avant Charb, avant Wolinski, avant Tignous, avant Bernard Maris, avant les deux policiers, avant les blessés en nombre... Avant leurs familles, avant leurs enfants, avant leurs amis.
La litanie du "ça n'a rien à voir avec l'islam" continue. Droite et gauche confondues. Avec quoi alors ? Il n'est pas même possible de dire que ça a à voir avec un dévoiement de l'islam, avec une défiguration de l'islam, avec une fausse et mauvaise lecture de l'islam ? Non : rien à voir, on vous dit. C'est comme l'État islamique, qui n'a tellement rien à voir avec l'islam qu'il faut dire Daesh, parole de Fabius. Dès lors, l'État islamique ne massacre pas puisque, comme la théorie du genre, ça n'existe pas ! Daesh, on vous dit. Mais que veut dire Daesh ? C'est l'acronyme d'État islamique en arabe. Abracadabra...
La classe politique continue son show. Sarkozy intervient. Drapeau français, drapeau européen, fond bleu, nul sigle UMP : il se croit toujours président de la République ! Il invite à "éviter les amalgames", mais il ne dit pas avec quoi ! Malin...
Pourquoi laisser le monopole au FN ?
14 h 21 sur LCI, Mélenchon intervient : "Le nom des meurtriers est connu : lâches, assassins !" Tudieu, quel talent pour éviter... les amalgames ! Sarkozy verbigère : les criminels seront poursuivis, châtiés avec une extrême sévérité, il parle de fermeté absolue, de barbarie terroriste, de violence aveugle, il invite à ne pas céder. Les éléments de langage de tout politique qui n'a rien à dire et donne dans le compassionnel - c'est bon pour la cote, dirait le conseiller en communication. Et puis, toujours la cote de popularité, on invite à l'unité nationale ! Bayrou, Julien Dray, etc., tous entonnent le même psaume.
LCI, 15 h 5, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, invite à... éviter l'amalgame. Mais on ne sait toujours pas avec quoi. Elle déplore l'absence de débats et déplore plus encore ceux qui veulent un débat pour savoir ce qu'il en est de l'amalgame ! Ça sent le coup de pied de l'âne à Zemmour ou Finkielkraut ! Le Parti socialiste dispose d'une riposte à la mesure de la boucherie : "une marche des républicains" ! En effet, c'est une réponse politique à la hauteur des événements. Gageons que le président de la République, qui doit parler à 20 heures, volera dans la même stratosphère politique.
Un bandeau défile en bas de mon écran : Marine Le Pen dénonce "un attentat terroriste commis par des fondamentalistes islamistes". Pourquoi une fois de plus le personnel politique, suicidaire, lui laisse-t-il le monopole des mots justes sur des situations que tout le monde comprend ? C'est en effet "un attentat terroriste" et il a été effectivement perpétré "par des fondamentalistes islamistes". Quiconque le dira désormais va passer pour un lepéniste ! Le musulman qui n'est pas fondamentaliste se trouve ainsi épargné, et c'est très bien ; on dit donc en quoi ça a à voir avec l'islam parce que ça en est la version radicale et armée, brutale et littérale ; on laisse entendre qu'il faut lutter contre cette formule-là et rassembler tous ceux qui sont contre, y compris les musulmans ; et on dit d'un attentat terroriste que c'est un attentat terroriste. Le succès de Marine Le Pen vient beaucoup du fait que, mis à part son programme, dont je ne parle pas ici, elle est en matière de constats l'une des rares à dire que le réel a bien eu lieu. Hélas, j'aimerais que cette clarté sémantique soit aussi, et surtout, la richesse de la gauche.
Il est 11 h 50 ce mercredi 7 janvier 2015 quand arrive sur l'écran de mon portable cette information qu'une fusillade a lieu dans les locaux de Charlie Hebdo. Je n'en sais pas plus, mais que des tirs nourris aient lieu dans la rédaction d'un journal est de toute façon une catastrophe annoncée.
