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Leur José Garçon et nos petits pharisiens

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  • Leur José Garçon et nos petits pharisiens

    La chronique de Benchicou.

    Actualité - le 25 janvier 2015 à 16 h 13 min - Mohamed Benchicou.


    1. HAMADACHE. Comme en 1938, elle n’a rien vu, ou rien voulu voir venir. La France dormait, tranquille, au milieu des tumultes du monde, jusqu’à cet instant tragique où une rafale la jeta hors du lit, à la manière d’un réveil mal réglé qui aurait sonné au milieu de la nuit. Il aura fallu la boucherie de Charlie Hebdo, le traumatisme d’un peuple, l’ébranlement d’un monde incrédule, il aura fallu un cataclysme pour qu’enfin, à Paris comme à Alger, on ouvre les yeux sur l’insoutenable réalité : une armée islamiste réelle mais insaisissable a déclaré la guerre, une longue guerre à tous ceux qui refusent d’être asservis à un régime islamique.

    Pour ceux qui chercheraient à savoir ce que signifie « longue guerre » dans l’esprit des stratèges islamistes, Abdelfattah Hamadache, chef du Front de la Sahwa, un intégriste qui sait de quoi il parle et, surtout, de quoi il ne parle pas, fournit des détails : « Notre revendication, c’est d’instaurer l’État islamique en Algérie, même s’il faut pour cela attendre soixante ans. » Soixante ans ! La guerre des islamistes peut durer soixante années ou plus s’il le faut, soixante années à semer la terreur, le deuil, la mort, la nuit, soixante années à fabriquer des orphelins, à faire de nos patries des terres tremblantes, des Républiques de cimetières …

    Hamadache, que l’on aurait tort de prendre pour un hurluberlu ou un crétin, définit exactement l’imbrication terrorisme-islamisme politique comme fondement de la démarche intégriste. Le terrorisme est au service de l’islamisme politique, à charge pour ce dernier d’être au service du terrorisme. Tel est, depuis le début, depuis toujours, le diabolique organigramme qui ambitionne de mettre le feu dans le pays.

    Hamadache s’exprime au nom des groupes armés islamistes qui, en retour, sèment la mort afin de permettre à Hamadache d’accéder au pouvoir. Suivons bien ce que dit le chef de la Sahwa : « Nous appliquons les recommandations de Dieu à la lettre. Appelez ça terrorisme, fanatisme ou intégrisme… ». Il faut lui rendre cette justice d’être clair et sans ambages. Mais alors pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps, attendre que le malheur atteigne son apogée, pour que leur voix, la voix des chefs terroristes, parvienne de manière audible à nos oreilles ? La faute à la sottise humaine, à ce ballet des sots et des andouilles qui, en France comme chez nous, en Algérie, ont banalisé l’image du terroriste islamiste, abusant de tournures de style, les salamalecs hypocrites, les pleutreries politiques déguisées en subtilités diplomatiques, déculpabilisant les terroristes et accablant ceux qui les combattaient ou, pire, ceux qui avaient le toupet d’en être les victimes.

    La bonne société française et algérienne a horreur des victimes inlassables. Elles sont forcément coupables de quelque chose. Quant au persécuteur, allez savoir, c’est sans doute un militaire algérien déguisé en islamiste… Durant un quart de siècle, l’image de l’islamiste a bénéficié des insoupçonnables bêtises humaines et la France se couchait le soir, rassurée par ses élites qui ont, par toutes sortes d’expédients saugrenus ou honteux, risibles ou révoltants, su faire de islamiste qu’il n’est pas et à fermer les yeux devant ce qu’il est vraiment. « Mais non ma chérie, n’aie pas peur, c’est juste le voisin qui porte une barbe »…

    Aujourd’hui, la même France s’éveille sur son cauchemar. « Une guerre contre la France ? Mais comment est-ce possible ? « Ainsi, commence le fascisme, répond Françoise Giroud. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : c’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser ». Dix ans après la mort de Françoise Giroud, un de ses disciples, Jean-François Kahn, interpelle ses confrères français dans le dernier numéro du magazine (du 16 au 22 janvier 2015) : « Et si on reconnaissait enfin toutes les erreurs que nous payons aujourd’hui ». Jean-François Kahn : « Faut-il rappeler cette période terrible où l’Algérie étant en butte aux atrocités commises par ceux dont les auteurs du carnage de Charlie Hebdo sont les héritiers, toute une fraction des médias français se déchaîna non contre les ‘barbares’, mais contre ceux qui tentaient de leur tenir tête ? »

