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Quel sera le visage de l'Amérique en 2043 ?

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  • Quel sera le visage de l'Amérique en 2043 ?

    En 1967, lorsque la population américaine avait atteint 200 millions d'habitants, le magazine Life avait déniché le bébé dont la naissance marquait ce seuil historique : il s'appelait Robert Woo et ses parents étaient d'origine chinoise. Le passage aux 300 millions, le 17 octobre 2006, a été moins ordonné. Dans une intense compétition, les médias ont identifié plusieurs lauréats, tous nés à quelques secondes près au moment fixé par le Bureau du recensement, 7 h 46 sur la Côte est. Le processus étant assez peu scientifique, il est trop tôt pour savoir lequel passera à la postérité, mais la plupart de ces tout jeunes Américains ont quelque chose en commun : ils sont de parents hispaniques. De quel groupe ethnique sera l'enfant qui couronnera l'étape des 400 millions d'Américains, en 2043, si les projections des services du recensement se révèlent exactes ?

    Exception dans le monde occidental vieillissant, les Etats-Unis jouissent depuis la fin du XXe siècle d'une croissance démographique très dynamique, imputable pour 40 % à l'immigration. Pendant que les Américains s'enrichiront de 100 millions de personnes, le Japon et l'Union européenne, eux, en perdront 15 millions, si l'on s'en tient aux tendances actuelles. Autre spécificité américaine, "une bonne partie de la croissance naturelle (le nombre de naissances moins le nombre de morts) étant due aux enfants d'immigrés, nous sommes en train de redevenir un melting-pot", relevait récemment le démographe William Frey, de la Brookings Institution. Il est donc fort possible que les origines ethniques du quatre cent millionième Américain soient si mélangées que leur identification n'ait plus vraiment d'importance. Dans trente-sept ans, avance Kenneth Prewitt, professeur à l'université Columbia, "le pays sera bien plus métissé, essentiellement en raison du taux élevé de mariages interraciaux et interethniques".

    M. Prewitt a dirigé le Bureau de recensement de 1998 à 2001. C'est sous son règne qu'a été réalisé le recensement de 2000, marqué par une petite révolution : pour la première fois, un instrument statistique a permis de mesurer la multiracialité. En plus des cinq groupes raciaux recensés (Blancs, Noirs, Amérindiens, Asiatiques, natifs de Hawaï et d'autres îles du Pacifique), les Américains ont eu la possibilité de cocher la case "autre race" et aussi de se définir comme appartenant à "plusieurs races". Ils ont ainsi été près de 7 millions à se déclarer métissés, en cochant cette dernière case, et plus de 15 millions à choisir la catégorie "autre race". Parallèlement, un autre critère, celui de l'ethnie, était proposé : les Américains pouvant se définir comme "hispanique" ou "non hispanique". Plus de 35 millions ont coché la case "hispanique" après avoir, dans la colonne "race", vraisemblablement choisi "blanc", "noir", "autre", ou "plusieurs races".

    Qu'en sera-t-il en 2043 ? Certaines projections, citées par le politologue Yves Boquet, prédisent un triplement de la catégorie multiraciale. La proportion d'Hispaniques passerait de 12,6 % en 2000 à 24,4 % en 2050, et celle des Asiatiques de 3,8 % à 8 %, ces deux groupes assurant l'essentiel de l'essor démographique. La croissance de la population blanche d'origine européenne devrait, elle, se ralentir progressivement avant d'amorcer un déclin entre 2040 et 2050 (69 % de la population totale en 2000, 50 % en 2050). " L'avenir de la classification raciale est imprévisible, juge M. Prewitt, elle ne dépend pas seulement des changements démographiques. Elle relève aussi de la pression politique et de la science. Peut-être la recherche sur le génome effacera-t-elle les groupes raciaux aujourd'hui établis ? Ou peut-être mènera-t-elle à un système de classification totalement différent ? "

    Une telle évolution aurait, bien sûr, des conséquences politiques importantes dans un pays où, depuis les années 1960, de nombreux programmes d'aide sociale visent à réparer les effets de la discrimination raciale. Si les distinctions raciales ou ethniques s'effacent, logiquement, la discrimination diminuera et les programmes visant à la combattre deviendront superflus. La fameuse "affirmative action", mise en place depuis plus de trois décennies comme politique de justice sociale, est déjà progressivement remplacée par une politique de "diversité". Certains experts parient donc sur la disparition de l'affirmative action d'ici à 2043 et le retour d'un débat plus économique sur les inégalités sociales.

    De même, la composition du Congrès évoluera. La représentativité des élus, prévoit M. Prewitt, reflétera davantage les intérêts économiques et les clivages sur certaines valeurs que la répartition ethnique. L'un des grands débats politiques, selon M. Frey, portera par exemple sur les moyens d'assurer le passage des enfants d'immigrés dans les classes moyennes, notamment par l'éducation.

    Ces projections des démographes et le nouveau melting-pot qu'elles suggèrent vont également alimenter le débat sur l'avenir de l'identité américaine, soulevé notamment par Samuel Huntington. Pour le théoricien du clash des civilisations, la croissance spectaculaire de l'immigration latino menace l'identité américaine anglo-saxonne, car les nouvelles générations d'Hispaniques ne cherchent pas à s'assimiler ni même à apprendre l'anglais.

    Tamar Jacoby, chercheuse spécialisée dans les questions d'immigration, rejette, elle, ces affirmations tout en reconnaissant que la question de l'identité américaine est essentielle "à l'ère de la mondialisation, du multiculturalisme et de niveaux historiques d'immigration". Elle démontre au contraire, chiffres à l'appui, que la majorité des Hispaniques cherche à se fondre dans la dynamique américaine. L'économiste californien Joel Kotkin y voit même l'émergence d'une économie qui serait "post-ethnique".

    Par Le monde
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