Au fur et à mesure, j'apprends avec consternation l'étendue des dégâts ! Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Bernard Maris... On annonce dix morts, dont deux policiers, des blessés en nombre, "une boucherie", est-il dit... À 12 h 50, j'ai tweeté "Mercredi 7 janvier 2015 : notre 11 Septembre", car je crois en effet qu'il y aura un avant et un après. Les choses ne font que commencer.
Charlie Hebdo est, avec Siné Hebdo ou Le Canard enchaîné, l'honneur de la presse : car un journal satirique, et il m'arrive d'en faire régulièrement les frais, n'épargne rien ni personne, et c'est tant mieux. Ils ne roulent pour aucun parti, aucune école, aucune chapelle : au sens étymologique, ils sont libertaires. Sur les religions en général, et l'islam en particulier, cette presse dit tout haut avec humour, ironie ou cynisme, ce que beaucoup pensent tout bas. La satire lui permet de dire ce que le politiquement correct de notre époque interdit de faire savoir. En ouvrant les pages du journal, on pouvait se lâcher et rire d'autant plus joyeusement que, sur les questions de religion, dans le restant de la presse, on peut crucifier le chrétien, c'est même plutôt bien porté, mais il faut épargner les rabbins et les imams. À Charlie, la soutane, la kippa et la burka sont également moquées - faudra-t-il écrire "étaient" ?
L'Élysée invite à dépolitiser les attentats
Rivé devant ma télévision, sidéré, je prends des notes. J'assiste à un raccourci de ce qui fait notre époque : avant 13 heures, un journaliste égyptien parle à i>Télé, il précise avec fermeté qu'on va encore mettre tout cela sur le dos des musulmans ! Même à cette heure, l'attentat ayant lieu à Charlie, le journal qui a publié les "caricatures" de Mahomet et qui est menacé pour cela depuis des années, je vois mal comment on pourrait incriminer Raël ou les véganes ! Mais déjà pointe l'insulte islamophobe contre quiconque va affirmer que le réel a eu lieu !
Les éléments de langage probablement fournis par les communicants de l'Élysée invitent à dépolitiser les attentats qui ont eu lieu avant Noël : des fous, des déséquilibrés, des dépressifs fortement alcoolisés au moment des faits. Même s'ils crient "Allah Akbar" avant d'égorger un policier, ça n'a rien à voir avec l'islam. Les familles des tueurs en rajoutent en protestant de la gentillesse de leur fiston criminel et l'on passe en boucle leur témoignage. Qui dit vrai ? Ainsi, pour prendre un exemple, Rue 89 parle de "l'attaque présentée [sic] comme terroriste [re-sic]" à Joué-lès-Tours... Dormez bonnes gens. Circulez, il n'y a rien à voir...
I>Télé, 13 h 20. Une journaliste nous dit que François Hollande a précipitamment quitté l'Élysée et qu'on l'a vu "dévaler les escaliers en compagnie de son conseiller en communication" ! Je me frotte les yeux. Non, pas le ministre de l'Intérieur ou le chef d'état-major des armées, non, mais Gaspard Gantzer - son conseiller en communication ! Hollande arrive sur place, il enfile des perles de rhétorique. Il repart. Dans la voiture, probable débriefing avec le conseiller en communication.
La dépêche de l'AFP tombe : l'un des tueurs a crié "Nous avons vengé le Prophète." Plus tard, une vidéo passe en boucle et on entend très bien cette phrase. Le journaliste égyptien n'est plus là pour nous dire que ça n'a rien à voir avec l'islam, mais c'est ce que diront nombre d'autres personnes qui se succèdent à l'écran.