    Et : « Souvenons-nous donc : ce n’étaient pas les fanatiques allumés du GIA qui tuaient, massacraient, exterminaient femmes, enfants, vieillards, non, non, c’étaient leurs adversaires… Des témoins de leurs épouvantables agissements, scandalisés par ce déni, envoyaient des délégations à Paris pour dire le vrai. On refusait de les recevoir. Des civils épouvantés dont on avait égorgé les proches, des démocrates, des laïcs, des patriotes, souvent issus de mouvances de gauche, à la suite de tueries, se regroupaient et constituaient des milices d’autodéfense, ce sont eux et non les islamistes qu’une journaliste de Libération fustigeait et désignait comme les fauteurs de guerre. Les tueurs étaient des ‘rebelles’, ce qui est noble, ceux qui appelaient à les combattre étaient des ‘éradicateurs’. »

    2. LE PEN. Cette journaliste dont parle Jean-François Kahn s’appelle José Garçon, plume vedette du quotidien Libération dans les années 1990, et disait ce qui était bien pour nous, à savoir que nous aurions dû accepter de vivre sous un régime islamique en 1991, puisque, tout bien pesé, nous sommes un peuple à peine sorti de primitivité et, qu’à bien y réfléchir, l’on ne saurait, sans dommages pour nos neurones, passer de la pirogue primitive creusée dans un tronc d’arbre à une moderne péniche au mazout.

    Il nous est prescrit un devoir de transition, idée autour de laquelle Lahouari Addi a construit sa thèse de la régression féconde. Libération, Libé pour les branchés, c’est le symbole du verbe impertinent, qui osait dire sur l’Algérie ce que nous, journalistes locaux, émargeant à la sécurité militaire, n’osions écrire. Nous avions fini, du reste, par nous faire une raison : le journalisme n’a pas été inventé pour nous. C’est une activité réservée, tels le golf ou le yachting, aux gens de pedigree, se revendiquant de prestigieuses ascendances, Diderot ou d’Alembert, Hubert Beuve-Mery (1) ou Jean Paul Sartre (2), qui, seuls, savent en respecter les codes, l’esprit, les règles, bref, tout ce qui fait la noblesse du journalisme.

    Nous traînions notre statut de canassons perdus dans une épreuve de pur-sang jusqu’à ce lundi 22 avril 2002 et cette manchette qui barrait la première page du quotidien français Libération : un immense « NON » sur une photo de Jean-Marie Le Pen, leader de l’extrême-droite, qui venait d’accéder, la veille, au second tour des élections présidentielles françaises. Et, patatras, voilà le prestige du très distingué journal, symbole de l’impertinence et de l’irrévérence, qui vole en éclats sous l’effet de l’émotion et de l’affolement ! Le procédé m’avait secoué : Libération nous copie ! Oui, le modèle de l’information professionnelle, nous plagie sans vergogne, nous les journaux indigènes abrités derrière de ténébreux généraux, qui n’avons jamais su tenir la distance entre le cœur et le devoir professionnel !

    Il nous plagie, nous imite sans talent, nous transcrit, bref nous mime éhontément après nous avoir appris, avec force quolibets, qu’en toutes circonstances il faut savoir son tact garder et son métier sauvegarder. J’étais triste pour Libération. Pas lui, pas ça ! Que nous autres feuilles de chou algériennes, sans gloire et sans ascendance, sourds aux exigences du journalisme moderne, avons, un certain 26 décembre 1991, succombé à la tentation de crier « NON » au Front islamique du salut (FIS) se justifie par notre statut de roturiers promus journalistes, ignorants de Jules Vallès, de l’art de vivre et de la distance entre le cœur et le devoir professionnel. C’est tellement nouveau, pour nous, tout ça …

    Mais le journal de Monsieur Serge July ! Le journal de Madame José Garçon journaliste-vedette de Libération sous l’œil de laquelle nous avons si humblement entrepris de nous soigner, Madame Garçon, aux penchants pédagogiques infinis, à qui on doit la délicatesse de nous avoir régulièrement affublé du bonnet d’âne à chaque fois que nous gagnait la tentation d’être discourtois à l’endroit de Abassi Madani, vainqueur comme Jean-Marie Le Pen au premier tour des législatives !

    Nos professeurs de vertu étaient pris en flagrant délit de vices les plus détestables : les nôtres ! Emu, j’ai refermé le journal avec une pensée pour la réputation perdue de nos confrères. Le journalisme professionnel ne se pratique donc qu’en beau temps ! Ou alors quand il fait gris chez les autres. Nous tâcherons de ne pas oublier cette leçon, nous qui nous pensions perdus pour le journalisme.

    Bienvenue, confrères, au monde des cancres, des auxiliaires des généraux et de la modestie.

    Á SUIVRE…

    (1)-Hubert Beuve-Mery est le fondateur du journal Le Monde en 1944.

    (2)-Jean Paul Sartre, un philosophe français à l’origine du journal Libération.
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