Chalghoumi, l'imam tout terrain
C'est d'ailleurs très exactement le propos de l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi. Pas un journaliste pour rappeler qu'en septembre 2012, lors de la parution des caricatures dans Charlie, ce fameux imam tout terrain et judicieusement judéo-compatible avait trouvé l'attitude du journal "irresponsable"... Le même Hassen Chalghoumi se fend d'un : "Nous sommes les premières [sic] victimes" sur LCI à 14 h 17. En effet, les musulmans sont les premières victimes et passent avant Cabu, avant Charb, avant Wolinski, avant Tignous, avant Bernard Maris, avant les deux policiers, avant les blessés en nombre... Avant leurs familles, avant leurs enfants, avant leurs amis.
La litanie du "ça n'a rien à voir avec l'islam" continue. Droite et gauche confondues. Avec quoi alors ? Il n'est pas même possible de dire que ça a à voir avec un dévoiement de l'islam, avec une défiguration de l'islam, avec une fausse et mauvaise lecture de l'islam ? Non : rien à voir, on vous dit. C'est comme l'État islamique, qui n'a tellement rien à voir avec l'islam qu'il faut dire Daesh, parole de Fabius. Dès lors, l'État islamique ne massacre pas puisque, comme la théorie du genre, ça n'existe pas ! Daesh, on vous dit. Mais que veut dire Daesh ? C'est l'acronyme d'État islamique en arabe. Abracadabra...
La classe politique continue son show. Sarkozy intervient. Drapeau français, drapeau européen, fond bleu, nul sigle UMP : il se croit toujours président de la République ! Il invite à "éviter les amalgames", mais il ne dit pas avec quoi ! Malin...
Pourquoi laisser le monopole au FN ?
14 h 21 sur LCI, Mélenchon intervient : "Le nom des meurtriers est connu : lâches, assassins !" Tudieu, quel talent pour éviter... les amalgames ! Sarkozy verbigère : les criminels seront poursuivis, châtiés avec une extrême sévérité, il parle de fermeté absolue, de barbarie terroriste, de violence aveugle, il invite à ne pas céder. Les éléments de langage de tout politique qui n'a rien à dire et donne dans le compassionnel - c'est bon pour la cote, dirait le conseiller en communication. Et puis, toujours la cote de popularité, on invite à l'unité nationale ! Bayrou, Julien Dray, etc., tous entonnent le même psaume.
LCI, 15 h 5, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, invite à... éviter l'amalgame. Mais on ne sait toujours pas avec quoi. Elle déplore l'absence de débats et déplore plus encore ceux qui veulent un débat pour savoir ce qu'il en est de l'amalgame ! Ça sent le coup de pied de l'âne à Zemmour ou Finkielkraut ! Le Parti socialiste dispose d'une riposte à la mesure de la boucherie : "une marche des républicains" ! En effet, c'est une réponse politique à la hauteur des événements. Gageons que le président de la République, qui doit parler à 20 heures, volera dans la même stratosphère politique.
Un bandeau défile en bas de mon écran : Marine Le Pen dénonce "un attentat terroriste commis par des fondamentalistes islamistes". Pourquoi une fois de plus le personnel politique, suicidaire, lui laisse-t-il le monopole des mots justes sur des situations que tout le monde comprend ? C'est en effet "un attentat terroriste" et il a été effectivement perpétré "par des fondamentalistes islamistes". Quiconque le dira désormais va passer pour un lepéniste ! Le musulman qui n'est pas fondamentaliste se trouve ainsi épargné, et c'est très bien ; on dit donc en quoi ça a à voir avec l'islam parce que ça en est la version radicale et armée, brutale et littérale ; on laisse entendre qu'il faut lutter contre cette formule-là et rassembler tous ceux qui sont contre, y compris les musulmans ; et on dit d'un attentat terroriste que c'est un attentat terroriste. Le succès de Marine Le Pen vient beaucoup du fait que, mis à part son programme, dont je ne parle pas ici, elle est en matière de constats l'une des rares à dire que le réel a bien eu lieu. Hélas, j'aimerais que cette clarté sémantique soit aussi, et surtout, la richesse de la gauche.
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